LA GENESE DE LA MALADIE


Un grave engagement tacite se noue à la minute où le disciple se présente devant un malade. Il se tient là au nom du Christ, sous Son couvert, il emploie les forces que Ses souffrances ont créées, il prend Sa place, oserai-je dire. L'intelligence terrestre du malade et des assistants peut ne pas apercevoir cette formidable substitution; mais leurs esprits la voient, les anges la voient, les invisibles la voient. On risque, à chaque seconde, de devenir usurpateur. Le ministère du thaumaturge mystique est une charge écrasante; il exige une persévérance surhumaine, une humilité sans fond.

Il était nécessaire de rappeler ces choses, avant de poursuivre notre étude. Car la tendresse du Père nous cache Sa grandeur; et, quant au Christ, le désir qui Le consume de nous sauver fait qu'Il Se rend si semblable à nous que nous oublions et Sa puissance et Son indicible beauté. Rien que le geste intérieur par lequel nous tournons notre esprit vers Dieu, nous, atomes, en face de l'Etre sans mesure, ce geste, vu véritablement tel qu'il est, devrait nous apparaître comme la plus téméraire des audaces et nous ne devrions nous le permettre que dans les tremblements de la crainte sacrée. Mais, à force d'entendre dire que Dieu est bon. que Son indulgence est infinie, que Son amour nous permet tout, nous perdons le respect, et nos rapports avec Lui deviennent d'une insolente familiarité.

Prenons garde de raviver de temps à autre en nous ces notions élémentaires mais indispensables.

Les prérogatives suprêmes que Notre Seigneur le Christ reçut du Père, Il nous les offre perpétuellement. A nous de les recevoir. Que, pour cela, notre esprit entre dans le palais où des légions d'anges les gardent; les clés de ce palais se forgent par les oeuvres de l'amour fraternel dont les plus simples, les plus difficiles aussi sont l'abstention de la médisance et la défense des absents attaqués. Mais ce n'est pas tout que de faire de temps à autre une visite au palais merveilleux; il faut se rendre capable de l'habiter, d'y vivre comme si nous y étions nés, d'en prendre les manières, le langage et la tournure d'esprit. Appliquez-vous donc systématiquement à cette indulgence pour les défauts du prochain, à cette rigueur pour vos propres défauts, à cette discrétion du langage, à cet élan spontané vers les plus faibles, qui sont les signes auxquels se reconnaissent les coeurs habitant la Lumière.

Des milliers de fois vous devrez répéter le même effort avant que votre langue se refuse à prononcer une parole méchante; mais ensuite vous serez amis du Christ et citoyens du Ciel. Tout ce qui s'y trouve, ses fruits, ses sources, ses harmonies, ses énergies, prototypes éternels des forces naturelles que la science positive et l'occultisme s'ingénient à capter, vous pourrez en disposer. Vous pourrez, au nom de Jésus, commander la maladie, la tempête, la mort, les animaux sauvages, sans entraînement, sans contention, sans formules, sans rites.

C'est cette manière de parler que l'Écriture désigne sous le nom de " don des langues ". L'ami de Dieu prononcera, par exemple, un discours en français, et des auditeurs de n'importe quel pays le comprendront; on l'interrogera dans n'importe quel idiome, il entendra la question, et l'interlocuteur comprendra sa réponse; les animaux même, et les plantes et les pierres peuvent s'entretenir avec le vrai disciple. Au surplus, tout se tient dans l'univers de l'Esprit; l'un quelconque
de Ses innombrables pouvoirs - car il n'y en a pas que sept - procure à celui qui en reçoit le bienfait toute la somme de Lumière que son être peut contenir. Mais ceci est tout un autre sujet.

Pour guérir mystiquement, c'est-à-dire totalement, toute la succession des organes atteints, depuis le centre spirituel jusqu'au corps matériel, depuis l'origine ancestrale de la maladie jusqu'à ses dernières suites dans la descendance, il faut vivre d'une double vie. Il faut voir, entendre, penser, agir sur la terre; il faut également voir les anges et les esprits immortels, leur parler, travailler avec eux, contempler les paysages célestes, saisir les objets divins. Telle est l'existence de l'homme libre.

Avant d'en arriver là, nous ne pouvons que soigner les malades, aider les malheureux et prier pour les uns et pour les autres; nous ne pouvons que cela, mais ces petites choses constituent le plus rigoureux des devoirs. Et, lorsque l'accomplissement de ces obligations capitales nous occasionne des dépenses, des fatigues, des mécomptes, réjouissons-nous, car ces peines, subies par amour, diminueront la dette de nos frères. Si amères que soient nos déceptions, quelque injustifiées qu'elles puissent paraître à notre courte vue, gardons une humble et robuste confiance. Encore bien éloignés de la sublime fonction du " soldat " qui souffre en holocauste, nous végétons dans la prison pour dettes; ainsi, aucune souffrance ne peut nous atteindre qui ne soit juste et supportable. L'injuste, l'insupportable, ce sont des fantômes nés de notre orgueil ou de notre mollesse.

