L'HUMILITÉ


Il faut considérer certaines questions d'hygiène collective comme des vaccinations; il faut se conformer aux lois civiles ou militaires, tout en reconnaissant que, si tel est notre destin, aucun sérum ne nous préservera de la typhoïde ou de la variole; et que, si Dieu le veut, nous pourrons sans risque traverser les épidémies et les contagions, même si nous n'avons reçu aucun vaccin. Bien entendu, restons humbles; ne mettons pas à Dieu le marché en main; celui qui esquive l'ennuyeuse
piqûre, pour lui ou pour son enfant, croyant que le Ciel le préservera à coup sûr, celui-là se trompe; celui qui approche des cholériques sans avoir pris l'injection préventive ne doit pas croire que nécessairement le Ciel l'immunisera; si le Ciel juge bon qu'il meure en faisant son devoir, ce sera une belle mort, son passé comme son avenir pourront en être allégés; si le Ciel le préserve de toute atteinte, ce sera encore une grâce, puisque nous ne sommes jamais que des serviteurs inutiles.

De même, en quittant un contagieux, je dois rendre mes mains et mes vêtements aseptiques. Que je ne craigne pas la contagion pour moi-même, c'est affaire à moi; mais je ne devrai jamais exposer d'autres personnes à un tel risque, en transportant sur moi des germes pathogènes. De même encore, suis-je atteint d'une maladie infectieuse, je n'ai pas le droit de laisser ceux qui m'approchent se contaminer; autant que mes forces me le permettent, je veillerai sur les linges salis, les crachoirs, les tasses dont je me sers; je suis responsable des accidents que causent mes négligences. La pelure d'orange, l'allumette encore enflammée que je jette, je suis responsable de l'entorse ou de l'incendie qu'elles peuvent déterminer.

D'une façon générale, chacun doit subir toutes les formes de souffrance, parce que notre coeur est si dur que nous ne comprenons jamais les douleurs de nos frères, et même nous n'y compatissons jamais, sauf si nous les avons expérimentées. Lorsque donc nous avons le choix entre courir un risque et l'éviter, le premier parti est le plus pur : d'abord, il comporte une forte confiance en Dieu; ensuite, puisque nous devons aimer notre prochain comme nous-mêmes, nous devons penser que, si tel accident est pris par nous, il n'accablera pas un de nos frères; c'est ainsi qu'on s'habitue à l'amour divin, en souffrant à la place d'un autre. Je sais bien que ces choses sont dures à entendre pour la sagesse coutumière; n'y voyez qu'une indication vers le plus parfait, et bonne pour ceux-là qui se sont définitivement voués au service du Ciel, avec une humilité profonde et un courage que les épreuves exaltent au lieu de l'abattre.

Des troubles dans les rapports de l'homme spirituel, de l'homme fluidique et de l'homme corporel peuvent engendrer des troubles pathologiques graves, comme l'apoplexie, l'épilepsie et la plupart des maladies mentales. Ainsi, ne forcez pas un enfant qui a peur de l'obscurité à dormir sans une veilleuse; l'enfant peut sentir ou voir des présences que nous, adultes, ne percevons plus; il est des formes semi-matérielles qu'une lumière éloigne; les terreurs nocturnes peuvent déterminer chez l'enfant des crises nerveuses et jusqu'à des tumeurs. Ne réveillez pas non plus brusquement un dormeur paisible, ni un sujet en somnambulisme. Il ne faut même pas ramener soudain à la réalité un individu profondément absorbé dans ses réflexions. Les cas de mort subite sont bien assez nombreux sans les multiplier par des gestes imprudents. Les anévrismes ont des causes physiologiques que les médecins connaissent, mais aussi des causes hyperphysiques, dirais-je; que l'esprit d'un homme errant dans les espaces intérieurs soit rappelé dans son corps d'une façon trop brutale, il se produit un afflux de sang au coeur, au cervelet ou au cerveau, à la violence duquel les vaisseaux doivent résister, sans quoi la mort s'ensuit.

Il ne faut pas envoyer au loin notre pensée dans le but de nous soumettre la pensée d'une autre personne, même si on fait cela dans une intention honnête. Car ma pensée, errant dans l'espace à la recherche de l'autre pensée, peut subir des attaques d'êtres hostiles, ou prendre des germes morbides en traversant à l'aventure des régions malsaines, ou perdre son chemin, ou provoquer une frayeur chez l'individu qu'elle visite. Elle peut lui apporter, sans le vouloir même, une maladie, ou en rapporter une, au retour, à son propre corps; elle peut faire sortir l'esprit de la personne visée, qui devient folle alors. Ou bien certains êtres, profitant de son éloignement, peuvent envahir ma personne, et c'est moi qui deviens fou. Les diverses formes de l'aliénation mentale ont presque toujours leur origine dans une crise de l'inconscient. Un esprit humain, sorti de son corps, peut entrer, de gré ou de force, dans un autre corps; un esprit humain qui a voulu en subjuguer un autre, la Justice le condamnera peut-être à devenir à son tour l'esclave de quelque invisible tyran; un esprit humain, qui cherche obstinément quelque mystère défendu, perd son contrôle et désorganise son cerveau; autant de causes de maladies mentales qui échappent à l'enquête de l'aliéniste. Bien des actions mauvaises encore déterminent des ligatures dans nos organes, que toute l'habileté du médecin ne parvient pas à découvrir; une paralysie locale, une tumeur, une défor-mation, un rhumatisme peuvent parfois n'être que les signes physiologiques d'une possession partielle.

