Une autre lettre de Sédir 6 A Sédir on pouvait parler où écrire sur tous les sujets. Aux apprentis artistes comme le musicien que je suis ses réflexions sur l'art ont ouvert des horizons insoupçonnés et splendides. Son goût parfait, son jugement sûr vous plaçaient immédiatement au coeur de la Beauté. En présence d'une oeuvre d'art, Sédir faisait valoir les beautés, dévoilait les faiblesses, évoquait le chef-d'oeuvre que l'artiste aurait dû faire; d'un mot d'un geste il lui donnait la vie, que ce soit musique, peinture, architecture, sculpture. Albert Legrand avait tiré à part sa « Méditation sur l'Art », si simple, si riche, où il hausse l'Art jusqu'à l'Absolu. Les dieux que vous servez par votre art sont, comme nous tous, des serviteurs à leur tour du Dieu suprême, du Christ. Ce dont, à notre époque, l'art a besoin, c'est justement d'artistes qui, par la flamme du coeur, en interprétant les dieux, les ramènent vers Dieu. Comme en littérature, bien des musiques sont païennes, et certaines, qui portent une étiquette chrétienne, comme Parsifal, sont plus païennes que les autres. Mais, heureusement, en art, une fois le métier maîtrisé, le sentiment emporte tout. Jouez donc en chrétien, pour le Christ, pour la Vierge, et les harmonies les plus sensuelles, votre archet les transfigurera. Il est, en effet, admis que l'artiste a besoin des passions, de femmes, et du reste; oui, parce qu'ils sont des athées. Mais, si l'artiste est un chrétien ( ou plutôt un saint ) ces excitants extérieurs seront bien placés chez lui par l'excitant intérieur l'amour divin, la prière, le sacrifice. Il faut arriver à faire sortir de la musique la plus guimauve une émotion pure. On peut y arriver. Besson vous indiquera des passages de Mickiewicz sur la musique chrétienne. C'est neutre de forme, et obscur; mais vous vous y débrouillerez. Élevez votre interprétation de l'oeuvre d'art; en l'élevant vers l'Absolu, vous élèverez en même temps l'oeuvre elle-même que vous interprétez. L'oeuvre est vivante, ne l'oubliez pas. Regardez toujours plus haut, toujours plus profond. Les parallèles se rencontrent à l'infini. C'est ce que Baudelaire a voulu dire lorsque, dans un de ses « Salons », cherchant à comparer Delacroix, Ingres et Daumier, il concluait: «Aimons-les tous les trois. » SÉDIR |