UNE LETTRE DE SÉDIR 1  

 Dans les paroles du Christ concernant nos devoirs envers César et envers Dieu, il y a toutes les marges du temps.

 Alors que César, sous les transformations de ses régimes, garde ses rigueurs, Dieu au contraire, immuablement bon, cherche à les atténuer. Le premier s'imposant par la force et voulant de plus en plus empiéter sur les prérogatives de l'Esprit croit pouvoir réaliser une immédiate justice aux souffrances et aux inégalités humaines. Sans vouloir critiquer les essais contemporains, le moins que l'on puisse en dire est qu'aucune idéologie sociale ne pouvant remplacer l'idéal religieux, les applications de principes demeurent forcement  rigides en des mains sans conscience. Tandis que mettant le désir de charité dans le coeur des hommes, le redressement pourrait plus normalement se réaliser. C'est dans cet esprit que nous transcrivons ici une lettre que Sédir écrivait vers 1922 à un ami aujourd'hui disparu:

    Mon cher L...,
 
    Je vous remercie d'avoir eu la fraternelle pensée de ces visites à nos amis de Lyon, d'Arles et de Marseille.
    Pour la place que vous cherchez à Lyon, je pense qu'il vaut mieux ne pas vous adresser au fils G..., parce que, dans cette famille, ils ont assez à faire pour eux-mêmes et pour deux parents pauvres qu'ils ont à caser.
    De plus, nous devons prendre garde à la tendance innée de notre nature de nous décharger sur d'autres du soin de nos entr'aides. Il vaut mieux que, même au risque de ne pas aboutir aussi rapidement, nous nous occupions nous-mêmes de nos protégés, en aidant nos démarches par du jeûne spirituel. De plus en plus, notre compagnie trouvera sa voie en donnant de l'importance à la contre-partie mystique de notre   charité matérielle.
    Il y a le Ciel, le malheureux et nous (un membre quelconque des A. S.) : c'est une ligne directe; le normal, c'est que cette ligne ne se brise pas, donc que chacun la continue en trouvant lui-même le secours nécessaire au malheureux (place, argent, vêtements) au moyen d'actes et physiques et spirituels.
    Dites-moi si vous avez bien compris et transmettez ces idées autour de vous.
    A vous très fraternellement,
   SÉDIR.
 

 Voilà un exemple entre mille du souci que Sédir avait de nous mettre à l'ouvrage, du désir qu'il avait de déclencher en nous cette forme généreuse de la charité et l'entraînement si difficile à l'amour du   prochain.

 Nous retrouvons à cette courtoisie déférente à notre bonne volonté, la plupart du temps maladroite, ce sens de la mesure en l'opportunité qu'il y a à faire quelque chose et surtout à le bien faire.


 Ici est soulignée l'importance de ne pas charger ceux qui, dans la même voie, ont déjà   suffisamment de travail et de mettre en garde contre cette forme philanthropique « à la chaîne » où il faut à toute force établir des statistiques de fin d'année, mais au  contraire de donner ce sens à l'entr'aide qui ne peut avoir un résultat profond que par des qualités de coeur et de durée.


 Le cas qui se présente étant celui dont nous devons nous occuper, il est nécessaire à cet effet de mettre tout en oeuvre. Sans oublier Dieu! Sainte Thérèse ne disait-elle pas:  « Trois deniers et Thérèse, ce n'est rien; Dieu, trois deniers et thérèse, c'est tout »? Une fois le cas considéré du point de vue critique et   pratique, demander l'aide de la Providence et, pour ceux qui peuvent avoir éprouvé la valeur de l'humble sacrifice, ajouter le « jeûne spirituel » comme « contre-partie mystique ».


 La « ligne directe » de cette lettre est alors claire: il y a le ciel qui ne demande qu'à intervenir; le malheureux qui, pour des raisons que nous n'avons pas à juger, a besoin d'un intermédiaire; nous qui, malgré des moyens très faibles, pouvons avoir l'honneur de devenir cet intermédiaire sur ce plan, peut-être sur d'autres, si  nous voulons suivre l'enseignement évangélique que Sédir nous propose.


   Fernand MAURICE