La Présentation:


 Quand les huit jours furent accomplis pour circoncire l'enfant, il fut appelé JÉSUS, qui est le nom qui lui avait été donne par l'ange avant qu'il fut conçu dans de sein de sa mère.
 (Luc ch.  2, v, 21)
 

L'Enfant-Dieu commence Sa vie terrestre par l'obéissance.  Il se soumet aux rites.
 Qu'est-ce qu'un rite ? C'est une cérémonie religieuse par laquelle l'esprit du fidèle reçoit une force analogue aux gestes et aux paroles ordonnés, et par eux déterminée.  Le rite, comme toute loi, est une barrière, ou plutôt un chemin entre deux barrières; c'est une école, l'école où l'on apprend a être le moins nuisible qu'il se peut aux autres créatures; c'est une gymnastique, l'entraînement de l'obéissance aboutissant à la possession de la liberté.

 Dans les livres de magie, trop répandus aujourd'hui, on peut voir la théorie du rite; cette évocation du supérieur par le sacrifice de l'inférieur.  Toutes les liturgies sont magiques.  Mais les sacrements catholiques possèdent quelque chose de plus : la vertu surnaturelle que Jésus déposa dans leur forme et dans leur matière.  Nous étudierons ceci plus longuement quelque jour.

 Jésus, Marie, Joseph sont trois êtres purs, par conséquent libres, bien qu'à des degrés divers, et cependant ils se soumettent à la Loi.  Pourquoi ? Pour accomplir la Loi d'abord.  L'accomplir, cela signifie la faire monter à sa perfection, la mener jusqu'au bout de sa trajectoire, l'achever, parachever son action terrestre et, en somme, nous délivrer de ses chaînes; puisque toute force ayant mené à bien sa tâche terrestre part pour un autre lieu d'exercice.  Ensuite, ces trois personnages obéissent pour que leurs contemporains ne voient pas en eux des êtres d'exception, pour qu'ils ne se scandalisent pas.  Et, enfin, ils rendent, par là, notre obéissance plus facile, et notre liberté plus accessible. C'est une application de la loi divine de l'Amour; que l'innocent paie pour le coupable.

 La circoncision est une forme d'initiation, un baptême de sang.  Moïse y voyait autre chose qu'une mesure d'hygiène; et le baptême d'eau n'est pas pour apprendre la propreté aux nourrissons.  Moïse avait à former une garde du monothéisme, en reliant les Israélites au principe céleste de l'Acte, à l'aspect positif et créateur de l'Absolu.  En retranchant au corps de la chair inutile, le rabbin retranchait à l'esprit les tendances vers les faux dieux.  De même nos prêtres, versant de l'eau sur la tête du nouveau-né, prétendent laver son âme de la souillure originelle et, en déposant du sel sur sa langue, annuler les effets de la corruption.  Tous, prêtres, rabbins, imans ou brahmanes, suivent le vieil exemple des hiérophantes qui, se tenant debout entre le Visible et l'Invisible, s'étaient rendus aptes à réaliser dans celui?ci ce que leurs mains opéraient dans celui-là.

 Mais nous, qui sentons l'existence de quelque chose de plus haut que la magie, nous devinons que les rites ne sont que des symboles et des intersignes.  Ils sont nécessaires, parce qu'ils conduisent à la liberté sainte de l'Amour, à laquelle l'homme ne peut parvenir que par les voies de la Justice.  Une loi n'est jamais qu'un garde-fou.  Il faut s'y appuyer pour pouvoir ensuite affronter le vertige des abîmes.  Alors les barrières tomberont toutes seules.  Dans les campagnes où les maraudeurs sont inconnus, les champs n'ont pas de haies, et les portes point de verrous.

