L'EFFORT DE L'AMOUR DESCENDANT 

   Toute souffrance, même si elle est une expiation, génère une lumière : c'est une force qui ferme sa trajectoire, une inconnue qui s'intègre, une parcelle du monde qui rentre dans l'équilibre de la santé.  A plus forte raison, quand la souffrance est subie par un innocent, la Lumière qui en émane est-elle divine.  
   D'autre part, tout organisme est limité puisque matériel : l'esprit qui l'anime, comme un cavalier impitoyable, l'use, le tue : et cette mort se résout en une renaissance qui est une bénédiction.  
   Cette sagesse ésotérique qui cherche à défendre l'enveloppe physique de l'atteinte de la mort n'est qu'une orgueilleuse erreur : elle ne peut parvenir à ses fins qu'au prix de véritables assassinats, d'autant plus criminels que le meurtrier opère dans l'ombre du mystère.  Ne vous laissez pas éblouir par des phrases prometteuses, par des pensées subtiles, par des exhibitions thaumaturgiques : découvrez l'esprit qui enfante ces mirages, analysez la saveur de ces fruits si beaux d'apparence.  
  
   Il ne faut pas s'attacher aux vêtements, pas plus à ceux de l'intelligence qu'à ceux du corps : ce ne sont que des instruments provisoires.  Que la volonté se réfugie dans l'éternel : qu'elle abandonne tout le reste, car tout en nous est appelé au renouvellement : chaque lumière de vie se détache sur une ombre de mort.  
   Je vous le redis une fois de plus : les régénérations christiques ne sont pas des perfectionnements, ce sont de nouvelles  naissances, Par exemple, notre force musculaire croît par l'exercice, mais jusqu'à une limite infranchissable : pour dépasser celle-ci, il faudra attendre que le corps meure et qu'il renaisse.  Il en est de même pour nos forces magnétiques, mentales et passionnelles.  Le guérisseur, le penseur, l'artiste auront beau multiplier les entraînements occultes, les méditations ou les contemplations esthétiques, lorsqu'ils auront atteint le maximum de croissance des pouvoirs innés en eux, ils n'iront pas plus loin : il faudra qu'une main plus haute qu'eux sème dans leur esprit une autre graine, plus active.  Ce serait ici le lieu de faire le procès des systèmes d'occultisme pratique : mais un volume ne suffirait pas à exposer cette cause, même sommairement : rappelez-vous tout du moins cette phrase : « Si le grain ne meurt, il ne fructifiera point ».  

   En somme, notre droit et notre devoir, c'est d'utiliser pour le mieux les forces dont la Nature nous a confié la gestion.  
 Souvenons-nous que, pour être sains, nos travaux doivent se diriger vers Dieu.  Si notre intention demeure ainsi constante, si notre désir profond vise le Ciel fixement, la fatigue, la veille, le souci, la maladie, tout atteindra l'Absolu et grossira notre trésor éternel.  
   C'est ainsi que l'âme du disciple se tient, dans l'espace essentiel, aux côtés de son Maître et, lorsque leur union, à force d'épreuves subies, pour ainsi dire ensemble, devient assez intime, le ou les corps du disciple et les corps radieux et purs du Verbe omniprésent vont et viennent, parmi les mille royaumes de ce monde, confondus par la flamme de leur amour réciproque.  

   Voilà ce que signifie la promesse : « Là où je suis, là sera mon serviteur ».  Un état d'âme est un lieu dans l'espace invisible.  Les désirs semblables se sentent, des quatre coins du globe, se trouvent et se réunissent, toujours dans leurs plans et, même, s'ils sont assez forts, sur le plan matériel.  
   Le disciple est donc avec Jésus parce qu'il nourrit les mêmes sentiments, parce qu'il brûle des mêmes désirs : ses efforts aboutissent à des réunions fugitives, à des colloques rapides, parfois dans l'intellect, parfois dans l'animique, parfois dans le magnétique.  Si ce disciple a déployé une ardeur extraordinaire et une persévérance invincible, la mise en présence a lieu physiquement, et le jeu des causes secondes se combine de façon à lui faire passer quelques années dans la société réelle, tangible, matérielle de son Ami.  Il faut redire à ce propos que toujours Celui-ci fait bien plus de chemin que celui-là vers la rencontre, parce qu'Il aime infiniment.  

