LE CENTURION
Il me semble que l'histoire du centurion de Capernaüm indique toutes les conditions nécessaires pour obtenir les grâces du Ciel.
Cet homme souhaite que son serviteur fidèle guérisse, comme nous désirons que nos serviteurs fidèles, notre corps, nos facultés, ne souffrent pas. Il est un homme de bien; il a aidé les gens au milieu desquels il vit, comme nous devons aider à vivre ceux qui nous entourent. Il est humble; il ne se sent pas digne de se présenter devant le Seigneur, il ne se sent pas digne même de recevoir la visite salvatrice; il ne demande qu'une parole : il sait que la distance n'existe pas pour le Tout-Puissant, et que, si éloigné que soit le lieu d'où nous L'appelions, Sa présence est toujours immédiate. Voilà sept exemples à imiter.
Certes, une telle foi est admirable, et nous nous estimerons bien heureux quand elle se lèvera en nous spontanément. Pour l'obtenir, il faut faire comme ce centurion : notre devoir, en toute simplicité. La tournure d'esprit qui nous montre d'abord les choses sous leur aspect complexe est utile, certes, et délie notre cerveau; toutefois ce n'est qu'une école, un apprentissage. Celui que la Lumière touche voit bien la complication du monde, mais il ne s'y empêtre pas; le lien vivant qui l'attache à l'Unité lui découvre dans chaque détail par où l'ajuster sur l'ensemble, et aucun imprévu ne le déconcerte.
Ainsi, d'un coup d'oeil, le centurion a vu le Christ comme un chef d'armée qui donne des ordres à ses nombreux ser-viteurs et soldats, ordres que ceux-ci exécutent avec une intelligence et une promptitude bien plus parfaites encore que celles, pourtant admirables, des subalternes de l'officier romain. Cet homme ne s'est pas perdu dans la forêt des théories ésotériques ou religieuses; du premier regard, il s'est rendu compte que les maladies sont des êtres, que leur guérison est un acte spirituel, que, dans le monde de l'Esprit, l'espace et le temps s'évanouissent, que la parole de Dieu est la vie même et l'acte pur.
Tout ce que l'on peut faire pour obtenir la vraie foi, la foi vivante et pratique, se résume donc à prendre l'habitude d'une conversation permanente avec Dieu : parler à Dieu comme à un interlocuteur présent. Entraînons-nous à cela. Cinq minutes matin et soir n'y suffisent pas. De même qu'un adolescent surveille sans cesse son langage et son maintien, de même chacune des secondes qui, vingt fois dans la journée, séparent nos diverses occupations doit se remplir d'un retour soudain vers le Christ, d'un exhaussement de notre courage, d'une reprise centrale de notre interne. C'est une longue discipline sans doute; mais l'acquisition de n'importe quelle maîtrise, la plus matérielle même, n'exige-t-elle pas une aussi persévérante contrainte ? Il nous a été dit, il y a bien des années déjà, que de " sourire aux ennuis est le commencement
du chemin qui mène à la foi ". Une si puissante sérénité ne peut s'épanouir que par un commerce perpétuel avec Dieu, à force d'élever nos coeurs au-dessus des pauvres petites vicis-situdes terrestres, à force de solliciter le miracle, à force de savourer notre néant.
L'humilité, en effet, constitue la terre nourricière de la foi. Ces fils du Royaume, destinés par la Providence à accueillir ici-bas le Dieu vivant, s'ils sont jetés dans les ténèbres extérieures, c'est à cause de l'orgueil qu'ils ont ressenti à se voir la nation élue; et ces nations étrangères, venues de l'Orient et l'Occident, si le Père les admet à Ses festins, c'est à cause de leur humilité.
Ainsi, l'accomplissement tout simple de tout notre devoir, une humilité vraie, la pensée vivante de notre Père : voilà ce qui fait croître la foi; et la foi, à son tour, nous permettra de répandre tout autour de nous les miracles de la bonté divine. Nous allons, n'est-ce pas ? nous remettre à la besogne. Il me semble souvent découvrir en vous une certaine inquiétude, une certaine timidité anxieuse, du doute enfin; cela stérilise toutes vos peines. Reprenez votre souffle, assurez-vous, calmez-vous, et à l'oeuvre. Que pouvez-vous bien craindre ? La fatigue ? vous l'avez si souvent vaincue déjà; l'échec ? mais vous Servez un maître excellent qui regardera vos peines avant vos succès. Vous servez le maître le plus sage; quand Il ne vous fait pas remporter une victoire écla-tante, c'est que la défaite apparente est meilleure et pour vous et pour vos adversaires.