 Dans tous les anciens codes civils et religieux, l'aînesse comporte une dignité, des devoirs, et des prérogatives; le sexe masculin également.  Le folklore démontre l'existence de cette particularité chez les peuplades sauvages mêmes.  Au sexe male, en effet, appartiennent les forces d'action réalisatrice; c'est la femme qui reçoit les intuitions, c'est l'homme qui les corporifie; la femme est passive corporellement, active spirituellement; l'homme, au contraire, est passif dans l'interne, actif dans l'externe.  D'autre part, dans le circulus ontologique des âmes, il en arrive sans cesse ici-bas qui viennent pour la première fois; ce sont ces étrangères qui apportent les éléments extra-terrestres dont l'office complète et couronne l'effort évolutif.  Si, sur notre planète, c'étaient toujours les mêmes individualités qui revenaient, le genre humain, ayant une fois donné toute sa mesure, ne pourrait plus progresser; de même que des individus qui, à leur mort, quittent ce lieu pour toujours, d'autres qui nous apportent une force, une idée, une lumière inédites; et, pour que ces dernières arrivent dans toute leur intégrité, il est nécessaire que leurs hérauts soient les premiers-nés des époux, grâce auxquels ils prennent terre.  Et, comme le sexe mâle est mieux armé pour le travail matériel, on aperçoit le motif du prestige qui s'y attache généralement.

 Or, le Christ, selon Sa nature humaine, fut le premier-né; Il le fut aussi selon Sa nature divine, puisqu'Il est le Verbe.
 Le nom de Jésus, indiqué par l'Ange, est celui-là même qui, prononcé par le Père, dès le commencement, contient toutes les propriétés du Verbe, et nous les expliquerait si nous savions lire les noms.  Je ne puis pas entrer dans des détails techniques; ils appartiennent à la bibliothèque de l'ésotérisme, où j'ai promis de ne pas pénétrer.  D'ailleurs tous les commentaires hiéroglyphiques qu'on pourrait donner n'épuiseraient qu'une minime partie des vertus de ce nom.  A l'étudier intellectuellement, on n'en atteindrait que les reflets déformés.  A l'employer volontairement, on commettrait un sacrilège, puisqu'on emprisonnerait de l'Esprit, puisqu'on ferait servir à l'individualisme ce qui provient de l'Amour.  Il ne faut user de ce nom que dans l'enthousiasme spontané de l'adoration; de la sorte seulement on ne le prostitue pas, et il nous exalte au lieu de nous jeter vers le Puits de l'Abîme.

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 Et les jours qu'elle devait se purifier, selon la loi de Moïse, étant accomplis, ils portèrent l'enfant à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon qu'il est écrit dans la loi du Seigneur; que tout male premier-né sera consacré au Seigneur, et pour offrir le sacrifice prescrit dans la loi du Seigneur, savoir; une paire de tourterelles ou deux pigeonneaux.

 Il y avait à Jérusalem un homme qui s'appelait Siméon.  Cet homme était juste et craignant Dieu; il attendait la consolation d'Israël, et le Saint-Esprit était sur lui.  Et il avait été averti divinement par le Saint-Esprit qu'il ne verrait pas la mort avant qu'il n'eut vu le Christ du Seigneur.  Il vint au Temple par un mouvement de l'Esprit et, comme le père et la mère apportaient le petit enfant Jésus pour faire à son égard ce qui était en usage selon la loi, il le prit entre ses bras, et bénit Dieu, et dit : « Seigneur, tu laisses maintenant aller ton serviteur en paix, selon ta parole, car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé pour être présenté à tous les peuples, pour être la lumière qu'il doit éclairer les nations, et la gloire de ton peuple d'Israël ».  Et Joseph et sa mère étaient dans l'admiration des choses qu'on disait de lui.  Et Siméon les bénit, et dit à Marie sa mère; « Voici, cet enfant est mis au monde pour être une occasion de chute et de relèvement à plusieurs en Israël, et pour être en butte à la contradiction, en sorte que les pensées du coeur de plusieurs seront découvertes; et même une épée te transpercera l'âme ».

 Il y avait là aussi Anne la prophétesse, fille de Phanuel, de la tribu d'Asser.  Elle était fort avancée en âge, et elle avait vécu avec son mari sept ans depuis qu'elle l'avait épousé étant vierge.  Elle était veuve, âgée d'environ quatre-vingt-quatre ans; et elle ne sortait point du Temple, servant Dieu nuit et jour en jeûnes et en prières.  Étant donc survenue en ce même instant, elle louait aussi le Seigneur, et elle parlait de Jésus à tous ceux de Jérusalem qui attendaient la délivrance d'Israël.  Et, après qu'ils eurent accompli tout ce qui est ordonné par la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, à Nazareth, qui était leur ville.
 (Luc ch.  2, v.  22 à 39).