    L'homme n'est actuellement capable que d'un amour languide :  il faut, pour l'attiser, les souffles froids du doute, du désespoir et de la souffrance.  
  Le Verbe court à la rencontre de l'enfant prodigue, et la plainte : « Maintenant mon âme est troublée, Père, sauve-moi de cette heure » est la première pierre qui, roulant sur la pente de la montagne mystique, blesse les pieds divins.  
  Qu'est-ce que Jésus appelle Son âme ?  Demandons-le à l'enseignement oral de la synagogue, dont il est tout naturel que le Messie emploie le langage.  
  L'univers, disaient ces disciples de Moïse, se déploie par quatre mouvements successifs de la volonté d'Aïn-Soph.  Le premier est l'émanation qui s'opère par les personnes divines et les noms divins : le second est la création, l'extraposition, le mental cosmique abstrait : le troisième est la formation, c'est-à-dire l'économie divine des hiérarchies angéliques : le quatrième est la faction, la vie physique.  Celle-ci, enfin, est entourée d'un caput mortuum, la matière, les écorces, qui n'a pas d'existence propre.  

   Chacun de ces cinq modes fournit à l'homme individuel une délégation dont voici le tableau succinct : Iechidah : l'unité suressentielle et la présence divine intérieure étant représentative d'Aïn-Soph : Chaijah, gloire extérieure au composé et indépendante de lui pour ainsi dire : Neshamah, l'âme intellectuelle : Rouach, l'âme sensitive ou irascible : Nephesch, l'archée, la psyché, l'âme végétative, concupiscible : enfin le corps matériel.  
   Or, selon le texte hébraïque, c'est le mot Nephesch qu'emploie Jésus dans le verset que nous étudions : c'est donc, en Lui, la vitalité physique, le double qui s'effraie à l'approche des terribles heures de la Passion, parce qu'Il voulait offrir à tous les sentiments humains possibles l'hospitalité compatissante et médiatrice de Sa nature divine.  Nous trouverons à chaque pas du grand holocauste final de nouveaux exemples de cette bonté.  

   Le Temps est un être.  Il est même le grand ordonnateur des foules : ce n'est pas lui qui assigne à chaque corps d'armée son poste de campement, mais c'est lui qui dirige les soldats suivant les ordres que lui transmet le généralissime.  Et, comme chacun des rôles distribués à la créature lui fait produire l'une ou l'autre de ses puissances en germe, on a pu écrire que « la connaissance de l'Etre forme les étapes du Temps ».  L'année, le mois, le jour, l'heure, et ainsi de suite sont donc comme des tableaux vivants à l'action desquels nous sommes contraints de prendre part, et dont le cadre circonscrit l'espace nécessaire à nos gestes physiques et psychiques.  Même en réalité, ces tableaux ne sont pas simples : leur apparence sensible se forme des interférences et des réfractions de plusieurs formes du temps.  

   Les créatures, dans leur état statique, sont au repos : dans leur état dynamique, les visites qu'elles se rendent sont l'occasion de leurs travaux, le moyen de leurs développements, l'école où elles apprennent à se connaître les unes les autres.  
   Voilà ce que l'on peut dire de la première partie de la demande lancée par l'Amour à travers les espaces sans fin.  A peine la faiblesse humaine a-t-elle traversé l'âme du Sauveur, que la force divine se lève et crie vers le sommet des univers le triomphe certain de la foi : « Père, glorifie ton Nom ! ».  

