CHAPITRE XIII

LA ROSE-CROIX ESSENTIELLE

Ex Deo nascimur.

In Jesu morimur.

Per Spiritum Sanctum reviviscimus.


Les paroles suivantes de Michel Maïer (25) peuvent résumer l'ensemble des tendances doctrinales rosicruciennes :

« La nature aura toujours des secrets ; la chaîne d'or part de l'infini et remonte à l'infini. Ainsi la science se pervertirait si des réformateurs et des critiques ne venaient séparer le pur de l'impur et tenir la balance égale entre l'expérience et la raison. Les choses se sont ainsi passées de tout temps ; les réformateurs qui existent à cette époque (commencement du XVIIe siècle) en Allemagne forment l'institut des Rose-Croix.

» L'art est le serviteur de la nature. La théorie et la pratique doivent donc toujours marcher de pair ; apprendre les secrets, les polir ou les adapter, les approprier ou les réaliser, telle est la triple marche que suit l'adepte et qui est enseignée dans les neuf collèges disséminés sur la terre : en Égypte ; chez les Eumolpides, à Eleusis ; chez les Cabires, à Samothrace ; chez les mages de la Perse et de la Chaldée : chez les Brahmanes ; chez les Gymnosophistes ; chez les Pythagoriciens ; en Arabie ; et, à Fez, chez les Maures.

» L'alchimie n'est qu'un art secondaire. Les Rose-Croix estiment la vertu plus que l'or ; quoique ce dernier soit utile comme moyen d'action dans les périodes de publicité. La médecine des adeptes est triple : corporelle, animique et spirituelle ; ils la distribuent quand l'humanité en a besoin, puis laissent la crise thérapeutique se développer et rentrent dans le secret, jusqu'à ce qu'une nouvelle médication soit nécessaire.

 La pierre cubique est le symbole de cette adaptation des sciences et des arts à leurs fins et des effets à leurs causes.
» Les époques d'action de la Rose-Croix sont déterminées par la connaissance de l'astral et par celle des lois de l'évolution du genre humain. Ces périodes de divulgation ont pour but d'éveiller le désir et d'éprouver ceux qui sont dignes d'être élus. Ces derniers sont peu nombreux cependant ; les Rose-Croix acceptent à peine un candidat sur mille » (1).
Voici comment s'exprime Eckhartshausen :
« Les écoles de sagesse se divisent en écoles extérieures et intérieures. Les écoles extérieures possèdent la lettre des hiéroglyphes, et les écoles intérieures, l'esprit et le sens.

» La religion extérieure est reliée avec la religion intérieure par les cérémonies.

L'école extérieure des mystères se lie par les hiéroglyphes avec l'intérieure...
» Fils de la Vérité, il n'y a qu'un ordre, qu'une confrérie, qu'une association d'hommes pensant de même, qui a pour but d'acquérir la lumière. De ce centre, le malentendu a fait sortir des ordres innombrables... Le multiple est dans le cérémonial de l'extérieur, la vérité n'est que dans l'intérieur. La cause de la multiplicité des confréries est dans la multiplicité de l'explication des hiéroglyphes, d'après le temps, les besoins et les circonstances. La vraie communauté de lumière ne peut être qu'une...

» Toutes les erreurs, toutes les divisions, tous les malentendus, tout ce qui, dans les religions et les associations secrètes, donne lieu à tant d'égarements, ne regarde que la lettre ; l'esprit reste toujours intact et saint. Tout ne se rapporte qu'au rideau extérieur sur lequel les hiéroglyphes, les cérémonies et les rites sont écrits ; rien ne touche à l'intérieur...

» Notre volonté, notre but, notre charge est de vivifier partout la lettre morte et de donner partout aux hiéroglyphes l'esprit, et aux signes sans vie la vérité vivante ; de rendre partout l'inactif actif, le mort vivant. Nous ne pouvons pas tout cela de nous-mêmes, mais par l'esprit de lumière de Celui qui est la Sagesse, l'Amour et la Lumière du monde, qui veut devenir aussi votre esprit et votre lumière.

» Jusqu'à présent, le sanctuaire le plus intérieur a été séparé du temple, et le temple assiégé par ceux qui étaient dans les parvis. Le temps vient où le sanctuaire le plus intérieur doit se réunir avec le temple, pour que ceux qui sont dans le temple puissent agir sur ceux qui sont dans les parvis, jusqu'à ce que les parvis soient jetés dehors.

» Dans notre sanctuaire, qui est le plus intérieur, tous les mystères de l'esprit et de la vérité sont conservés purement ; il n'a jamais pu être profané par des profanes, ni souillé par des impurs. Ce sanctuaire est invisible, comme l'est une force que l'on ne connaît que dans l'action.

» Dans notre école tout peut être enseigné, car notre Maître est sa lumière même et son esprit. Nos sciences sont l'héritage promis aux élus ou à ceux qui sont capables de recevoir la lumière, et la pratique de nos sciences est la plénitude de la divine alliance avec les enfants des hommes. Maintenant nous avons rempli notre charge et nous vous avons annoncé l'approche du Grand Midi et la réunion du sanctuaire le plus intérieur avec le temple. » (55)
 

Sur ce sujet nous résumons les développements que donne l'Echo der von Gott erleuchteten Fraternitet (40) :

Le Summun Bonum est la Sagesse. Mais il faut distinguer la sagesse humaine de la sagesse divine. La première est imparfaite, incertaine, sceptique ; tous ses défauts sont exposés dans le livre du très savant Agrippa, qui avait vu plus loin que la philosophie humaine.

