LES ESPRITS DE CE MONDE ET L'ESPRIT SAINT
( 10 Février 1912 )

 « PENSES-TU QUE JE NE PUISSE PAS PRIER MON PERE, 
 QUI M'ENVERRAIT AUSSITOT PLUS DE DOUZE LÉGIONS D'ANGES ?  » 
 (MATTHIEU XXVI, 53.)


 Il semblerait d'abord qu'un mystique ne doive pas s'intéresser au problème des esprits; mais, à la réflexion, l'utilité de cette étude apparaît, pour bien fixer les idées et pour circonscrire nettement les domaines respectifs de l'occultisme et du mysticisme.  Comme tous les êtres dévoyés, notre temps cherche les choses rares; il ne se satisfait ni des leçons austères de la science positive, ni des conseils plus consolants de l'Église; et, à cause de son inquiétude fébrile, il s'égare presque à chaque pas.  C'est contre les engouements du spiritisme, de la magie, du magnétisme personnel que nous essaierons aujourd'hui de réagir, en rectifiant notre marche sur l'étoile polaire du monde invisible, sur le Verbe Jésus. 

 L'Invisible est plus vaste que le Visible, des milliers de fois.  On englobe communément tous les êtres qui le peuplent sous l'appellation d' « esprits »; mais c'est un terme impropre, car le mot désigne grammaticalement une entité immatérielle et les créatures invisibles sont pourvues de corps.  Le titre d'Esprit ne convient qu'au Consolateur, à la troisième personne de la Trinité.  Les habitants de l'Au-Delà, par le fait même qu'ils sont créés, possèdent des organes matériels.  Les dieux ont des corps, les diables aussi; les anges en mission revêtent des corps temporaires, comme nous endossons un manteau de voyage.  Pour me conformer à la coutume, j'appellerai esprit tout être imperceptible aux sens corporels, inconnu de la conscience ordinaire, intangible aux appareils de laboratoire. 

 A ce compte, les habitants de Mars ou du Soleil sont pour nous des esprits; ce sont pourtant des êtres organiques, qui s'alimentent, travaillent, se multiplient, dont le corps est pesant sur leur planète propre.  C'est ainsi qu'il existe des astres formés d'une matière que l'on trouverait beaucoup plus lourde que la nôtre, si l'on pouvait en mesurer la densité à l'étalon universel de la pesanteur; ces astres restent cependant invisibles aux meilleurs télescopes.  De même il y a, sur terre, des races d'hommes peu connues, dont le corps, bien plus vigoureux que le nôtre, bien plus grand, capable d'atteindre une longévité patriarcale, ne peut être aperçu ni par nos yeux, ni par aucun instrument d'optique.  Dans l'épaisseur des roches, dans les sables de certains déserts, dans les glaces du pôle, vivent d'autres hommes, différents de nous, géants, pygmées, cyclopes, ailés comme des anges, ou monstrueux.  Ils sont réels; mais les ondulations photogéniques passent à travers leurs corps, dont les molécules sont groupées suivant des axes différents; nos yeux ne les voient donc point et ceux des somnambules ordinaires non plus.  Plus tard, la qualité du fluide lumineux changera, et les explorateurs découvriront ces créatures étranges.  Quand elles se manifestent accidentellement, on les prend pour des esprits. 

 En outre de ces aborigènes de l'invisible, en outre des défunts, des images, des reflets, il existe des entités spirituelles attachées à toutes les créatures matérielles.  Chaque brin d'herbe a son génie, dit la Kabbale, d'accord en cela avec les Pères de l'Église.  Les mythes, les légendes populaires illustrent cette idée; l'Évangile la donne sous son aspect le plus haut : « Toutes choses ont été faites par le Verbe, prononce le disciple bien-aimé, et rien de ce qui a été fait, n'a été fait sans Lui ».  Toute créature contient une étincelle du Verbe, de la Vie; or il n'y a pas de vie sans spontanéité, pas de spontanéité sans liberté, pas de liberté sans individualité.  Absolument parlant, tout est un moi, une intelligence, une volonté; tout corps est l'enveloppe d'une âme, l'instrument d'un esprit. 

