LA PURIFICATION
Jean peut annoncer la Lumière parce qu'il la porte en lui-même; le médecin peut guérir s'il connaît les lois de la santé, c'est-à-dire s'il la possède au moins par l'intellect. C'est pour cela que les cures du Christ sont parfaites et que les apôtres échouent quelquefois, comme il leur advint pour le jeune lunatique.
On trouverait à l'épilepsie des causes bien curieuses, s'il était permis de les rechercher. Mais contentons-nous de la triple clef que le Christ donne à ceux qui veulent guérir les autres : la foi, le jeûne et la prière.
Si l'on se cantonne dans un aveuglement volontaire de la toute-puissance divine, on charge de chaînes toutes nos énergies. Tout est possible à celui qui croit. Mais cette foi doit être plus qu'une notion intellectuelle ou intuitive; il faut que des actes, que tous les actes nourrissent cette clarté; il faut qu'elle s'agrandisse organiquement de toutes les cellules physiques, de toutes les ondes fluidiques, de tous les feux passionnels, de toutes les idéations que l'on dépense à vivre selon la loi de Dieu. Quand l'abîme du désespoir se creuse soudain à nos pieds, quand les flammes de la souffrance lèchent déjà nos vêtements, ne craignez point de faire encore un pas; un ange éteindra le brasier et refermera le précipice. Ainsi reculent peu à peu les bornes du possible, jusqu'à ce que, à la limite, toutes les murailles de la matière et de l'égoïsme sautent sous la poussée formidable de cet explosif irrésistible qu'est la foi.
Il faut donc surmonter la crainte, l'indécision, le doute. Si notre adversaire paraît cent fois plus fort, engageons tout de même la lutte. Le Ciel n'a qu'un geste à faire pour nous donner la victoire; et, si nous succombons, ce ne sera jamais qu'un vêtement que nous aurons perdu; moins enveloppée, l'âme brille d'un éclat plus radieux.
L'homme est organisé de telle sorte que la surtension de l'un de ses centres entraîne le sommeil de tous les autres; c'est ce que nos psychologues appellent le monoïdéisme. Le savant, l'inventeur ou l'artiste qui se passionnent au laboratoire ou à l'atelier oublient les besoins de leur corps; c'est une sorte d'extase. Notre interne peut être ravi dans une activité surconsciente, qui l'abstrait de tout autre lieu du monde. Une telle contemplation, l'intellect ne peut s'y élever sans un adjuvant artificiel; à cela servent l'opium et le yoga aux Orientaux. L'animique atteint de lui-même cet état, parce que le mobile le plus puissant de l'attention, c'est l'amour.
Mais, quand ni l'état volontaire, ni l'affectif ne sont assez forts pour que l'être reconquière un instant son unité spirituelle, il faut imiter les anciens Sages qui se servaient d'un objet physique pour attirer l'hyperphysique correspondant. Le jeûne corporel, puisqu'il affaiblit la vie animale, laisse plus libre la vie psychique; et, plus l'organe qui subit ce jeûne est élevé, plus l'effet interne est puissant. Le jeûne moral, le jeûne de l'individualité égoïste seront donc les meilleurs tremplins dont notre foi puisse se servir pour atteindre, dans la Lumière secrète, la substance qu'elle désire.
Que l'on se prive d'un aliment, d'une satisfaction vulgaire ou d'une joie délicate, le mécanisme du jeûne est toujours le même. Aucune fonction, physique ou mentale, ne s'accomplit sans une dépense de force. Des cellules matérielles ou fluidiques trouvent ainsi la mort dans leur dévouement à la chose commune; cette mort est prévue dans leur destin, elle alimente la fonction où elle a lieu. Or, si la volonté prive un organe de cet aliment, cet organe, pour continuer sa marche appelle à son secours des cellules d'un ordre plus élevé; ses auxiliaires normaux sont libres pour un nouvel emploi et l'essence du sacrifice des auxiliaires supérieurs dégage une énergie plus essentielle. Voilà les deux dynamismes, générés par le jeûne, que le désir de l'ascète aimante pour la réalisation de son objet.
Ainsi, quand un repas est supprimé, le pneumo-gastrique fait un appel aux cellules graisseuses; la force neurique non employée par la digestion revient à son centre, le cerveau et le cervelet; les pouvoirs magnétiques et mentaux s'exaltent; et, s'il y a répétition du jeûne, le plan de la conscience se déplace, par une sorte de fièvre cérébrale, et inaugure automatiquement des sensations hyperphysiques, comme la télépathie, les visions, etc. Les énergies dégagées par ces pratiques sont conduites, par l'intention, vers l'objet que la volonté désigne ou que l'amour désire.
Les Anciens se montraient donc habiles en multipliant les jeûnes rituels. Il y aurait une science du jeûne à instituer puisque, suivant le lieu de notre individu qui subit la privation, les forces dégagées changent de nature et d'effet. Le Christ indique ceci en spécifiant : " Cette sorte de démons ne se chasse que par le jeûne et la prière ".
Car, si tout être a des relations avec le monde entier, il est en plus intime accointance avec telle des formes créaturelles. C'est ainsi que les diables sont, pour ainsi dire connexes de la matière, et que certains d'entre eux voisinent avec l'homme corporel. Comme le remède est toujours à coté du mal, dans ce dernier cas c'est notre organisme physique qui peut fournir la cure de l'épilepsie.
L'action du Ciel est occulte. Le vieux Lao-Tseu écho de l'antique enseignement de l'Y King, exprime déjà ceci en d'autres termes. Étant donné un plan d'existence, les forces autochtones s'y déploient visiblement; et les forces étrangères à lui qui s'y manifestent sont d'autant moins perceptibles qu'elles viennent de plus loin. La vision du prophète Elie explique le même mécanisme. L'Absolu est en somme étranger à cette Nature; elle le subit sans le connaître; il la transforme sans bruit, sans éclat; très rares sont les créatures qui en peuvent diagnostiquer la présence. C'est pour cela qu'il ne faut pas craindre de rentrer en soi profondement, de creuser dans notre intime pour que notre désir approche au plus près de la petite lumière permanente et silencieuse dans l'abîme de notre coeur. Il faut s'examiner à fond; les racines de l'égoïsme s'enchevêtrent jusqu'au centre, et le jeûne spirituel ne doit pas s'effrayer d'atteindre les bêtes venimeuses qui guettent dans les ténèbres des plus noires cavernes de l'organisme psychique. Quant à la prière, nous nous en sommes entretenus assez longuement.