 La fête de la Purification fut instituée comme antidote aux lupercales romaines; on l'appelle aussi la Procession des Lumières, ou la Chandeleur.  Elle a lieu le second jour du second mois de l'année; ce qui montre qu'elle se rattache à l'être que certains mystiques ont nommé la Sagesse éternelle.

 C'est pourquoi le cardinal de Bérulle qualifie ce jour de « Fête des secrets de Dieu ».
 Dans notre religion, les relevailles sont sanctifiées selon le rite suivant.  La mère se présente à genoux sur les marches de l'église, ou de la chapelle, tenant un cierge allumé.  Le prêtre vient à elle en récitant le psaume; « Gloire au Seigneur » puis il la conduit jusqu'à l'autel, en lui faisant tenir l'extrémité gauche de son étole blanche.  La gauche est le passif, le septentrion.  Les créatures sortent du coté droit du  Verbe, et rentrent dans le Ciel par Sa gauche, par Son coeur, pour venir se placer de nouveau à Sa droite après s'être fondues en Lui.  Le prêtre prie avec la femme pour qu'elle soit délivrée du mal et du Fils d'iniquité, pour qu'elle obtienne la paix, par l'intercession de la Vierge.  En effet, seule entre toutes les femmes, la Vierge,Mère n'avait pas besoin de purification, puisqu'elle n'avait contracté aucune souillure; c'est pourquoi elle est si puissante comme purificatrice.  Le prêtre enfin bénit un gâteau que la femme doit avoir pétri de ses propres mains.

 Sous la loi de Moïse, la période de purification était de quarante jours après la naissance d'un garçon, et de quatre-vingts jours après la naissance d'une fille; il fallait, pour celle-ci, offrir un pigeon, et pour celui-là un agneau; le symbole est facile à déchiffrer.  Mais le fait d'une double purification pour un enfant du sexe féminin, pas plus que le fait de la purification elle-même, n'implique aucun a priori défavorable envers les femmes.  Pour toutes les religions extérieures, en effet, la parturition entraîne des salissures.  L'enfant ne naît pas sans un travail considérable de l'esprit vital de la mère; les souffrances physiques en sont l'indice certain; la mère doit courir au-devant de l'enfant.  Car, de même que les grèves de l'océan sont presque toujours encombrées de détritus et d'écumes, l'océan fluidique qui entoure la terre est habité sur ses bords par toutes sortes de créatures venimeuses et vampiriques, dont la convoitise s'allume à l'approche des esprits humains et des forces physiologiques.  L'esprit de la mère ne peut pas se préserver de ces contacts immondes; et l'esprit de l'enfant, non plus, surtout si c'est une vitalité féminine qui lui est préparée.

 *

 Les quarante jours du Temps de Noël se terminent par la fête de la Présentation de Jésus au Temple, que les Grecs nomment fête de la Rencontre, à cause du vieillard Siméon.

 Siméon veut dire l'écouteur, l'expectant.  L'Évangéliste le donne comme vieux et juste, double qualité propre à celui qui connut qu'attendre, c'est faire venir, Nous autres modernes, fils d'une génération fébrile, devrions contempler souvent cette figure à la grandeur cachée.

 Anne et Siméon furent les seconds connaisseurs de la véritable identité de l'Enfant.  Ils reçurent cette notion par un influx direct de l'Esprit.  En effet, le sacrifice indicible de l'Absolu Se faisant relatif, l'Infini Se limitant, la Toute-Puissance Se chargeant de toutes les chaînes, sont des concepts en dehors des bornes de l'intelligence.  Aucun raisonnement ne peut prouver la divinité du Christ; aucun témoignage sensible ne peut la certifier; la reconnaître est un don gratuit. Parmi ceux qui eurent, au moins une fois, le bonheur de se tenir en présence du Maître, se trouvent les élus auxquels l'Esprit fit distinguer en cet homme la consolation et le salut d'Israël.

 L'incarnation du Verbe n'est pas seulement, comme l'enseignent les panthéistes, la diffusion du divin parmi les créatures; ce n'est pas l'obombration d'un homme d'élite par Dieu.  En Jésus le Verbe réside dans toute Sa plénitude; Il est le Verbe, en même temps que l'Homme parfait.  Cette croyance, si rare, n'est encore qu'une idée imprécise, une intuition lointaine, que l'avenir développera; mais cela suffit pour le travail que nous avons à faire.

