LES HAINES EVANGELIQUES
Or, Matthieu nomme quatre personnes qu'il faut " haïr " pour devenir un disciple, et Luc en énumère sept. Essayons de comprendre cette haine. Il a été dit déjà que si, à des siècles d'intervalle, parmi les hommes, il en naît un dont la Nature n'a formé ni le corps, ni le magnétisme, ni la pensée, ni la volonté, tous ses frères tiennent, eux, à la matière par toutes les fibres de leur être. L'amour paternel, l'amour filial peuvent être et sont souvent des passions égoïstes; à regarder d'ailleurs la suite des existences, ils sont les effets des positions relatives d'un certain groupe d'individus. Toutes les amours humaines peuvent être égoïstes, cruelles et nocives. C'est soi qu'on aime dans ses parents, dans ses enfants, entre époux. Aimer ces êtres qui nous tiennent par toutes les chaînes de la chair et du sang, c'est s'oublier pour eux. Ceci est déjà difficile et rare. Mais ce que le Christ demande, c'est d'aimer sa famille selon l'Esprit, en subvenant à ses besoins physiques, moraux et intellectuels; il faut honorer ses parents, et donner le bon exemple à ses enfants; il faut supporter les ennuis qu'ils nous causent, mais s'opposer par tous les moyens possibles, sauf par la violence, à ce que leurs défauts grandissent. Et chaque fois que les petits reçoivent de leurs parents l'exemple de la prière et de la bonté, le Ciel en tient compte à ceux-ci. C'est de la sorte qu'on s'attache à Dieu et non pas aux créatures, même les plus proches. Il est rare qu'un être qui a quelque avance spirituelle naisse dans une famille aussi évoluée que lui. Ceci a lieu parce que la Lumière est plus féconde dans les ténèbres et pour que les retardataires reçoivent de l'encouragement. Et ce n'est pas sans raison que la coutume attribue aux aînés des charges semblables à celles du père de famille. Mais la plus furieuse des batailles est celle que le disciple doit livrer contre lui-même. L'homme est son propre et son plus grand ennemi. Le combat peut durer des siècles, car le mal renaît en nous par le seul fait que nous vivons. On commet sans cesse de nouvelles fautes. Il ne faut pas croire, comme l'enseignent les religions et les collèges d'ésotérisme, qu'on puisse atteindre sa perfection totale; les théologiens et les adeptes le prétendent; mais les saints ont sur eux la supériorité immense de rester humbles et de tendre toujours vers un mieux. La perfection du composé humain terrestre est une petite partie du Grand OEuvre complet. Haïr sa propre vie, Jésus l'explique " tout bas ", c'est renoncer à soi-même, porter chaque jour sa croix, et Le suivre. Car nos parents, ce sont aussi les puissances invisibles qui ont bâti notre personnalité; notre épouse, c'est les puissances subjectives et objectives par quoi nous réalisons nos désirs; nos enfants, ce sont les oeuvres de notre moi. Et tout ceci, c'est nous-mêmes; ce sont les racines, les branches, les fleurs et les fruits de notre volonté propre; ce sont les forgerons de nos chaînes les plus solides; ce sont nos créanciers les plus âpres. C'est pourquoi, si nous voulons aller vers Jésus, il est nécessaire que nous engagions la lutte avec toutes ces formes de l'égoïsme, avec les plus puériles comme avec les plus graves, avec les plus superficielles comme avec les plus profondes. Il est nécessaire, en second lieu, de supporter la portion de souffrances que chaque journée nous apporte, afin de liquider les dettes antérieures. Enfin, il faut suivre Jésus, c'est-à-dire mener une vie analogue à la Sienne; donnant de soi-même, de son argent, de son temps, de son repos, de son intelligence, de son coeur à tous ceux qui nous le demandent, à tous ceux qui paraissent avoir besoin de nous, sans leur demander en échange ni reconnaissance, ni aide, ni affection. C'est ici qu'il faut se surveiller, parce que les désirs sensuels sont toujours à l'affût et prennent souvent les prétextes les plus nobles pour se satisfaire. D'autre part, le soldat du Ciel ne doit pas héberger la crainte. Il n'a point à économiser ses forces; ce qu'il dépense ici-bas au service de son Maître lui sera rendu au centuple; le danger n'a pas d'importance à ses yeux. Mais il ne doit pas s'y exposer pour son propre bénéfice, pour la satisfaction vaniteuse de le vaincre et de gravir ainsi un degré de l'échelle de perfection. Quand on agit pour un motif d'intérêt personnel, on succombe fatalement, quelque sublime que paraisse ce motif. C'est donc dans la pureté, dans le désintéressement de l'intention que réside toute la valeur lumineuse de notre effort. Il faut que le point d'appui de notre vouloir soit plus haut que les plus hautes cimes de la Nature, que ce soit l'Absolu. C'est la seule méthode qui nous puisse unir pratiquement et substantiellement au Verbe. Car, si on se comporte envers les êtres selon la dignité que nous leur attribuons à chacun, la récompense est proportionnelle à cette attribution. Comme le dit Matthieu, si on reçoit un juste parce que c'est un juste, c'est le dieu -- ou l'ange -- des gens de bien qui nous paiera; mais si on aide un homme parce qu'il est un disciple, c'est le Maître Lui-même qui nous récompensera. En d'autres termes, les familles vraies des créatures sont celles de leurs volontés, des différents idéals qu'elles servent. Aidez les autres parce que le Christ les a aidés, et ce sera, dans le plan de la réalité essentielle, le Christ Lui-même que vous aiderez. Et, comme Il contient en Lui le Père, votre acte sera transmis directement, immédiatement aux pieds du Père. Ceux donc qui s'efforcent d'obéir aux préceptes évangéliques voient toutes les substances de leur individu, depuis le physique jusqu'au spirituel, subir une transmutation mystérieuse qui les rénove, les régénère et les recrée. Ils en arrivent à devenir tellement semblables au Verbe qu'ils apparaissent comme des manifestations d'aspect identique. Telle est la force immense et surnaturelle de l'Amour vrai; il unifie les êtres qu'il embrase, depuis le plus petit jusqu'au suprême, jusqu'au Père inconnaissable. |