LE MARTYRE
Jean-Baptiste termine son ascétisme par le sacrifice de sa vie. Il est le premier homme qui soit mort pour l'Évangile et, là aussi, il fut précurseur, il ouvrit une voie.
La trame de notre existence n'est qu'une suite ininterrompue d'holocaustes que nous offrons à notre dieu, et celui-ci récompense nos dévotions en nous admettant, quelquefois même dès ici,bas, dans son domaine, en nous faisant participer au mode propre de sa vie.
Les dieux hindous, égyptiens, persans ou grecs n'ont pas disparu; ils se sont seulement défaits d'un peu de leur mystère; on les appelle aujourd'hui l'argent, la célébrité, le prestige, les sciences, le donjuanisme, la députation, etc. Leurs fidèles, toujours nombreux et fervents, sont un peu moins avertis; ils croient travailler par et pour eux-mêmes; les peuples anciens savaient que les Immortels tiennent très bien les comptes de leurs serviteurs.
Mais, qu'on serve ces princes ou l'Unique, leur maître à tous, une même loi régit l'hommage, soit que l'intérêt le prescrive, soit que l'amour l'inspire. Plus le fidèle donne d'effort, plus le résultat est certain; plus l'effort est matériel, plus l'existence du dieu s'affirmera. Rien ne vaut donc comme la propagande du martyre. Verser son sang pour une idée lui fraie véritablement une route jusqu'à cette terre matérielle, et elle arrivera non seulement à prendre une forme dans l'intelligence des hommes, à prendre une vie active dans leurs coeurs, mais à se réaliser par des institutions sociales, par des édifices, par des machines, d'une façon ou d'une autre. Car le destin de tout l'invisible est de devenir matériel, comme le sort de tout ce qui est visible au monde à cette heure est d'être assumé un jour jusqu'aux cieux fluidiques de l'univers.
C'est cette oscillation incessante des armées créaturelles de l'une à l'autre borne de la Nature qui fait que le Baptiste voit diminuer son action, par l'emprisonnement jusqu'à la mort, tandis que celle de son Maître augmente de jour en jour, jusqu'à ce que la Terre, toute pantelante d'avoir subi cette splendeur, refuse la gloire, trop lourde encore pour elle, de porter son Roi plus longtemps.