 Comment croire à de tels contes de fées ?  Il n'y a qu'un moyen, c'est d'y aller voir.  Travail difficile et délicat.  Celui qui a reçu le baptême de l'Esprit Saint possède le privilège d'une communication permanente avec le coeur du monde, séjour central du Verbe.  Là, toute créature se montre dans sa nudité originelle, dans sa forme réelle.  Mais je ne puis pas ouvrir vos yeux intérieurs et vous jeter dans les torrents de la Vie cosmique secrète.  Vos cerveaux, pour la plupart, ne résisteraient pas à ces éblouissements, à ces tumultes, au fourmillement infini de ces foules. 

 Toutefois, remarquez ceci.  Parmi les chercheurs qui s'occupent de l'invisible, il y a des théoriciens et des praticiens.  Les premiers sont des poètes, des philosophes, des initiés intellectuels; ils professent le subjectivisme, ou bien ils ne considèrent les légendes, les récits miraculeux, les théologies, que comme des allégories, des symboles, des descriptions métaphoriques de milieux dynamiques.  Pour les praticiens, au contraire, tout est réel et objectif, qu'ils agissent dans la voie de gauche, comme les sorciers de campagnes, les fakirs, les magiciens, ou dans la voie de droite, comme les mystiques.  Une fois de plus, les extrêmes se touchent; l'ignorance du sauvage, qui discerne un esprit dans le tonnerre, le baobab ou le caïman, rejoint la connaissance parfaite de l'Ami de Dieu, dont le regard perce les voiles sous lesquels se cache la forme véritable des créatures. 

 L'Église croit également à l'existence des esprits des choses; certaines de ses formules liturgiques le prouvent.  Quand le prêtre prononce : « Exorciso te, creatura aquae », c'est donc qu'il y a dans l'eau un principe qui entend cette parole, qui perçoit le sentiment du sacerdote; ou alors la liturgie ne serait que de la littérature.  
Quand le clergé bénit une moisson, une maison, un télégraphe, un médicament (I),  c'est donc qu'il y a de la vie dans ces choses, ou bien cet appel des forces divines serait un non-sens insultant à la Providence.  Quelques thaumaturges ont aperçu le monde des esprits.  L'admirable François d'Assise disait « mon frère le loup » et « ma soeur l'alouette »; et aussi « mon frère le feu, ma soeur la cendre, ma soeur la pauvreté ».  Et ce n'étaient pas dans sa pensée des images poétiques; il connaissait l'esprit animateur de ces êtres, puisque le feu, les poissons et les hirondelles obéissaient à ses aimables commandements. 

 Notre intelligence conçoit très mal que des fées habitent les fontaines, et des capripèdes, les déserts éthiopiens.  Ceux qui ont vu des créatures de ce genre ne furent pas tous hallucinés cependant; d'ailleurs l'hallucination correspond toujours à quelque chose de réel.  Toute la difficulté consiste à changer notre point de vue.  Le matelot voit les vagues, dans une marée; l'ingénieur y voit une courbe dynamique qu'il transcrit en équations; l'astrologue y découvre des courants fluidiques.  Tous ont raison; seul, celui qui regarde par les yeux mêmes du Verbe embrasse simultanément le principe et tous les aspects.  Tel est le mystique. 
 

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 Parmi ces invisibles, il en est de microscopiques, il en est d'immenses.  Ainsi, la prosternation resplendissante de l'ange de la prière déploie de l'une à l'autre extrémité du firmament des gerbes d'étoiles étincelantes; tandis que nous, quand nous prions, sur les milliards de cellules qui composent notre être, à peine quelques-unes s'illuminent-elles.  Grande est la crainte, dans le coeur du disciple qui a vu cet ange; mais sa joie demeure ineffable et inoubliable. 

 Les effluves odiques redécouverts par le baron de Reichenbach ne sont pas les esprits dont nous parlons; les halos ovoïdes multicolores que l'on perçoit dans le plan magnétique et dans le plan mental ne sont pas non plus ces esprits.  L'entité intellectuelle, la tendance morale d'une association, d'un collège, d'un mouvement ne sont qu'un mélange d'émanations venant des vitalités matérielle et spirituelle de cette collectivité. 