Je terminerai ces brèves indications en vous rappelant une fois de plus que je ne les donne que comme de petits exemples de la complexité des phénomènes vitaux et de la gravité de nos actes. Tout l'inconnu que nous découvrons à chaque pas doit faire naître dans nos coeurs l'humble sentiment de notre ignorance et la notion vive de nos responsabilités. Mais ne nous servons jamais des lueurs que le Ciel nous laisse apercevoir pour rechercher les causes premières des maladies, ni pour juger nos frères; utilisons-les seulement pour réduire nos propres égoïsmes, nos orgueils et nos paresses. C'est envers les autres qu'il faut être indulgent; envers nous-mêmes, soyons toujours rigoureux.

A celui donc qui s'adonne à la prière pour les malades, l'humilité, la sévérité pour lui-même, la mansuétude pour autrui sont indispensables. La prudence aussi.
Pour guérir mystiquement, il ne faut d'autre savoir que la compréhension de son propre néant, d'autre énergie que la force de contrarier le moi. Il faut une surveillance perpétuelle de cette volonté propre, si vivace, si têtue, si souple, qui se glisse dans nos plus purs désirs. Elle est vraiment l'hydre aux cent têtes; enchaînée ici, elle se redresse à côté; réduite par un geste de forte abnégation, la voilà qui reparaît quelques minutes ou quelques semaines plus tard. Certes, le grand oeuvre moral est l'entreprise la plus formidable qui soit; sachons toutefois que, plus on y avance, plus les difficultés grandissent, plus les secours abondent; et ce triple accroissement harmonique monte jusqu'à la naissance de l'homme libre, être parfait que l'Esprit Saint construit en combinant notre personne, nos tentateurs convertis par nous et nos collaborateurs de toute sorte avec Son souffle régénérateur.

L'humilité est tellement indispensable aux rapports mystiques du Ciel avec l'homme que Dieu parfois cache à Ses serviteurs tels faits dont la connaissance serait susceptible d'éveiller en eux quelques sentiments de gloire trop difficiles à réduire. Ainsi en fut-il pour les Apôtres qui, tout le long de leur vie terrestre, ignorèrent la dignité de leur origine spiri-tuelle. Aujourd'hui même, dans les cercles d'illuminés, on ren-contre en foule des soi-disant réincarnations de personnages célèbres, des Jeanne d'Arc, des Marie-Madeleine, des Vierges Marie, des Napoléon, des Charlemagne. Il ne faut pas rire de cette candeur; nous ignorons tout des ressorts secrets de l'inconscient et, en fait, bien peu d'entre nous sont indemnes de vanités plus ou moins ridicules. Ce qui importe, c'est de mettre en garde la bonne foi du chercheur. Aucun envoyé de Dieu ne connaît sa propre identité spirituelle. Dès l'instant donc qu'un homme se donne comme la réincarnation d'un apôtre, par exemple, cela signifie qu'il est ou un visiteur ou un halluciné. Appliquons-nous donc à rester humbles de toutes nos forces; souvenons-nous que Judas était le plus avancé des apôtres et qu'il est tombé par orgueil.

Nous pouvons ici apercevoir pourquoi le récit évangé-lique raconte, tout de suite après avoir parlé de Ses guérisons, comment les Juifs bien pensants s'étonnaient de voir Jésus vivre avec des gens de peu, comment Ses disciples devaient vivre dans la joie, et ce que vient faire, juste à ce moment du récit, la parabole de la pièce neuve et du vin nouveau.

Il est d'autres maladies que les désordres physiologiques. L'ignorance est une maladie, la grossièreté est une maladie, les préjugés sont des maladies, toutes aussi graves que des cancers ou des tuberculoses; et, comme la simple présence de Jésus calmait les troubles du corps, Son regard et Sa voix dissipaient aussi les vices de l'intelligence et des moeurs. Nous voyons tous les jours le soleil et le grand air emplir nos corps d'une allégresse physique; ce soleil parfait qui est le Christ béatifie infiniment davantage la totalité de notre être. Sa loi n'est pas rigueur ni pénitence, elle est délivrance et douceur; elle chasse tous les nuages, rompt toutes les chaînes, délasse toutes les fatigues. Nous qui aspirons à faire figure de
disciples, nous devrions nous tenir par dedans assez près du Maître pour nous baigner dans Son rayonnement pacifique, pour que Sa joie souveraine illumine nos visages et rayonne sur nos frères le bonheur des certitudes éternelles.

Mais la pièce neuve emporte l'étoffe usée et le vin nouveau perce l'outre vieillie. C'est ce que font les maîtres non-chré-tiens de la vie spirituelle. Ils ne peuvent pas rénover la personne entière de leurs disciples; selon leur pouvoir, ils recousent çà et là, ils font des reprises, ils versent une liqueur trop forte dans une intelligence raidie, dans une sensibilité usée. Seul Jésus, qui nous connaît de fond en comble, peut nous régénérer de fond en comble. Aussi, quand des âmes viennent à vous, soyez prudents; aidez-les par votre exemple plus que par vos discours, par vos sacrifices secrets plus que par vos remontrances, par vos prières plus que par vos ensei-gnements. Seul le Christ peut nous présenter le vin très ancien de la Sagesse éternelle; la sagesse temporelle ne nous donne que des vins nouveaux.

Cette parabole fait aussi allusion aux excès de pouvoir dont se rendent coupables certains initiés qui cherchent l'immortalité terrestre. Qu'ils emploient pour cela l'alchimie ou la magie ou la volonté, leurs procédés en reviennent toujours à chasser l'esprit d'un homme habitant un corps jeune et vigoureux pour s'installer dans ce corps. Ils se rendent ainsi coupables, quelle que soit la sublimité apparente de leurs motifs, d'un assassinat plus lâche que celui du criminel vulgaire. Mais heureusement nous n'avons pas à connaître de ces cas de conscience.