LE MAGNÉTISEUR


             Quelques jours plus tard, en revenant chez Andréas, je le trouvai causant avec le magnétiseur de province. Les cures de ce dernier avaient indisposé le syndicat des médecins de sa ville; et on l'avait cité en correctionnelle. Ce brave homme était fort en colère; il n'en finissait pas de déclamer contre ces ignorants en us, qui prennent si cher aux pauvres malades et qui les guérissent si peu. Il insistait, avec des anecdotes à l'appui, sur leur âpreté au gain, sur leur manque de dévouement, sur leur intolérance, et ainsi de suite.

Andréas s'efforçait de le calmer.

- Vous faites en ce moment, lui disait-il, comme ces orateurs de Loges qui, parce que quelques prêtres se montrent peu dignes, englobent tout le clergé dans la même réprobation. je ne suis pas pratiquant; je n'ai pas non plus dans la science officielle une confiance illimitée; mais je sais qu'il y a de braves gens partout. je connais quelques prêtres admirables, et quelques médecins aussi; et, à tout prendre, n'importe quelle corporation compte un nombre égal d'ambitieux, d'avares ou d'égoïstes. Vous dites que les docteurs se font trop payer. Ce n'est pas exact pour les médecins de campagne ou de quartier. Leurs six ou sept années d'études leur ont coûté cher, ils ont payé leur diplôme; ils ont une patente, un certain train à soutenir, femme et enfants à entretenir. De quel droit exigez-vous d'eux une qualité d'abnégation que pas un homme sur mille ne possède?

- Mais pourquoi m'empêchent-ils de guérir, puisque je peux le faire mieux qu'eux?

- Eh! mais, vous êtes un concurrent; ils luttent. C'est la vie, cela, ce n'est pas l'idéal, j'en conviens; mais où est-il, celui qui réalise l'idéal? Les dommages-intérêts qu'ils vont vous faire payer remplaceront la patente à laquelle vous échappez.

- Au fait, avoua le magnétiseur, c'est assez juste, ce que vous dites là; je n'y avais pas pensé. Il est vrai, ils ont payé pour avoir la permission d'exercer...

- Tandis que vous, vous guérissez naturellement, sans études, ou du moins après des études très sommaires en comparaison de celles des Facultés de médecine. Et puis - entre nous, on peut bien tout se dire, n'est-ce pas? - vous guérissez, d'accord; mais on vous paie, quoique moins cher qu'une sommité médicale. Ensuite, êtes-vous bien sûr de guérir toujours?

- Ça, répondit le magnétiseur, c'est vrai; j'ai eu quelques échecs, mais bien rarement.

- Oui, je sais, mais ce n'est pas de cela que je veux parler; je pense aux malades qui, en sortant de chez vous, ont l'air d'être guéris. Etes-vous bien sûr qu'ils le soient radicalement?

- Mais oui, j'en suis sûr, dit le magnétiseur un peu surpris. que voulez-vous dire?

- Simplement ceci : que souvent vous ne guérissez qu'en apparence et pour un certain temps, au bout duquel la maladie revient sous une autre forme. Est-ce que, par hasard, vous rendriez vos  malades immortels?

- Non, évidemment.

- Donc, vous ne les guérissez qu'en partie. J'ai l'air de dire des paradoxes; mais écoutez-moi un peu. Vous, vous êtes partisan de la théorie des fluides; une maladie, c'est de mauvais fluides; vous les chassez, vous en mettez de bons à la place; très bien. Un de vos collègues donnera des herbes; un autre agira par la volonté; un troisième emploiera les esprits. Au fond, tout cela revient à peu près au même. Mais ces mauvais fluides que vous chassez, où vont-ils? Quand vous avez des cafards dans votre cuisine, vous bouchez les fissures, et les cafards vont chez le voisin. Vous ne vous êtes jamais demandé où allaient ces forces morbides que votre force curative fait partir? Elles vont ailleurs, cherchant un autre organisme disposé à les recevoir.

- Mais alors, monsieur, dit l'homme, embarrassé, alors je ne dois plus magnétiser? Que voulez-vous que je fasse?

- Mais si, continuez. Vous faites bien, vous avez le devoir de soulager par les moyens que la Nature vous a fournis; vous faites très bien, je désirais seulement vous laisser comprendre que vous n'êtes pas tout-puissant, que vous n'êtes qu'un peu plus fort que les médecins, un petit peu plus - et cela, parce que vous croyez à la Vie.

- Je vois surtout que vous détruisez la confiance que j'avais en moi. Mettez quelque chose à la place; dites-moi quelque chose.

- Eh bien! je ne vous dirai pas que, si quelqu'un tombe malade, c'est qu'il l'a mérité, et qu'il faut le laisser souffrir pour qu'il expie...