 Par contre, lorsque, dans ses extases, Catherine Emmerich arrache les mauvaises herbes d'une vigne immatérielle, annonçant ensuite à son réveil que cette vigne est l'Église et telle plante parasite, un prélat indigne; puis que, peu de temps ensuite, le prélat qu'elle avait nommé est destitué de sa charge, c'était le génie de l'Église qu'elle avait réellement vu.  Quand une mère rêve qu'un serpent s'enroule autour du cou de son enfant et que, le lendemain, le petit se réveille avec une angine, c'est le génie de la maladie qu'elle a aperçu.  Si, après avoir prié pour un affligé, vous le voyez en songe visité par un soldat, par exemple, c'est le génie de la délivrance qui vous apparait. 

 Quelques-uns parmi les serviteurs du grand Berger sont mis de la sorte en relation avec certains agents gigantesques qui gouvernent des forces de la Nature.  C'est ainsi qu'un jour un de mes amis, qui certes n'était pas en correspondance télégraphique avec les sismographes des observatoires, me dit à brûle-pour-point : « Cette nuit, à telle heure, il va y avoir un tremblement de terre de tel endroit à tel autre; mais il ne se fera pas sentir dans le village où habite M.  X.....  parce que c'est un bon soldat; on s'arrangera pour cela avec le dragon ».  Et, en effet, les journaux relatèrent les secousses exactement avec la direction et l'interruption inexplicable qui m'avaient été prédites.  Ce qu'il y a de curieux dans l'anecdote, c'est cette opinion sous-entendue que toute colline, toute montagne, tout fleuve, tout lac, les profondeurs du sol même sont les demeures de nombreux génies; et qu'en agissant sur le génie, on modifierait le lac ou la colline, absolument comme, lorsque les passions changent, la mimique change aussi.  Cette opinion est très répandue en Arabie, dans l'Inde, chez les Jaunes; mais elle est très rare en Europe. 

 J'aurais bien des histoires semblables à vous conter; mais il faut me tenir dans les bornes de mon programme. 
 Pour étudier d'un peu plus près l'esprit des choses, nous choisirons un exemple, que vous pourrez par devers vous étendre à toutes sortes de cas analogues. 
 

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 Voici une maison.  Tout édifice est le corps physique d'un génie.  Les cases banales des bâtisses modernes ont aussi leurs génies.  Ces génies revêtent des formes animales, et le vrai voyant entre en communication avec eux, les éduque, les fait agir selon qu'il est utile. 

 Par parenthèse, je dois vous dire ici que l'être que j'appelle un vrai voyant n'est pas le médium ou la somnambule honnêtes qui ne trichent pas; c'est tout autre chose.  Les maniaques du psychisme, dès qu'ils ont cru apercevoir chez quelqu'un des signes de déséquilibre nerveux, se précipitent pour développer ce sujet; mais, comme ils ignorent tout de la constitution réelle de l'homme, des rapports entre l'esprit et le corps, ils vont à l'aveugle; et les développements qu'ils obtiennent ne sont que des détraquements.  La présomption de ces expérimentateurs, qui croient faire oeuvre utile, serait risible, si elle n'était pitoyable.  Le vrai voyant est d'abord et par-dessus tout un disciple de l'Évangile; ce n'est que par surcroît qu'il exerce une faculté exceptionnelle. 

 Je reprends la suite de mon exemple. 

 Que se passe-t-il dans l'au-delà pendant la construction d'un édifice ?  D'abord, le futur propriétaire reçoit la forme spirituelle de cet édifice; cette visite a lieu dans l'inconscient.  Si l'esprit de cet homme s'intéresse à ce cliché, l'accueille, le nourrit, l'image impressionne le cerveau et entre dans le champ de la conscience; la volonté opte pour l'acceptation ou le rejet.  Les clichés ne peuvent pas se réaliser tout seuls; il leur faut la collaboration des hommes; mais la matière ne peut pas non plus évoluer toute seule; il lui faut des armatures que les clichés lui fournissent. 
 
  Ceux-ci, avant de devenir intuitions, désirs vagues, projets, plans, travaux et créations physiques, ont dû, auparavant, coordonner dans leur lieu propre toutes sortes de courants attractifs pour relier les uns aux autres les êtres desquels ils attendent leur matérialisation. 