Nos épreuves n'excèdent jamais nos forces. Bien des fois, sans que nous nous en apercevions, Dieu, par l'intermédiaire d'un de Ses serviteurs, proroge l'échéance de ces dettes, nous évite une maladie, un accident, un chagrin. Le peu de bien qu'il nous arrive d'accomplir, souvent notre Père très bon en prend prétexte pour faire dévier de notre chemin la trajec-toire fatale d'une souffrance engendrée autrefois par une de nos fautes; et, à cause de notre effort vers le mieux, la miséricorde divine porte tout de même à notre crédit cette dette impayée.

Que conclure de tout cela ? Qu'une guérison est toujours une insigne faveur. Les procédés illicites, comme la magie ou la volonté, ne guérissent pas, mais suspendent, pour un temps, les effets physiques de la maladie; tout de même qu'un voleur ne cambriole plus tant qu'il est en prison. La médecine ordinaire guérit le corps; mais, comme elle n'atteint pas au spirituel, si le malade libéré n'obtient du Ciel l'effacement de sa faute par un repentir parfait et une vie meilleure, le mal peut reparaître plus tard avec une plus grande violence. Si la guérison arrive par la prière, le patient est pur, à moins qu'il ne retombe dans le même péché qui engendra sa maladie.

Le malade doit bien comprendre que, dans tous les cas, il ne recouvre la santé que si quelqu'un se charge de sa dette. En effet, rien ne meurt qui a une fois vécu. La maladie, lorsqu'elle quitte une de ses victimes, ne meurt donc pas. Mais la résignation des malades, leur courage pour guérir, le regret de leurs fautes probables, leur confiance en Dieu, leurs prières adoucissent progressivement la rigueur du virus morbide; et un disciple pur, un soldat du Christ peut même, par son holo-causte volontaire, changer ce venin en baume et cet enfer en paradis. Les procédés humains chassent, enchaînent ou atténuent la maladie; le procédé mystique seul la transforme et la régénère.

Toutefois personne, et le soldat du Christ pas plus que le simple croyant, n'a le droit de prendre volontairement le mal d'autrui, parce que personne n'est le maître de son corps. Bien entendu, les procédés de substitution, de transplantation sur un arbre ou sur un animal, d'enchaînement magique sont défendus par la loi du Ciel; ce sont des crimes, et c'est à leur sujet qu'on peut dire avec juste raison : le remède est pire que le mal. L'homme libre qui guérit un malade paie à la place de ce dernier, mais par une transposition de mérites, par un virement spirituel; et, quand un médecin guérit un malade par les procédés de la thérapeutique naturelle, il se produit aussi un déplacement de dette, quoique tout à fait autre que le premier; le remède donne un sursaut d'énergie à l'organisme, et l'effort de défense de ce dernier lui vaut une aide gratuite de la miséricorde divine; mais ce n'est que le corps qui, dans ce cas, est secouru; la tache spirituelle demeure, car, seul, un homme libre peut l'enlever, et, l'effaçant, guérir tout à fait. Il n'est pas opportun encore de connaître le mécanisme détaillé de ces phénomènes. Prions plutôt, tous, que nous soyons les malades, ou les médecins, ou de simples serviteurs du Christ.

Un jour, nous posséderons l'Esprit Saint; je veux dire que l'Esprit Saint nous possédera, et Il accomplira, par notre intermédiaire, tout ce que les hommes essaient avec leur cerveau, leur magnétisme ou leur volonté. Aucun être ne résiste aux ordres de l'Esprit, pas plus le caillou du chemin que les soleils de la voie lactée, quelles que soient les circonstances du moment. Les guérisons du Christ, innombrables et instanta-nées, portent toutes le sceau de l'Esprit. N'oublions pas que cette puissance souveraine exercée par les hommes libres comporte la douloureuse contrepartie que je viens de vous signaler : le martyre intérieur et perpétuel de l'Amour. Il est Amour et Il se pose sur les seuls coeurs où ne vit plus que l'Amour. Mais ne soyons pas téméraires; n'essayons pas d'imiter ces existences exceptionnelles; contentons-nous de soulager nos frères par les petits moyens qui sont en notre pouvoir. Ne jamais manquer un seul de ces modestes efforts est une tâche bien assez difficile.