LA RECHERCHE DU DIVIN
Le désir de l'Absolu, la soif de l'Infini, la ferveur vers la Perfection se dressent en nous avec une énergie tellement impérieuse qu'elle nous contraint, presque malgré nous, de nous mettre en marche vers l'Idéal. De quels objets est-il possible que le désir, père de la volonté, s'inquiète ? Ils appartiennent à trois catégories. Dans la première et la plus basse se rangent la matière, le confort, la paresse, le repos, l'inertie, le sommeil, le non-agir en un mot, dans tous les plans, pour le corps et pour l'intellect. Dans la seconde, c'est la soif de posséder, de conquérir, de jouir, de découvrir, de lutter; c'est l'exaltation de soi-même. On travaille alors sans repos, on apprend à sacrifier une joie pour en obtenir une autre, dans le domaine religieux social, économique et individuel. La troisième ne se découvre qu'à l'aube grise de la satiété. Quand le moi sait que l'inertie est un suicide, et l'activité propre une illusion, il cherche ailleurs la vie et le réel. Ayant connu que le travail lui est nécessaire et obligatoire, il s'enquiert d'un but éternel, puisque tous les buts temporels lui échappent plus ou moins vite; et il ne trouve ce but, en dehors de l'argent, de la puissance, de la gloire, de la science, de l'amour et des créatures, qu'en Dieu seul. Les prudents reviennent alors à leur religion natale, dans les dogmes et les rites de laquelle ils découvrent les lumières certaines qui les consolent de leurs déceptions. Les aventureux vont à l'une des écoles du spiritualisme libre. Les théories spiritualistes actuellement en faveur se rattachent toutes aux anciens mystères ésotériques. Elles aboutissent fatalement au non-agir oriental. Les adeptes disent : " Avant de pouvoir aider mes frères, il faut que j'aie d'abord atteint ma perfection ". Ils oublient que, parce que l'homme est enfant de Dieu, ses possibilités réelles sont par delà le Relatif et que tout ce qu'il sera capable de conquérir par lui-même comportera des limites, quelque vastes qu'elles soient. Aucune de nos conquêtes ne comblera le vide infini de notre coeur. Une seule issue nous sortira de cette impasse : parce que nous sommes enfants de Dieu et Ses héritiers, il nous suffit d'attendre notre hoirie en consacrant nos jours à ces travaux coutumiers, dont les formes sont multiples, mais dont la conscience ramènera toujours le caractère à la qualité essentielle : la perfection morale. Une seule méthode existe qui convienne à toutes les intelligences, à toutes les bonnes volontés, à toutes les situations : c'est l'Évangile. L'Évangile est le principe du christianisme dont le dogme unique est : la foi en la divinité du Christ, et la loi unique : l'amour du prochain. De toutes les doctrines chrétiennes, la voie catholique offre les enseignements les plus vrais, les beautés les plus riches, les méthodes les plus vigoureuses. Mais il se trouve des coeurs auxquels sa prudente économie parait trop lente, et son dogmatisme trop rigide. Peut-on critiquer leur impatience de liberté ? Non, puisqu'elle les pousse au mouvement. Le Christ ne les rejettera pas à cause de leur hardiesse : n'a-t-Il pas dit que le Royaume des Cieux souffre violence ? Si ces enthousiastes escaladent les pentes de la montagne mystique par le sentier des pâtres, Jésus, de qui vient toute flamme, les abandonnera-t-Il ? Bien au contraire; Il enverra au-devant d'eux un guide extraordinaire, puisque, pour Le joindre plus tôt, ils n'ont pas craint l'extraordinaire. Ils ne comprennent pas le langage de la théologie, mais seulement celui de l'expérience. Ils n'écouteront pas les génies, ni les dieux, mais seulement Celui qui, descendant de la Cime à leur rencontre, leur prouve Sa mission et gagne leur confiance. Celui-là seul peut