 Un type spirituel croît ou dépérit selon que les hommes et les lieux qu'il touche lui fournissent de la nourriture ou la lui refusent.  Voici, par exemple, le cliché du vol qui passe auprès de mon esprit.  Auparavant je ne pensais pas à dérober; l'envie m'en vient à cause d'une occasion quelconque.  Si je la satisfais, les forces physiques et mentales qui me servent à effectuer le larcin seront absorbées par le cliché, lequel s'éloignera ensuite de mon esprit un peu plus vigoureux qu'il n'y était entré; si je résiste, après quelques tentatives le cliché s'en ira un peu plus faible. 

 Ces contacts des clichés avec le monde physique forment la trame de nos existences.  On aperçoit ici combien graves en réalité peuvent être des décisions que le jugement rationnel seul aurait crues peu importantes. 

 L'endroit où une maison doit se construire est désigné dès la naissance du continent dont il fait partie.  Bien des années avant que le terrassier ne saisisse sa pioche, des courants fluidiques se joignent sur ce lieu.  Plus l'édifice doit durer, plus cette préparation est lointaine.  Propriétaire, architecte, ouvriers, les pierres, les poutres, le ciment, le métal, tout ce qui enfin concourt à cette entreprise pour les plus minces détails est fixé d'avance dans les archives de la terre, selon les lois les plus impartiales. 

 Car rien n'arrive à personne qu'on ne l'ait appelé ou choisi d'avance.  L'effondrement, les malfaçons, les imprévoyances, l'incendie futur, les procès possibles, tout cela est attiré magnétiquement par le cliché primitif et par les justes destins des propriétaires, des constructeurs et des locataires. 

 Ceci n'excuse pas la mauvaise foi, par exemple, des contractants.  Un entrepreneur déloyal ne m'est amené et ne me nuit que parce que j'ai mérité d'être trompé; mais il demeure responsable de sa tromperie.  S'il résiste à son avarice, il agit doublement bien, pour lui et pour moi.  Si je reconnais la légitimité spirituelle de ce vol, en me refusant au procès, je paie moi-même une dette, j'améliore mon avenir, celui de ma maison, et celui même de l'entrepreneur indélicat, parce que je dépose, par mon renoncement et sans le savoir, le germe du remords dans l'esprit de cet homme. 

 Il y a des lieux néfastes, des maisons où telle maladie terrible semble avoir élu domicile.  Souvent nous allons nous y installer par ignorance; et cette ignorance est voulue de Dieu pour que nous n'échappions pas à notre juste destin.  Par contre, il ne faut pas affronter le péril par bravade : « Moi, je n'ai pas peur; moi, je suis plus intelligent qu'un tel; moi, j'ai une santé robuste ».  Il faut dire : « Je prends ce logis malgré ses inconvénients, car le Christ n'en a jamais eu autant; je puis bien m'imposer cette gêne, puisque l'un de mes frères inconnus profitera du local plus commode que je lui laisse, et puisque je suis certain d'être aidé ».  Voilà le langage d'un soldat du Ciel. 

 Remarquez la tournure singulière de la phrase évangélique : « En entrant dans la maison, saluez-la, disant : Que la paix soit sur cette maison; et, si cette maison en est digne, votre paix viendra sur elle et, si elle n'en est pas digne, que votre paix revienne sur vous ».  En effet, une maison peut, comme toute créature, désirer ou la Lumière ou les Ténèbres; la discorde accompagne celles-ci, la paix escorte celle-là. 

 Le génie d'un édifice groupe autour de lui d'autres génies; chaque pièce en possède un; chaque partie de la pièce, chaque détail de la porte ou de la fenêtre, chaque meuble, chaque objet, ne subsiste que par l'action cohésive d'un esprit. 

 L'arbre de la forêt, dans sa pleine stature, est le corps d'un génie.  Quand la hache le jette bas, chacun de ses tronçons, chaque planche, chaque bûche devient l'habitat d'un génie d'ordre différent, et le charpentier, l'ébéniste, qui donnent à ces planches une forme utile et un usage pratique, évoquent inconsciemment un génie nouveau, mi-sylvestre et mi-humain, qui habitera ce bois, devenu table, chaise ou armoire et en dirigera l'existence dans une certaine mesure. 
 