- Oh! non, interrompit le magnétiseur, vous me diriez cela que je ne vous écouterais plus. Je n'ai rien à voir dans ces théories de savants; je suis du peuple, moi; mon père n'a pas pu me faire donner une grande instruction. Je ne connais qu'une chose, c'est que, si quelqu'un souffre et que je puis lui enlever son mal, je serais un drôle d'individu si je ne le faisais pas.

- Je sais, répondit Andréas; vous êtes un brave coeur. Vous n'économisez jamais votre peine, et vous êtes droit. Je vous conseille au contraire de continuer votre magnétisme. Mais comment empêcher que les mauvais fluides aillent plus loin faire du dégât? Par la magie? Certes, il est possible de conjurer, d'attacher un mal à un endroit quelconque; mais, plus tard, un orage terrible éclaterait sur votre tête. Par vos propres moyens? Mais vous ne voyez pas ces fluides. En vous aidant d'une somnambule? Oui, si votre sujet se trouve parfaitement lucide et si vous pouvez le protéger, car, en sommeil, on est bien plus vulnérable qu'à l'état de veille. Or, il n'existe pas de sujet qui voie tout, pas plus que de savant qui sache tout. Ainsi, il ne nous reste qu'une seule ressource, c'est d'avoir recours au Maître de la vie et de la mort.

- Dire des patenôtres? fit le magnétiseur avec une moue. Mais les bonnes femmes qui passent leur vie à l'église, est-ce qu'elles guérissent? Au contraire, c'est les plus cancanières et les plus mauvaises.

- Laissons les dévotes. Dieu ne nous a commandé que d'être charitables. Quand vous étiez petit, si vous rapportiez des bons points le samedi soir, votre père vous donnait des sous le dimanche.
Continuez comme cela. Aidez les pauvres encore un peu plus que vous ne faites, ne vous mettez jamais en colère et, quand vous êtes devant le malade, adressez-vous à Dieu, dites-lui : « je ne sais pas comment m'y prendre : aidez-moi; je vais passer à ce malade la force vitale que vous m'avez donnée; guérissez-le avec cela, et veuillez arranger les choses ensuite ». Puis, vous opérez comme à l'ordinaire.

- Tout de même, le bon Dieu aurait fort à faire si...

- Ne vous inquiétez pas de cela, interrompit Andréas. Vous savez bien qu'au château le régisseur est plus fier que le maître; eh bien! avec le bon Dieu, plus on est simple, mieux Il nous entend. Et n'oubliez jamais que les malades ne guérissent que parce qu'Il le veut bien.

- Pourtant, Il ne peut pas vouloir qu'on souffre?

- Au contraire, Il voudrait qu'on soit heureux; c'est pourquoi nous avons toujours un peu moins de mal que nous ne devrions, en toute justice.

- Mais pourquoi faut-il qu'on souffre'? Dieu pourrait bien nous éviter cela?

- Oui, si nous n'avions pas la tête dure. Nous nous obstinons à ne pas faire ce qu'Il nous dit. Quand on a rendu à la cave une trop longue visite, le lendemain on a mal à la tête. Ce n'est pas Dieu qui envoie la migraine; c'est la Nature qui réagit. Les maladies n'ont pas d'autre cause. On se conduit mal; cela gêne d'autres êtres, naturellement, visibles et invisibles; pas de raison pour qu'ils se laissent piétiner sans rien dire; ils protestent. Et alors, cela engendre la maladie, le malheur, la malchance. Voilà pourquoi il faut dire à Dieu : « Guérissez ce malade si telle est votre volonté »; car Il se pourrait que la personne en question supporte la maladie, et qu'elle supporterait moins bien le chagrin ou la perte d'argent remplaçant la maladie que vous, guérisseur, vous désirez lui enlever.

- Bien. J'ai compris. En somme, il faut faire le mieux que je peux, mais ne pas m'obstiner à guérir quand même.

- C'est cela. Voyez-vous, il y a vingt façons de se casser la jambe; c'est toujours une jambe cassée. De même, il y a vingt façons de guérir; c'est pour cela qu'un homme qui guérit peut ne pas être un brave homme. Un médecin dur et avare guérira s'il est savant. Ainsi, certains êtres de l'Invisible peuvent donner à quelqu'un le pouvoir curatif, parce qu'ils obtiennent par là une mainmise sur les malades.

- Mais alors, tout cela est fort dangereux, s'écria le magnétiseur.

- Oui, c'est dangereux. Mais vous, vous n'avez rien à craindre de ce côté-là, pourvu que vous vous souveniez bien que vous n'êtes qu'un instrument dans la main de Dieu. Le bon Dieu ne permet jamais que l'on égare ceux qui ont confiance en Lui.