LA MAITRISE DES ELEMENTS



Plusieurs fois les évangélistes affirment le pouvoir que Jésus exerçait sur les forces de la Nature. Nous nous en tiendrons aujourd'hui à étudier le miracle du lac de Tibériade.

Les voyageurs nous racontent beaucoup de faits de ce genre, et, à compulser leurs nombreux récits, il semble que sur la terre entière des hommes se rencontrent qui peuvent commander aux nuages, aux vents, à la pluie, à l'orage, à la grêle, à la tempête. Lamas mongols ou tibétains, tao-sse, fakirs hindous, enchanteurs arabes ou nègres, sorciers européens paraissent posséder ce pouvoir. Mais il y a une différence essentielle entre leurs procédés et celui du Christ. Ils opèrent en vertu d'un pacte, exprès ou tacite. La plupart donnent quelque chose à de tels génies et, en retour, ces génies se mettent à leur service; c'est ce que les légendes populaires appellent : vendre son âme au diable. Même ceux d'entre ces thaumaturges qui croient ne devoir leur puissance qu'à une culture rationnelle de leurs forces psychiques concluent inconsciemment un pacte avec des démons du plan mental. Seuls les mystiques, je veux dire les hommes, quelle que soit leur religion, qui se bornent au seul accomplissement de la charité et à la seule prière, réalisent des miracles légitimes et normaux; ils demandent, et la forme du Verbe particulière à leur race les exauce.


Quant au Christ, étant le Maître suprême, connaissant le langage de toutes les catégories de créatures, Il leur commande et elles obéissent. Vous direz : " Mais Il parlait araméen; les génies de la tempête entendent donc l'araméen ? " Non; voici comment les choses se passent. Prenons un homme quelconque, un orateur, un écrivain; si les phrases qu'il prononce ne sont qu'un assemblage de mots, aussi clair qu'on le suppose, il se fera comprendre à la raison de ses auditeurs, mais il ne les emportera pas, il ne les émouvra pas, il ne les entraînera pas. Ce ne sont donc pas les mots qui, par eux-mêmes, allument l'enthousiasme; c'est l'exaltation de l'orateur qui exaltera les auditeurs, qui les transportera au-dessus d'eux-mêmes, qui attisera en eux les foyers profonds de la vie spirituelle. Ainsi, plus l'âme d'un homme est vigoureuse et riche, plus elle éveille dans d'autres âmes l'intuition et l'intelligence vraie. L'âme du Christ était riche de toute expérience, puissante par tous les triomphes de Sa longue incarnation; il Lui suffisait donc de S'adresser, avec les mots de n'importe quelle langue, à n'importe quelle créature, pour S'en faire reconnaître et S'en faire obéir. Son corps physique, habitant un pays donné, employait l'idiome de ce pays, comme Il en prenait le costume et les coutumes, mais c'est Son être intérieur qui vitalisait ces formes de Sa personne extérieure, inertes par elles-mêmes, et qui en faisait les organes parfaits de Ses volontés.

Voyez encore nos contemporains. Nous sommes tous vêtus à la même mode; et cependant ceux-ci ont beau s'habiller chez le grand tailleur, ils gardent l'air commun; tandis que ceux-là, avec un complet de confection, paraissent élégants. De fort belles femmes avec de riches toilettes ne tiennent pas auprès de certaines qui, avec la mise la plus simple, montrent de l'allure et de la race. Je ne veux pas faire un cours de dandysme; remarquez seulement ceci, c'est que le " je ne sais quoi " suffit à donner du prestige aux individus les moins bien doués physiquement. Une simple cruche de terre cuite tournée par un potier de village peut valoir, aux yeux de l'artiste, infiniment plus que le vase le plus orfévré. Ce mystère en quoi réside l'essence du Beau, cet indicible, cet ineffable qui transverbère les pauvres choses terrestres, c'est l'un des reflets de la splendeur éternelle dont Jésus porte en Lui la totale magnificence.