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 Chaque homme apparaît dans l'Invisible comme le centre d'une phalange plus ou moins nombreuse.  
Il a des serviteurs pour faciliter sa besogne, et des dieux au profit desquels il travaille; les esprits de ses ancêtres sont là, ceux de son village, de sa patrie, de sa race et de sa religion; des guides l'accompa- gnent dans l'exercice de son métier, dans la poursuite de ses entreprises, dans la recherche de son idéal; des voyageurs arrivent en lui, attirés par ses vertus, ses vices, ou ses préoccupations.  A ses côtés se tiennent enfin, jour et nuit, un représentant de la Lumière, l'ange gardien et un représentant des Ténèbres, le mauvais ange. 

 De plus, le dieu que chacun sert - dieu de l'argent, dieu de la science, dieu de l'art - envoie vers son fidèle de véritables cohortes d'auxiliaires et de collaborateurs.  Certains contes des Mille et une Nuits expliquent très bien cela.  Un conquérant, Napoléon si vous voulez, envoyé à la Terre comme le chirurgien au malade, ne fanatise ses soldats et n'enchaîne la Victoire à son cheval que parce que les pays qu'il traverse sont peuplés d'hommes et d'esprits venus en ligne droite du monde de la guerre et envoyés par le dieu des batailles. 

 Un concours analogue est accordé au grand philosophe, au fondateur de religion, à tout héros.  Toutefois, il faut noter ici une différence essentielle dans les attitudes intérieures de ces missionnés, attitudes qui imposent à leur oeuvre une qualité de Lumière ou d'Ombre  car les Ténèbres ont aussi leurs envoyés.  Si l'homme croit en sa propre force et ne s'appuie que sur lui-même, il fera de ses auxiliaires invisibles des esclaves, obéissants par la crainte et toujours prêts à la révolte.  Si l'homme s'estime à sa juste valeur, c'est-à-dire comme un pur néant, et ne s'appuie que sur le Ciel, il fera de ses aides des serviteurs volontaires, des amis toujours prêts à se sacrifier pour son oeuvre.  La qualité 
 de nos désirs fait la qualité de notre entourage.  On peut voir dans le type de l'adepte et dans celui du mystique l'illustration très nette de ces attitudes intérieures.  Le premier, par les entraînements du système nerveux, du mental et de la volonté, par les extases où il se plonge de son propre chef, force à le servir une foule d'esprits de tout ordre et se les incorpore, en quelque sorte.  L'Ami de Dieu, au contraire, ne désire pas devenir un athlète spirituel, mais seulement accomplir à la perfection la Loi dans la petite sphère où la Providence l'a placé.  Les serviteurs qu'il possède lui sont envoyés et, comme ils viennent du Ciel, leur dévouement est spontané, libre et total. 

 L'histoire de l'arbre sous lequel saint Martin de Tours avait coutume de prier et qui, scié subreptice- ment par un criminel, tomba du côté opposé à l'entaille pour ne pas écraser le saint, n'est pas une légende; l'esprit de ce chêne avait reconnu l'esprit de l'évêque pieux.  La coupe de poison se brisant entre les mains de saint Benoît montre aussi l'intelligence des choses, et leur petite liberté.  De nombreux faits analogues montrent comment le Ciel protège ceux qui ont en Lui une tranquille et courageuse confiance. 
 

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 Quelles instructions pratiques peut-on retirer de ces tableaux hâtifs ? 

 La sagesse ordonne de ne pas chercher de relations avec les invisibles, sous aucun prétexte, de refuser même ces relations, si des esprits se manifestent spontanément.  Mais nous sommes loin de la sagesse; ou alors il n'y aurait pas, de par le monde, tant de chasseurs de phénomènes psychiques. 

 Le spiritisme, même quand il donne des certitudes expérimentales, est un leurre.  Jamais une évocation n'a aidé un défunt.  Les pratiques spirites nient la bonté du Père, puisque c'est toujours le manque de confiance qui nous y pousse; elles ouvrent une porte - des portes - à tous les déséquilibres, physiologi- ques et psychiques; elles n'engendrent que la discorde dans le royaume des morts; elles nous rendent aveugles à la Lumière véritable. 

