LE REPAS SPIRITUEL
Tout ce que la création peut nous offrir, ne contenant point la vie absolue, ne peut rassasier l'homme. Ainsi s'expérimente la désillusion. Les moralistes ont assez discouru sur la vanité de la force, de la richesse, de la gloire et des amours terrestres. Aucun génie ne peut nous donner la science vraie, puisqu'aucun ne la possède; aucun ne peut nous faire sentir la beauté pure, puisqu'il y a de la laideur en tout être; personne ne peut nous investir d'un pouvoir sans bornes, puisque tous sont limités dans leur action.
Dieu seul comble les désirs de l'homme; nos élans les plus vertigineux touchent leur but dans la personne du Verbe habitant au milieu de nous. Prenez Ses simples paroles dans leur plénitude; quand Il promet une nourriture parfaite à quiconque " vient " vers Lui, vous sentez bien qu'aller à Jésus, ce n'est pas faire des lectures pieuses dans un bon fauteuil au coin du feu. C'est obéir à Sa loi, malgré les misères, les moqueries, les cabales, et les délaissements de la famille et des amis et du public; c'est subir toutes les angoisses, toutes les incertitudes, toutes les attaques; c'est oser toutes les audaces au service du Ciel.
Et croire à Dieu n'est pas une simple adhésion intellectuelle ou sentimentale. La foi n'est vivante que si elle plonge ses racines dans le terreau des souffrances. Celui-là dont aucune douleur n'altère la sérénité, dont un amour sans borne exalte l'énergie et qui ne tremble devant aucune terreur, celui-là seul se trouve dans l'état d'âme propice à la descente de cette vertu.
De même que le boire et le manger s'appellent l'un l'autre dans le régime physiologique, l'acte et la foi se complètent mutuellement pour opérer l'agrégat et l'organisation des substances surnaturelles qui corporisent la stature divine du Verbe dans notre centre le plus intime.
Cette alchimie mystique développe ses phases chez tous ceux à qui le Père a donné la force suffisante; c'est eux qu'Il confie au Fils; c'est eux que Jésus garde, en dépit de leur détresse et de leur solitude apparentes, c'est pour eux qu'Il assume toute souffrance, se seraient-ils égarés jusqu'au fond du grand enfer.
Ces amis, comme Rulman Mersvin l'expliquait il y a près de sept siècles, ne se distinguent point de la foule par leur apparence extérieure; ils vivent comme tout le monde; ainsi les Juifs ne voyaient en Jésus que le fils du charpentier. Mais qui les regarde d'un oeil attentif s'aperçoit qu'ils sont les porte-flambeaux d'une toute-puissante Lumière. Ils ont oublié la haine, c'est pourquoi leurs paroles sont des bénédictions; ils ne ressentent plus de curiosité. c'est pourquoi leur intelligence voit le vrai de toute créature; ils ont perdu jusqu'au souvenir d'eux-mêmes, c'est pourquoi leur prière écarte la catastrophe et la maladie. Ils jouissent déjà, incognito, dès cette terre, de quelques-unes des prérogatives dont la totalité leur sera départie quand le Maître les aura ressuscités.
L'homme est lié à l'espace et au temps. Un riche ou un prince souffre moins de cette dépendance qu'un pauvre; l'oeuvre d'un génie se joue encore mieux de ces barrières, par l'influence qu'elle exerce au loin et sur les générations futures; la passion ou le vouloir peuvent projeter momentanément un être au delà de sa prison de matière, ainsi qu'on le voit dans la télépathie; certains adeptes ont pu dominer les lois naturelles jusqu'à étendre à plusieurs siècles les limites de leur existence physique; ils ont eu tort d'ailleurs. Mais aucun de ces accidents n'est comparable à la résurrection de l'Évangile.
Chaque fois qu'un homme fait le bien dans les conditions prescrites par le Ciel, c'est-à-dire dans l'humilité et l'anonymat, les cellules qui ont servi à cet acte sont exaltées jusqu'à son âme, dont elles augmentent la réserve de Lumière. Ce trésor s'accroît d'existence en existence et, quand le travail de cet homme touche à sa fin, toute la matière, physique et fluidique, ainsi purifiée, lui est acquise, et il peut s'en servir, par le secret que le Ciel lui donne alors, pour se constituer instantanément, ici ou là, tel corps dont il a besoin.
Ce corps n'est plus soumis à aucune condition de relativité, sauf quand son possesseur le juge utile; et ainsi se réalise la promesse du Fils, comme couronnement d'une longue suite d'existences vivifiées par la foi.
Mais, pour comprendre ces choses, élevez-vous au-dessus du mental, au-dessus des philosophies et des ésotérismes. L'oeuvre du Christ est d'ouvrir une route directe entre les hommes et le Père; tout au moins faut-il que nous consentions à nous y engager. L'inconnu n'est pas effrayant; la foi s'exerce dans la lutte matérielle, dans l'épuration morale, dans l'élan intellectuel; ne nous attachons pas aux vieux habits, aux vieilles opinions, aux vieilles idées; ne les méprisons pas non plus; ce sont des serviteurs caducs; mais ce furent des serviteurs précieux. Tout en nous bouge, et grouille et vit; tout en nous est provisoire; tout y est en marche.
Si, en travaillant avec nos muscles, avec notre pensée, avec notre coeur, de toute notre énergie, nous conservons conscience que, par nous-mêmes, nous n'obtiendrons que de minces résultats, il nous sera moins difficile, quand nous serons à bout de souffle, de nous plonger dans la nuit maternelle et régénératrice de la Foi, au sein de laquelle retentit la parole du Père.
Car cette parole est la vie, toujours neuve, inépuisable, infatigable; ce Verbe est ce Fils même, ce Jésus qui, sous l'un ou l'autre de Ses aspects, Se porte garant de la véracité de Celui qui L'envoie.