Pour l'être qui a reçu l'Esprit, le miracle est un acte bien simple, aussi simple que, pour nous, prononcer une phrase ou marcher. Cet être vit dans le plan un; il n'a pas, comme les grands poètes ou les grands penseurs, les pieds sur la terre et la tête dans les cieux; il est tout entier sur la terre et en même temps tout entier dans les cieux; il porte les cieux avec lui, où qu'il aille et quelque oeuvre qu'il entreprenne. Ainsi Jésus ne donnait aucun effort pour guérir, pour ressusciter, pour changer la marche des mondes, arrêter l'ouragan, ou multiplier les pains; Il ordonnait, et Ses créatures obéissaient.

Que dit-Il à Ses disciples affolés ? " Pourquoi vous effrayez-vous, hommes de peu de foi ? " En effet, notre manque de foi est la cause unique de toutes nos craintes. Il ne s'agit pas ici de la foi théologique. Le fidèle croit à la Trinité, à l'Immaculée Conception, aux autres dogmes parce que des hommes en qui il a confiance lui ont dit que telle est la vérité. Mais que ces mêmes hommes, les prêtres, lui affirment que le Christ peut le guérir, ou le sauver de la ruine, il ne croit plus. Les dogmes, cela ne nous touche pas, cela n'émeut pas notre sensibilité terrestre, cela ne nous dérange pas trop; on les accepte. Mais, quand il s'agit de notre santé, de notre argent, d'un péril, notre être de matière, affolé, ne voit plus rien que la catastrophe menaçante; et la foi s'évapore.

En effet, l'acceptation de certaines vérités incompréhensibles à l'entendement, mais que l'on admet sur des témoignages autorisés -- ceux des conciles, par exemple, -- ne pénètre pas jusqu'aux profondeurs de notre être. Réaliser jusqu'à leur sens matériel les affirmations du Symbole des Apôtres, cela seulement est la foi. " Je crois en Dieu, le Père tout-puissant ". S'il est tout-puissant, Il peut me guérir. me sauver de l'incendie, arrêter la faillite; si je crois qu'Il est mon Père, Il me guérira et me sauvera; si je ne suis pas convaincu qu'Il puisse faire ces choses, je n'ai pas la foi. Or, le seul signe de ma conviction sera la sérénité où me trouvera la perspective de la souffrance, de la ruine et de la mort; si ces éventualités m'inquiètent, c'est que je n'ai pas la foi.

Adhérons donc de toute la force de notre volonté, de toute la ferveur de notre amour aux paroles du Christ, cette adhésion centrale illuminera tout doucement notre intelligence, et nous comprendrons peu à peu ce qui d'abord nous paraissait obscur. Si, en plus, nous parvenons à obliger notre corps et ses instincts à obéir à ces paroles, alors notre foi commencera de vivre. La croyance mentale ne suffit pas; l'assentiment animique ne suffit pas; pour que la foi opère des miracles, il faut qu'elle vive dans notre être corporel : la foi sans les oeuvres est une foi morte. Cette foi véritable est susceptible de développements illimités.

Elle nous donne la paix du coeur, l'intelligence des mystères, la puissance thaumaturgique. Mais ne confondez pas cette force divine avec ses caricatures : l'auto-suggestion, le mentalisme, la volonté artificiellement développée. Une religion américaine proclame : " Croyez que le mal n'existe pas et vous serez guéris ". Cela, c'est un sophisme philosophique et une illusion volitive. Une autre religion, belge, proclame : " Rien n'existe que parce que nous le croyons ". Autre sophisme, d'origine orientale, et autre illusion.

Je voudrais avoir été assez clair pour que vous voyiez maintenant avec évidence quelle antinomie existe entre la foi que le Christ nous propose et ses contrefaçons humaines. Que la longueur et la minutie des entraînements nécessaires pour rendre notre personnalité capable de recevoir cette force divine ne nous décourage point; considérez combien il faut de constance à l'athlète pour faire croître ses muscles, cellule à cellule; au virtuose pour assouplir ses doigts ou son larynx; au commerçant pour amasser franc par franc sa fortune. Mettons-nous au travail, et ne nous arrêtons plus une fois partis.