   Si tout être rayonne, si toute créature, la plus misérable même, possède une splendeur qu'il faut découvrir, soit qu'elle l'ait douloureusement acquise, soit qu'on la lui ait généreusement donnée, il arrive un moment dans son existence où cette splendeur se totalise en une auréole pour le commun, et en une gloire pour l'élite.  On retrouve la figuration de ces rayonnements dans les cercles et les ovales d'or qui entourent les figures de certains dieux brahmaniques, de certains sages bouddhistes et des saints du catholicisme.  C'est ce que la Kabbale nommait la Shekinah.  
   Le nom, par contre, est une formule algébrique.  Si le tact est la porte par où l'externe arrive aux nerfs, le goût, celle du ventre, l'odorat, celle de la poitrine, la vue et l'ouïe sont celles du corps mental.  L'oeil perçoit les schémas, les formes fugaces et changeantes de la lumière : l'oreille perçoit les sons, les paroles, les noms : et le mental, quand il agit sans intermédiaire, perçoit les pensées, les nombres législateurs.  

   Le nom de Dieu, d'après ces données, est donc la formule la plus synthétique par laquelle l'Absolu Se révèle à nous.  Il arrive que, si l'homme s'est trop avancé sur le chemin de perdition, cet Absolu intervienne avec plus de réalité tangible, soit au moyen d'un message angélique, soit en obombrant de Son Esprit un homme élu, soit en Se créant un organisme physique spécial.  
   La vie du Christ est le type de ce dernier mode.  Ce protagoniste du divin possède la connaissance totale et le pouvoir parfait : Il est complètement conscient de Lui-même, de la Nature et de Dieu.  Mais les hommes, Ses pauvres malades, ne Le connaissent pas, ou très peu : ils ne Le comprennent que lorsque, après de longues et pénibles traverses, ils ont mérité d'être inscrits sur le Livre de Vie.  
   L'oeuvre du Roi des anges demeure presque imperceptible, presque irrationnelle, puisqu'elle est du Ciel même, en deçà, au delà, en dehors et au-dedans de la masse cosmique, ainsi que l'avaient autrefois enseigné les anciens rishis, les Kings et le Zohar : elle évertue le sein des nations, les labyrinthes des esprits, les magmas de la matière, sans que personne la pressente; elle rénove, dans l'ombre, les minéraux, les plantes, les bêtes, les intelligences ou en apporte des espèces inconnues.  
   Et, un beau jour, elle éclate, magnifique, universelle, triomphatrice, aux yeux éblouis des créatures, toutes tremblantes d'extase ou de terreur.  Telle est « la gloire du Nom ».  

   Le lointain prodrome de cette apothéose fut le jugement secret qui, voici plus de deux mille ans, condamna le prince de ce monde.  
   Quel est l'être ainsi nommé ?  Aucune des mythologies anciennes, aucun panthéon chinois, hindou, persan, aucun système, ni ceux des gnostiques, ni ceux de Pic de la Mirandole ou d'Agrippa ne contient une entité semblable à celle que les hermétistes chrétiens et les mystiques d'Occident désignent sous ce titre.  Essayons de préciser leurs théories.  
   La terre est constituée, comme toute créature, par une enveloppe matérielle, un énormon fluidique comprenant toutes les forces physiques connues et inconnues, et un moi intelligent, conscient et libre.  

