LA SIMPLICITE CARDIAQUE



Pourquoi le disciple bien-aimé raconte-t-il, avec si grand détail, l'épisode de la Samaritaine ? C'est que beaucoup de leçons importantes s'y découvrent.

D'abord la pratique de la tolérance. La haine entre Juifs et Samaritains était ancienne, vivace, violente. Les colères religieuses sont les plus néfastes, puisque nos sentiments influent sur le futur avec d'autant plus de force que leur objet à d'altitude. Jésus, parlant à une femme de la secte détestée, S'exposait à toutes les vitupérations de ceux d'Israël. N'importe; Il choisit, comme toujours, l'oeuvre la plus difficile, la tentative la moins humainement prudente, le risque le plus hasardeux pour Son oeuvre et pour Lui-même. Toujours Il joua la difficulté dans la grande et grave partie engagée avec Satan; et toujours, c'est Lui qui engage le fer.

Ainsi, dans la présente anecdote, c'est Jésus qui demande à boire. Il fait naître le prétexte d'un enseignement, particulier à l'interlocutrice, général pour la secte, accidentel pour les disciples. Aux yeux des suzerains invisibles de la Nature, nos actes valent selon les fatigues qu'ils coûtent et selon leurs résultats; aux yeux du Père, ils valent selon l'innocence du désir qui les engendre et selon la rectitude de notre intention.

Sans nous perdre dans des recherches savantes sur l'occulte de ce puits de Jacob et de cette boisson mystérieuse, sans rechercher pourquoi l'Église commémore cette conversion le 19e jour du Carême, un vendredi, ce qui n'est d'ailleurs pas très difficile à imaginer; sans se livrer à des calculs kabbalistiques sur le nom de Photine que la tradition attribue à la Samaritaine et sur la date de sa fête, fixée au 20 mars, tenons-nous-en au point de vue le plus simpliste; ce sera sûrement le plus vrai.

Tout en nous est substantiel. Nos désirs -- d'ailleurs on les appelle parfois des appétits -- sont des faims et des soifs de nos organes hyperphysiques. De même qu'il n'y a pas d'aliments tout à fait solides, ou tout à fait liquides, nos facultés psychiques et surtout notre coeur spirituel recherchent des nourritures d'ordre analogue à eux, dont les unes fournissent du substratum et les autres de la force; c'est ce que signifient les espèces du pain et du vin dans l'allégorie réelle du sacrifice religieux.

L'eau est la mère originelle; le solide n'en est qu'un extrait; et il n'y a des eaux terrestres, des liquides organiques, des fluides sidéraux, intelligibles, firmamentaires, spiritueux, que parce qu'il existe, dans le plan divin, l'eau de la vie éternelle.

Cette boisson, que les mains sacrées du Sauveur offrent sans se rebuter jamais, ne produit pas que le magnifique épanouissement des fleurs de Lumière en nous; elle est l'universelle médecine. Elle va partout, elle restaure tout, jusqu'au corps physique; nul ne guérit vraiment les malades que s'il peut leur en donner quelques gouttes. Elle possède une force intense de cohésion; la moindre rosée qu'on en reçoit attire irrésistiblement toute l'abondance de la source éternelle. Telle est la vertu de l'Amour.

Or, tout désir est un feu; il allume une fièvre, quel que soit l'organisme qu'il consume. Jacob Boehme a profondément démontré cela en expliquant la marche des sept Roues de la Nature (1). Quand ce désir s'est consumé, s'est exalté, s'est projeté en tous sens, l'acquisition de son objet l'éteint comme l'eau éteint le feu. Mais nos désirs naturels, si profonds, si sublimes soient-ils, portent toujours quelque tache d'individualisme qui les voue par le fait à une corruption plus ou moins prochaine, à une désillusion plus ou moins amère; car leurs objets ne contiennent pas l'essentielle réalité.

Rien donc dans cet immense Univers ne peut combler les désirs de l'homme; rien n'y est stable, pas même l'inerte tranquillité du caillou; rien n'y est permanent, pas même l'effrayante énormité d'un dieu cosmique. Aucune source n'étanchera la soif qui nous consume, parce que c'est d'absolu que notre coeur se désaltère; la nostalgie de son lieu d'origine est le feu mystique par lequel il apprend à vivre en apprenant à mourir. C'est donc cette lumière-là qu'il faut alimenter, en unifiant toutes les autres qui ne sont que des flammes fuligineuses et vacillantes.
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(1) Les tourbillons du désir sont ce que le cordonnier-théosophe appelle les trois premières formes; le feu du désir est la quatrième; sa satisfaction est la cinquième; sa réalisation comprend les deux dernières formes.