LA PREDICATION DU VERBE
Ainsi donc, après avoir renvoyé à leur maître les disciples de Jean-Baptiste qui étaient venus l'interroger de la part du prince de la Repentance, Jésus, S'adressant à la foule, s'écrie justement : " Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute ! "
Bien des savants déclarent reconnaître que la vie est par-tout; ceci n'est reconnaître le Verbe que dans le cercle des perceptions sensibles. Bien des artistes et des poètes chantent ou peignent les beautés de l'harmonie universelle; ceci n'est reconnaître le Verbe que dans la sphère des émotions animiques. Bien des philosophes découvrent une organisation vivante dans le jeu des lois abstraites; ceci n'est reconnaître le Verbe que dans le ciel glacé de la métaphysique. Réactions physico-chimiques, ondulations et vibrations des énergies cosmiques, émanations et concepts, subjectivismes et panthéismes, tout cela n'est que des ombres projetées sur divers écrans par l'Etre divin qui voyage à travers le monde.
Ceux qui reconnaissent Jésus-Christ comme unique Fils de Dieu, venu en chair et ressuscité, sortent de l'Ombre et entrent dans le Réel.
Toutefois, bien des chrétiens ne confessent une telle foi que de bouche, par entraînement, par obéissance; d'autres, plus consciencieux, se sont enquis d'un système de preuves morales ou de démonstrations logiques, en faveur de cette vérité; d'autres enfin, sentant que le vrai n'est le vrai que lorsqu'il s'exprime par de la vie, se préoccupent de donner la vie à cette vérité indispensable en la mêlant à leurs pensées, à leurs sentiments, à leurs paroles et surtout à leurs actions. Ceux-là sont les disciples, les serviteurs, les amis de Jésus.
Quand je dis : ceux qui n'acceptent pas cette vérité appartiennent à l'Antéchrist, je ne jette pas sur eux l'anathème; je les classe simplement. Ils sont à plaindre plus qu'à condamner; ils sont à éclairer, non pas à fuir.
La religion est une chose vivante; c'est la chose au monde où la vie est la plus intense. L'acte y est plus important que la pensée, la ferveur plus importante que la règle. Saint Augustin n'a-t-il pas écrit : " Aime, et fais ce que tu voudras " ? Mais il faut aimer en action et non pas seulement en intentions.
Les grands conducteurs d'hommes utilisent diverses méthodes pour conquérir les foules. Les uns y parviennent en imposant un système de règles et de disciplines précises; les autres, en conduisant l'opinion par une publicité habile. D'autres enfin, et ceux-là seuls sont de vrais apôtres, entraînent et convertissent par l'attrait vivant de l'exemple. Soyez érudits, diserts, habiles dialecticiens, les incrédules que vous convertirez le seront par l'intelligence et dans leur intelligence. Pour qu'ils deviennent de vrais disciples, il leur faudra tôt ou tard faire l'effort de sortir des domaines intellectuels pour entrer dans le royaume du coeur. Soyez autoritaires, les résultats obtenus seront encore plus superficiels et précaires.
Mais portez dans votre coeur la conviction ardente que vous n'êtes rien, que vous ne possédez rien, que vous ne pouvez rien, que Jésus est tout et peut tout et vivez selon la coutume au milieu des gens de votre condition, vous montrant serviable avec tous, indulgent, prévenant les demandes des pauvres honteux, donnant même un peu plus que ce que l'on vous demande. Sans doute il s'en trouvera, parmi vos obligés, qui vous exploiteront et se moqueront de vous; ceux-là, le jour où leur méchanceté vous laissera tout à fait indifférent, vous pourrez ne plus les accueillir; mais les autres, sans que vous ayez jamais essayé sur eux aucun sermon, se demanderont pourquoi vous vous conduisez de la sorte; ils vous le deman-deront à vous-mêmes; et ce que vous leur répondrez alors germera en eux. Vous aurez greffé un sauvageon sur le Cep éternel. Vous aurez instruit vos frères dans la connaissance du Verbe.
Nous ne saurions trop nous le redire : l'accomplissement de l'Évangile procure tout : santé, chance, argent, connaissances, éloquence, lorsque ces choses terrestres sont utiles à l'un quelconque de nos frères, ou même lorsqu'elles nous sont nécessaires à nous-mêmes. Bien entendu, dans ce dernier cas, à condition que l'on n'ait pas fait les gestes du disciple avec l'espoir d'une récompense personnelle. La première condition pour se faire entendre du Ciel, c'est le désintéressement.
Souvent des incrédules, les plus instruits, les plus habiles, se sont trouvés confondus par un simple, ignorant, mais disciple authentique éclairé par son Maître. Bien plus, en prévision des attaques innombrables que la vérité christique est appelée à subir au xxe siècle, le Ciel a voulu que cette confusion du Savoir humain par la simplicité mystique se multiplie. Il s'agit là d'une application de la parole célèbre :
"Lorsque vous serez devant les tribunaux, ne vous inquiétez pas de ce que vous aurez à dire ".
Cette promesse est pour nous. A nous de nous rendre capables de recevoir l'inspiration de l'Esprit Saint. Tout nous est offert et il suffit de consacrer nos forces entières à préparer dans nos coeurs le tabernacle le moins indigne possible de ces dons surnaturels.
Il est imprudent de parler du Christ, Fils de Dieu, sans discrétion. On peut provoquer la raillerie : on peut faire du mal comme si l'on donnait une nourriture trop forte à un nourrisson; on peut scandaliser si l'on n'offre pas à l'auditeur l'exemple d'une conduite parfaitement digne de l'Idéal qu'on lui affirme. Il ne faut pas, non plus, se montrer craintif. La véritable prédication, c'est notre existence; si nos actes pro-voquent des questions, répondez, avec calme, avec mesure, sans acrimonie, sans hauteur.
La joie que Jésus accorde à ceux qui Le reconnaissent n'est pas seulement future; elle est actuelle aussi. De même que les petites misères de la vie ne troublent point l'enthousiasme de l'artiste, la sérénité du philosophe, la force du réalisateur, voués à quelque grande oeuvre, de même notre commerce avec Jésus remet à leur vraie place, qui est petite, tous, ces inconvénients, ces froissements, ces piqûres que nous voyons mettre hors d'eux-mêmes tant de nos contemporains. Et cette paix profonde et vivante ne ressemble pas à l'indifférence, à l'impassibilité du stoïcien.