   L'enveloppe pondérable, c'est la materia mundi; l'oeuf fluidique, c'est le spiritus mundi, l'astral de la planète; le moi, c'est l'anima mundi.  De même que l'homme, ce moi planétaire est sollicité dans deux directions opposées : il a en lui deux centres, l'un de ténèbres, l'autre de Lumière.  
   Dans l'univers, le chef de la Lumière, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ; le chef des ténèbres, c'est Lucifer.  Sur terre, le premier a un lieutenant, le Seigneur de ce monde, par qui montent le bien et toutes les prières des habitants de ce globe : et le lieutenant du second est le prince de ce monde, qui centralise tout le mal commis ici-bas.  
   Avant la venue du Christ, par suite de l'égarement millénaire des hommes, le prince de ce monde possédait la suprématie sur leur intelligence et sur les forces telluriques.  Il tenait, lui et son armée, les chemins par où arrivent chez nous les aliments de toute sorte que le cosmos nous envoie.  Il contrôlait les atomes, les poussières minérales, les semences végétales, les races, les fluides, les idées, les sciences, les arts, les rites, les lois, les esprits et les âmes.  Par ses séides et par lui remontaient tous les rayonnements de la terre : les morts, les messagers, les collectifs, les invocations, les désirs d'idéal, les tensions intellectuelles, les souffrances psychiques, les fatigues, les luttes pour la vie, les fermentations physiologiques, les passivités muettes, les alchimies de tout ordre.  

   Et sa tyrannie savante faisait, dans l'ombre, servir à ses fins les peines des créatures.  
   Mais l'arrivée du Christ lui arracha le sceptre.  Le monde passa de cette tranquillité trompeuse à la bataille : tout fut bouleversé et les contrecoups de ces bouillonnements intérieurs se remarquent dans l'histoire si tumultueuse de la terre entière et de l'Europe en particulier.  
   Et plus la race, le continent et la planète approcheront de leur fin, plus la lutte sera terrible.  
   Ainsi donc « soyez prudents comme les serpents » : n'acceptez rien, ne vous inféodez à rien sans réfléchir.  Prenez garde, surtout, à découvrir quel esprit se cache sous les beautés souvent sublimes et fascinantes des doctrines polythéistes et des monuments hiéroglyphiques.  Et tenez-vous en éveil jusqu'à ce que la Rédemption soit parfaite, jusqu'à ce que « le Sauveur, ayant été élevé, aura attiré tous les hommes à Lui ».  

   L'unité est le commencement et la fin de toute chose.  Tout vient du Père et retourne au Père; tout vit par le Fils; tout vibre par l'Esprit.  Le Verbe étant le type synthétique de tous les idéals, Il attire nécessairement les aspirations humaines; Il est la semence solitaire et l'étincelle perdue; mais cette graine travaille d'une vie intense et cette étincelle allume partout l'incendie régénérateur.  C'est la bataille entre le Ciel et l'enfer.  
   Notre moi, produit de notre destin personnel, est saturé des virus du prince de ce monde.  Il faut dissocier ces combinaisons tenaces pour en faire de nouvelles et, comme elles se composent des substances mêmes de notre personne physique, fluidique et mentale, leur dissolvant doit être d'une essence plus haute.  La volonté, si elle était indépendante du composé qu'elle dirige, suffirait à cet office : mais, à cause de la contamination du mal, elle a besoin du secours accidentel de la grâce : elle le reçoit sous la forme de l'influence de l'Esprit, consciemment ou inconsciemment, individuellement ou collectivement.  Les extases et les diverses touches intérieures décrites par les contemplatifs sont, parmi les formes de l'aide spirituelle, les plus extraordinaires et les moins efficaces.  

   Ces immenses travaux doivent avoir pour couronnement la venue du règne de Dieu.  Les Juifs l'ont compris comme une royauté matérielle, et les Extrême-Orientaux, sous un autre nom, l'ont conçu comme un état mental.  Il y a du vrai dans chacune de ces opinions.  La nouvelle Jérusalem sera céleste et terrestre.  Dans son état définitif, elle devient le Royaume de Dieu lui-même, parmi les splendeurs natives duquel brillent d'un éclat plus étincelant les beautés des êtres enfin sortis de la douleur.  Mais, dans ses états préparatoires, la nouvelle Jérusalem se réalise, ici ou là, sur toutes les planètes dont la tâche est parfaite, même seulement parfois dans les parties pures de ces planètes, dont elle constitue les paradis béatifiques : images résumées de la grande harmonie divine où tous vivent et resplendissent dans l'amour pur.