Une autre lettre de Sédir 5
Voici donc cette sécheresse que chacun porte avec angoisse, comme celle d'une terre desséchée, craquante et ne donnant plus de sève, comme la lèpre honteuse que l'on désire cacher. Rien ne peut plus, semble-t-il, être continué de ce que nous cultivions hier avec joie; toute forme de vie s'étiole et semble vouloir disparaître. Est-ce dépression physiologique, névrose, refoulement, neurasthénie? ou bien incompréhension de l'exté-rieur, abandon des plans supérieurs et de Dieu même?...
Ce drame, pourtant, tout être doit le connaître un jour, à des degrés ou des rythmes différents. A ce que l'on pense être un mal, le médecin, le psychologue, le philosophe portent le jugement de points de vue qui divergent. Ici Sédir, répondant à l'ami désemparé, apporte cette même expérience profonde que l'on retrouve dans tous les écrits de haute mystique; au mécanisme secret de la crise la solution vient offrir, en sa calme logique, les moyens de doubler le cap en se dépassant.
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Il faut, en effet, utiliser la sécheresse, mon bon X... : c'est le bon labourage. Il arrive qu'on serve Dieu avec plaisir, à la suite de L'avoir servi par devoir. Comme l'égoïsme est immortel, ce plaisir pur devient, s'il se prolonge, un plaisir propre. Alors le Ciel nous l'ôte, nous envoie la sécheresse, pour purifier même ce reflet de Sa Lumière en nous. Et, des ferveurs en atonies, nous descendons ainsi, peu à peu, les pentes de l'humilité vraie. Au bout desquelles le disciple se trouve dans une paix joyeuse permanente, parce qu'il n'a presque plus de volonté propre et que tout lui est, non pas indifférent (comme chez les Bouddhistes), mais agréable, parce qu'en tout il discerne le moyen de servir Dieu.
Continue donc tes examens en te servant successivement, de dehors au dedans:
de tes sens externes : yeux, oreilles, sensations;
de tes sens internes : jugement, critique, méditation;
de ton sens intime : Lumière de l'âme communiquant avec le Verbe.
A toi de tout coeur,
SÉDIR.
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Certains pensent résoudre l'épreuve parla négation. Pourquoi? N'est-ce pas mieux et plus avantageux surtout d'utiliser ce temps des réflexions amères en se prêtant au « labour » intérieur?
En notre moi, le sens de l'habitude peut en effet s'installer dans les joies les plus hautes comme dans les jouissances les plus basses.
Involontairement ou cyniquement oublieux de son rôle, l'homme, qui sait cependant être tortion-naire à l'égard de tout ce qu'il commande, doit arriver lui aussi à se plier au plan d'ensemble. Que ce soit devant une loi, une force, ou devant la volonté du Père, le vrai penseur, le grand savant, le génie s'inclinent.
Le mystique et le saint vont plus loin encore. Ils arrivent à comprendre et se prêtent joyeusement à l'ordonnance du cortège grandiose dont nous vérifierons un jour les raisons intermédiaires.
FERNAND MAURICE.