conduire les hommes qui, par expérience en connaît les besoins, les faiblesses, les désirs, qui a nourri les mêmes espoirs et parcouru les mêmes routes. Celui-là seul peut conduire les hommes que le Père autorise à puiser dans Son Trésor, pour tenir en échec les princes des Ténèbres et prendre sur ses épaules le fardeau de plusieurs; qui possède la pureté parfaite avec la liberté; qui enfin est Dieu en même temps qu'Homme. Comment rencontrer cet Inconnu ? " La science cherche, a dit Balzac, l'amour a trouvé ". On entre en effet ici dans le domaine de l'Impossible irrationnel. Il est inconcevable que l'Absolu puisse se manifester dans le Relatif. L'intelligence, dont la marche est essentiellement logique, ne franchira jamais les frontières du fini. Le sentiment seul en est capable, si une discipline sévère et persévérante le sublimise. D'ordinaire il rampe, il se déforme selon les innombrables fantômes de l'égoïsme; mais il est possible de le sortir des marécages en ne lui permettant de s'enflammer que pour les objets universels. Il devient alors l'Amour, et plus rien dans le monde ne peut désormais lui faire obstacle. Si l'essence de l'âme humaine est la liberté, son attribut caractéristique, c'est l'acte : et, comme l'acte le plus haut est celui qui demande le plus d'énergie, comme l'énergie la plus pure est celle qui contrarie nos égoïsmes, de quelque belle étiquette qu'on les décore, l'être humain n'atteindra sa stature réelle et n'accomplira sa loi, que s'il se voue tout entier aux oeuvres de ce pur Amour dont l'Évangile énonce les commandements et les fruits. Voilà le mérite singulier de l'Évangile. Bien loin d'établir une doctrine anémiante, comme le prétendent à tort les dévots du Moi, il offre le code le plus sévère qu'aucun législateur religieux ait jamais promulgué. La sagesse antique a proclamé que la plus grande victoire se remporte contre soi-même, et elle n'était pas tendre pour les faibles. L'Évangile demande de lutter contre ce moi qui est notre point d'appui. L'effort pour cette bataille est plus qu'humain; l'homme y doit prendre appui sur autre chose que sur lui-même; de plus ce point d'appui ne peut être le monde puisqu'il s'agit justement de surmonter le monde. Que reste-t-il hors de l'homme et hors du monde, sinon Dieu ? Voilà la nécessité du Christ, puisque ce Christ est la forme tangible de Dieu. Voilà pourquoi tout effort intérieur, s'il n'est pas fondé sur le Christ, et tendu vers Lui, ne produira qu'une sagesse ou une vertu dont les fruits ne mûriront jamais au Soleil de la vivante Éternité. L'Univers apparaît comme un réseau extrêmement serré de voies de communication que les créatures parcourent; leurs bifurcations se touchent de si près qu'à toute minute les voyageurs ont à choisir entre deux chemins : l'étroit et le large. Le premier est celui de l'Évangile : le sacrifice de soi-même au nom du Verbe Jésus. Le second, c'est toutes les autres méthodes : morales laïques ou ritualismes religieux; bien que, dans cette catégorie, il y ait des routes plus courtes, donc meilleures, que les autres. Toutefois, que l'on choisisse la première ou la seconde sorte de chemins, il faut marcher; la marche, au spirituel c'est l'effort vers Dieu. Voilà pourquoi, et en quoi, tous les codes religieux se ressemblent. Mais il y a un art de marcher. Voilà en quoi les formes religieuses diffèrent. Mais, surtout il y a des états d'âme qui font du voyage ou bien une fastidieuse corvée ou bien un exercice fortifiant au grand air pur de la Vie. Et voici le troisième caractère de la véritable recherche du Divin : l'allégresse. Le premier, c'est la recherche de l'intensité dans l'effort. Le second, c'est la certitude de réussir à cause de l'intérêt que Dieu porte à notre effort. |