 Le Christ est le salut présenté à tous les peuples, et la Lumière devant éclairer toutes les nations.  « Présenté », non pas imposé aux peuples, organismes collectifs naturels.  « Devant éclairer , non pas tout de suite, mais plus tard les nations, organismes collectifs artificiels.  Il S'offre aux premiers; Il S'adapte aux secondes.  Sa puissance est illimitée, mais Il en modère l'influx par indulgence pour les révoltes, par compassion pour les faiblesses, par longanimité pour les paresses.  Il S'est chargé des chaînes de l'Espace et du Temps, depuis Sa venue jusqu'à Son retour triomphal; Il S'est soumis à la lenteur de l'évolution naturelle; Il S'est mis à la portée des lois de la Matière, comme Il S'abaisse sans impatience au niveau des plus arriérés d'entre nous.

 Le monde ne Le comprend et ne Le voit que dans la mesure où il désire Le voir.  Cette vision se développe en intensité, en netteté et en étendue, oui; mais à charge aux hommes de la faire croître.  Il reste toujours prêt à Se donner à tout et à tous pour peu qu'on L'appelle.

 Israël représente les élus, et ne possède réellement rien que ce que le Messie lui donne; c'est pourquoi le Messie est sa gloire, L'évolution ne se fait pas en blocs, mais par groupes successifs.  Par exemple, quand une race a terminé son travail, elle quitte définitivement la terre, pour prendre quelque repos dans un paradis temporaire; et ceux de ses membres qui n'ont pas satisfait à la Loi vont ailleurs réparer leurs négligences.  Or, quand un Sauveur réunit ses fidèles, la lumière qui les auréole, le halo de leurs bonnes oeuvres ne vient pas d'eux, mais de lui, parce que c'est lui qui leur a donné l'occasion et le pouvoir d'accomplir ces oeuvres.  Leur mérite n'est pas d'avoir agi, mais de n'avoir pas résisté à l'exhortation de leur guide.  Voilà comment le Christ est la gloire de Son peuple; Son peuple n'a fait pour Lui que ce qu'Il lui a donné le moyen de faire.

 Je ne veux pas dire que nous n'ayons qu'à attendre passivement dans la quiétude.  Il faut faire des efforts, le plus d'efforts possible, même les efforts impossibles.  Car nos actes ne sont pas des actes réels ce sont des simulacres; nous ne possédons pas le Réel, puisque nous ne possédons pas le Vrai.  Quand nous croyons vouloir librement, ce n'est presque toujours que par une impulsion venue d'ailleurs.  Nos tentatives les plus héroïques ne sont que les signes de nos désirs.  Cet enfant qui se hausse vers un fruit ne peut pas l'atteindre, mais sa mère, qui le voit tendre tout son petit corps, abaisse la branche à la portée de ses mains.  C'est ce que fait Jésus pour nous.  A force d'agiter les bras, nous les développons; et un temps viendra où nous atteindrons notre taille d'hommes, C'est pour cela qu'il faut toujours tenter l'effort.

 Le Christ est une occasion de chute et de relèvement pour plusieurs, selon l'état interne de ceux-ci.  Dans la masse hétérogène, Il agit comme le réactif surnaturel dont la vertu sépare le pur de l'impur.  Qui se ressemble s'assemble.  Les êtres de Lumière, même égarés, vont à la Lumière; les êtres de Ténèbres, même s'ils paraissent lumineux, vont aux Ténèbres, Ainsi, dans une ville, les artisans de même profession habitent le même quartier.  Dans l'invisible, les esprits se réunissent selon leurs travaux et leurs qualités.  L'homme de génie, paraissant au milieu d'une époque troublée, suscite de l'enthousiasme et de la haine.  Sa présence est comme un cri spirituel; Qui m'aime me suive. Ainsi la présence de Jésus attire ceux qui ont avec Lui quelque parenté spirituelle, et repousse les autres, Ceci est son jugement; jugement spontané, sans enquête, sans attendus, sans formalités; sentence qui est un reclassement, une réorganisation, une reconstruction.