 La magie est encore bien plus pernicieuse.  Elle peut opérer de grandes merveilles, quelquefois même des choses grandes en apparence; mais elle est toujours une révolte contre la Loi, puisqu'elle commande, usurpe et pille, et qu'aucun homme, sauf l'homme libre, ne doit que servir, se soumettre et donner.  La magie blanche, celle qui paraît n'entreprendre que de bonnes causes, est plus dangereuse que la magie noire.  Le sorcier, en effet, ne peut pas grand'chose; quand il aura tué un troupeau, des hommes, ou séché des récoltes, ce ne sont que des dommages physiques.  Mais le mage, l'hiérophante des livres d'occultisme, l'être qui se croit très savant, très pur, très haut, qui se dit un homme libre, parce qu'il a réduit en esclavage quantité de génies, parce que même - certains auteurs n'ont pas assez de louanges pour un tel crime - il n'a pas craint de prendre par des moyens secrets les corps de jeunes gens robustes pour prolonger pendant des siècles sa propre existence terrestre : un tel homme est bien plus néfaste, parce que, par l'apparente beauté de sa vie, il entraîne les autres vers l'orgueil, vers l'égoïsme spirituel, vers l'immobilité, c'est-à-dire vers la mort seconde. 

 Ne cherchez jamais à agir sur l'esprit des choses; n'acceptez jamais ce qu'Eliphas Levi appelle la transmission de la baguette magique.  Le Père ne peut-II pas tout vous donner ?  Et ne vous donne-t-II pas selon que vous montrez la force et la sagesse nécessaires à l'usage de Ses dons ? 

 Voulez-vous connaître les choses secrètes ?  Commencez par tenir sous un secret inviolable les fautes du prochain, et ce qu'il vous a confié.  Voulez-vous accomplir des miracles ?  Commencez par vous rendre dignes des miracles que, vingt fois par jour, la Providence accomplit en votre faveur et que vous ne daignez pas remarquer.  Voulez-vous que les événements vous obéissent ?  Démontrez-leur, en renonçant aux avantages personnels de vos peines, qu'ils ne pourront jamais vous contraindre.  Obéir au Père, faire le bien, combattre ses propres vices : voilà la recette la plus juste, la plus saine, la plus active. 

 Sans avoir recours aux artifices des sciences occultes, en dehors même des rites liturgiques, la simple qualité, bonne ou mauvaise, de notre vie morale suffit à bénéficier ou à maléficier tout le milieu où nous évoluons.  La demeure sera pure si l'habitant est pur.  Il se peut que des cerveaux avides de merveilleux jugent cette théorie trop simple; cependant la simplicité est le signe de la vérité, l'attribut de la puissance, le sceau de la Lumière. 

 La connaissance de ces invisibles nous est interdite, parce qu'elle comporterait un pouvoir immédiat sur la matière, par leur moyen.  Nous manquerions ainsi l'un des buts de l'existence : évoluer le monde matériel par l'effort matériel.  L'évolution de la matière obtenue par des dynamismes spirituels serait trop brusque et, dès lors, sans fruits. 

  Les théories que je vous indique, pour puériles qu'elles paraissent, vous apportent des devoirs nouveaux; elles ne vous procureront, en récompense, des droits nouveaux que plus tard.  Elles donnent une explication nouvelle et en même temps très ancienne; autrefois elles ont rendu souvent le courage aux humains rebutés; je souhaite qu'elles vous renouvellent encore le même service. 
 

