LA CHARITE MENE A L'UNITE


Où sommes-nous ? Tous sur la terre. Où désirons-nous aller ? Tous ensemble dans l'Absolu. Mais la distance est énorme, aussi grande que les nombres astronomiques peuvent nous en donner l'idée. Et nous ne pouvons pas tous prendre le même chemin, parce que nous ne sommes pas identiques les uns aux autres. Quand des voyageurs partent pour des directions opposées, ils voient chacun des paysages différents, des villes, des peuples, des monuments, des musées différents. Voilà les diverses religions, les diverses initiations. Mais tous ces voyageurs accomplissent le même acte : ils marchent ; sans quoi ils ne seraient pas des voyageurs. Voilà le rôle de la morale. Sans elle, on a beau accumuler mystères, rites, sciences, on n'avance pas. Avec elle, sans rien d'autre, on avance d'autant plus vite qu'on ne s'arrête pas aux curiosités de la route.

Le jour où deux spiritualistes seront devenus incapables de dire du mal l'un de l'autre, ils auront plus fait pour l'union des écoles que s'ils avaient réuni vingt congrès et signé vingt volumes d'exhortations.

Trouvez-moi deux hommes qui soient des saints ; je veux dire des hommes de bon sens, de volonté forte, et qui aient réalisé chacun l'idéal pratique de leur religion. Ils auront tôt fait de s'entendre ; des hommes dont l'existence entière ne soit qu'une continuelle évocation de la Providence, à force d'offrir à l'unité toutes leurs fatigues physiques et morales. l'Unité descend en eux, ils apprennent à l'incarner, ils deviennent capables de lui construire un corps organique dans le collectif social.

Autant la foi chrétienne excède l'impassibilité stoïcienne, autant la fraternité christique excelle sur la noblesse des amitiés humaines. Celles-ci comportent l'estime, la confiance, la communauté des goûts, le partage de la bonne et de la mauvaise fortune ; l'amitié chrétienne, c'est tout cela, mais offert sans attente de réciprocité, tout cela surabondant, survivant à l'ingratitude et à la trahison, donné à tous sans distinction ; c'est l'école de cette future société divine où chacun sera le serviteur de tous, où tous s'uniront à l'envi pour aider l'un d'eux, serviteurs et non esclaves, frères plutôt que serviteurs.

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L'effort vers la perfection est donc le travail normal de tout chrétien. Et, si je me place en dehors du point de vue ecclésiastique - qui, en somme, n'est qu'un point de vue au milieu d'une centaine d'autres -, je ne vois pas de motif pour accorder une prééminence à la vie contemplative. Le mot de Jésus sur Marie assise à Ses pieds : « Elle a choisi la bonne part » ne s'appliquait pas aux manières d'être des deux soeurs, mais à leurs intentions. Le chemin du contemplatif passe par les hauts plateaux ; celui de l'homme d'action est dans les défilés ; mais tous deux se rejoignent aux cimes, là où le soleil immuable de l'Amour unitif magnifie perpétuellement toute créature et tout objet.