 Le Christ Se suscite donc à Lui même Ses ennemis; car l'action provoque la réaction et ceux que le bien offusque font le mal, à cause de la présence du bien.  La contradiction à laquelle Lui et Ses Amis sont en butte intensifie la bataille.  J'ai regardé vivre tels de Ses Amis; on dirait qu'ils aiment à provoquer la contradiction; et ils font bien, car la bataille, c'est du mouvement, c'est encore de la vie.  L'homme est encore trop arriéré pour agir par devoir, par obéissance, ou par amour de Dieu; il a besoin d'excitants pour se mettre en mouvement  Ces excitants, ce sont les hochets des passions et les philtres des convoitises.  Il vaudrait mieux qu'il travaillât dans l'harmonie; mais plutôt que de ne pas travailler du tout, il est encore préférable qu'il travaille dans la violence.  Tout effort accompli dans un sens rend capable d'en accomplir un autre de sens contraire; plus on s'enlise, plus on désirera les sommets.  Ne craignons donc pas les obstacles; ils restent toujours proportionnés à nos forces, et d'autant plus salutaires que leur renversement exige le sacrifice de nos tendances personnalistes.

 Les pensées du coeur de plusieurs sont découvertes par le Messie, parce qu'Il est la splendeur du Vrai.  Le mal et l'ombre habitent ensemble dans tous les plans; ils s'engendrent mutuellement; tandis que la vérité, la bonté, la beauté, la Lumière, en un mot, dissipe toutes les ténèbres.  Il est presque impossible à un homme irrité de ne pas laisser voir son caractère; tous les êtres se dévoilent, lorsqu'ils sont contrariés dans le cours naturel de leur activité.  Ainsi, la lutte que la présence du Christ détermine, au sein des foules visibles et invisibles qu'Il traverse, a pour effet logique d'arracher les voiles de la ruse, du mensonge et de l'hypocrisie.

 Mais l'effervescence de vérité que Jésus provoque, c'est Lui qui en subit le premier contrecoup, et avec des souffrances inimaginables.  Nous ne pouvons nous imaginer l'étendue de Sa sensibilité.  Plus un organisme est évolué, plus il est délicat.  Le Christ est atteint par les mouvements de toutes les créatures; rien ne se passe dans l'univers qu'Il ne le voie; aucune blessure ne saigne sans Le faire saigner; aucune larme ne coule qu'Il n'en goûte l'amertume.  Mais tout ce que Lui prennent les êtres, ce n'est encore rien, puisque Sa vie est le sacrifice.  Son véritable martyre, ce sont les multitudes qui se précipitent vers l'ombre, qui salissent la Lumière, qui consument pour le mal la vie reçue par Ses soins.  Et Jésus S'obstine dans ce martyre parce qu'Il ne veut vaincre que par la douceur, l'indulgence et l'amour. Or, l'ami partage les souffrances de l'ami.  Les serviteurs de Dieu sont aussi des martyrs; et plus ils sont proches de Jésus, davantage ils souffrent.  La Vierge, la première parmi ces serviteurs, justifie l'apostrophe du vieillard; « Et même une épée te transpercera le coeur ».  Elle est, de plus, l'innocente entre toutes.  Nous sommes loin encore d'atteindre sa capacité de douleur; nos chagrins à nous ne sont guère que des meurtrissures; elle fut blessée à mort; et quel supplice avant le coup de grâce !

 Il nous reste peu de chose à dire de la prophétesse Anne.  Sa vie de solitude, de jeunes et de prières, son éducation, parachevée par les vénérables rabbins, successeurs des soixante-dix initiés de Moïse, lui avait permis de voir clair dans les obscurités des vieux textes.  La Kabbale ne contient pas toute la Vérité; mais l'aspect qu'elle en livre au chercheur patient est d'une approximation très satisfaisante.

 Remarquons la prudence de la prophétesse.  Elle ne parle du Messie qu'à ceux que préoccupe le salut d'Israël.  Il faut une grande discrétion quand il s'agit des grandes vérités.  Et je ne saurais trop le redire, en un temps où tout le monde enseigne et où tout le monde écrit, une lumière prématurée devient un poison.  Le bon exemple est le meilleur des apostolats.