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 L'homme exerce donc, sur les objets au milieu des-quels il vit, une influence réelle.  Une chaise brandie avec fureur emmagasine de la colère; les ustensiles d'une ménagère avare propageront l'avarice chez leurs propriétaires ultérieurs.  Il en sera de même pour les actes de l'homme bon, au point de vue des fluides et surtout au point de vue des esprits.  Voyez-vous maintenant qu'il est inutile de s'embarrasser des mille précautions inscrites aux Lois de Moïse ou de Manou ?  Manger dans un plat qui a déjà servi, s'habiller de vêtements déjà portés, se nourrir de viandes dites impures, toucher des cadavres, cela souille peut-être, comme le prétendent les Orientaux, le corps ou l'aura; mais cela ne tache ni le coeur, ni l'esprit.  Les hiérophantes antiques purifiaient par le dehors; Jésus purifie par le dedans.  Une table toute neuve peut quand même avoir été souillée, par la paresse de l'ouvrier, par la cupidité du marchand, par la méchanceté de l'arbre qui en a fourni les planches.  En tout cas, le rite ne purifie par lui-même que le plan des vibrations.  Au contraire, un objet aurait-il servi à perpétrer le crime le plus noir, si on l'emploie à faire un acte de vraie charité, ce sera, pour son esprit, une purifica-tion parfaite. 

 La charité, unique devoir de l'individu envers tout le reste du monde, est innombrable dans ses applications.  Ne vous moquez d'aucune chose : ce serait offrir un logis à l'esprit de dénigrement.  Ne cassez pas des branches dans la forêt, ne tuez pas des insectes, ne détruisez rien sans motif pressant.  Ce sont des sages à leur manière, ceux qui, dans les vastes greniers des demeures provinciales, entassent toutes les vieilleries hors d'usage; ces antiques serviteurs se reposent ensemble, comme ils ont travaillé ensemble; ils ne souffrent pas de l'ingratitude humaine; ils rendent encore des services à leurs maîtres, mais spirituels au lieu de matériels.  Ils rattachent à la maison qui les abrite les images du passé, les chaînes traditionnelles, les lignes d'ancêtres et de descendants. 

 Ne brûlez pas ces vieux témoins; ne les dispersez pas, sauf pour secourir quelque malheureux; laissez- les retourner tout doucement à la poussière originelle. 

 C'est par charité qu'il faut garder les cadeaux encombrants ou ridicules : on hospitalise ainsi ce dont un autre ne voudrait pas.  C'est par charité qu'il ne faut détruire les vieux portraits ni par la flamme, ni par les ciseaux; ils gardent toujours un peu de la vie de celui qu'ils représentent, même s'il est mort.  Enterrez ces photographies déteintes; la terre est maternelle.  Par charité ne soufflez pas la lampe ou la bougie; évitez la mort subite aux petits êtres qui fabriquent la flamme; puisque votre souffle répand en vous la vie, ne l'obligez pas à donner la mort, au dehors.  Par charité ne raccommodez pas indéfini- ment le vieux linge et les vieux habits, si vous pouvez en acheter de neufs; la Loi, c'est que tout circule et que tout se renouvelle. 
 

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 N'épargnez aucun de ces humbles efforts, de ces obscurs sacrifices.  Un temps viendra où vous retrouverez, dans quelqu'une des blanches demeures du Père, tous ces humbles génies du foyer, tous ces modestes serviteurs; et devant votre regard ému repassera, du fond des siècles et des espaces, la scène familière où vous aurez eu un geste de douceur sur les témoins muets, quoique vivants, de votre petite existence terrestre. 

 Toutes les prières que vous aurez prononcées, dans le silence nocturne et la solitude de votre chambre close, les objets autour de vous les auront entendues, s'en seront nourris et en auront gardé le souvenir.  Les choses ont une mémoire; la psychométrie le prouve.  Sachez bien que vos livres, vos bibelots, les arbres, dans votre jardin ou dans la campagne, sentent votre présence, comprennent un peu de ce qui se passe en vous et attendent de vous une lumière et une direction. 

 Donnez-leur cette lumière, non pas en cherchant à les éclairer par vous-mêmes; votre lumière propre est bien trop peu de chose.  Mais efforcez-vous de retenir dans votre coeur la Lumière même du Verbe et vous serez à tous ces êtres un guide certain.  Pour retenir Jésus en vous, vous savez comment il faut faire. 

 Appliquons-nous aux besognes quotidiennes, aux devoirs immédiats, aux travaux que nous pouvons comprendre; et laissons les tâches lointaines, abstraites, trop difficiles, à ceux qui croient pouvoir les mener à bien. 



 (I) Cf.  Rituale Romanum.