La sagesse du monde est folie aux yeux de Dieu (2). Les sages de ce monde font souvent, avec toute leur intelligence, des actions insensées, même à leur propre point de vue, car leur sagesse est périssable, transitoire et inconstante. C'est avec raison que le Syracide affirme : Toute sagesse vient du Seigneur Dieu et est éternelle avec lui (I, 1).

L'Écriture nous apprend donc qu'il y a une sagesse divine. Salomon dit : Le Seigneur donne la sagesse et par sa bouche descendent la connaissance et la compréhension (Sapience VII, 15). Il donne les caractères de cette sagesse : « C'est, dit-il, le souffle de la puissance divine, un rayon de la magnificence du Tout-Puissant, la splendeur de la lumière éternelle, un miroir immaculé de la puissance divine, une image de sa bonté. Elle est transmise sur cette terre par la bouche des saints et des prophètes, mais le Verbe de Dieu est le puits de la sagesse et la loi éternelle en est la source. » Job (XXVIII, 20, 21) dit qu'elle est cachée à l'oeil de tous les vivants. Or le Seigneur veut que l'homme soit intelligent et qu'il sache reconnaître Sa volonté ; il faut donc que nous nous efforcions d'acquérir la sagesse.

Dans l'Ancien Testament, Adam, Noé, Lot, Jacob, Joseph et Moïse Josué, David, Salomon, Daniel, Esdras ont eu cette sagesse en partage, avec Samuel, Élie, Élisée, Isaïe. Jésus-Christ l'a fait donner à ses disciples, Bien peu d'hommes ont reçu ce don divin ; il faut pour cela devenir ennemi du monde ; ceux que le monde hait sont aimés de Dieu. « II n'y a pas un homme sage, dit Tertullien, que le monde ne tienne pour fou ; car la sagesse de ce monde est juste le contraire de celle du Ciel et, pour trouver cette dernière, il faut renoncer à toute la sagesse terrestre que l'on s'est acquise. » Cela est ainsi parce que, selon Luc (XVI, 15), tout ce qui est grand devant le monde est un néant aux yeux de Dieu. La sagesse se trouve donc chez les humbles, ainsi que le dit Salomon (3). L'humilité allume les lumières de l'entendement, de même que la sincérité et la droiture.

La purification du coeur est la préparation nécessaire pour recevoir la sagesse ; mais il faut chercher la vie active avant la vie contemplative. La Sagesse répartit ses dons suivant les hommes ; elle donne la parole, la connaissance ou la foi ; elle livre la clef des choses cachées, passées ou futures ; elle confère la science de toutes choses sur la terre et dans les cieux ; elle apprend à lire les pensées des hommes, à parler toutes les langues. Elle est l'arbre de vie, elle montre le chemin du royaume de Dieu. Elle confère le pouvoir de rendre la santé, de faire des miracles ; elle est l'esprit de la grâce et de la prière ; elle donne la connaissance de l'homme intérieur et celle de Dieu. Le Seigneur instruit directement l'homme sage dans des rêves nocturnes et par des visions; les anges lui apparaissent quelquefois. Le contemplatif est parfois ravi en extase, il voit les cieux ouverts.

L'auteur de ce petit traité rend témoignage des grandes faveurs dont la Sagesse l'a comblé. Dieu lui montra d'abord le véritabIe chemin avec ses trois degrés tels que Jésus les a enseignés à ses disciples ; puis la véritable façon de prier et la manière de distinguer les ennemis de Dieu d'avec ses amis. Après avoir reçu le second degré de la Sagesse, il reçut un art de s'enquérir, après une certaine préparation, des choses futures concernant les choses temporelles. II reçut dans le même degré des interprétations subtiles des Écritures ; la première méthode consiste à écrire ou à donner de nombreuses combinaisons d'un mot ou d'un signe sacré ; la seconde apprend à trouver sept sens d'une même sentence. Ces deux méthodes dépassent en ingéniosité et en profondeur tout ce que Trithème et Porta ont écrit sur le sujet. II a découvert la racine de toutes les langues et a construit à cet effet un speculum archetypum qui donne le sens de tous les mots imaginables ; puis la clef de tous les systèmes musicaux. De même, il a trouvé les raisons pour lesquelles on rencontre sur la terre un si grand nombre de types d'hommes différents, et il a construit pour cette recherche un autre archétype. Il a eu des visions comme Ezéchiel et l'apôtre Jean ; il a appris à parler et à écrire de nouvelles langues.

Le troisième degré de la Sagesse lui révéla des choses qui sont au-dessus de l'entendement humain : les secrets de l'homme intérieur, de l'âme, de sa naissance, du lieu où elle habite dans l'homme incarné, ce que sont la mort et le réveil de l'âme, ce que sera le nouveau corps de notre régénération. Le mystère de la Trinité lui fut dévoilé avec ses correspondances, ainsi que la nature et la constitution des esprits. II connut le mystère caché du mariage, celui de la chute et ceux que symbolisent le baptême, la cène, ceux de la communion des saints et du Saint-Esprit. En outre, Dieu lui révéla beaucoup de choses sur le troisième monde, la seconde venue du Christ, le jour du Seigneur, le millénaire de l'Apocalypse, la résurrection des morts, le jugement dernier, la disparition de l'univers visible et sa rénovation, sur deux personnes qui viendront avant ce jour, sur la nouvelle Jérusalem, sa construction, sa religion, sur une nouvelle compréhension de l'Écriture, un nouveau livre saint, sur l'Évangile de la nouvelle alliance, sur le nouveau sacrifice, la nouvelle loi, le nouvel état social, une médecine, une philosophie, une magie nouvelles, enfin sur la vie éternelle, l'unique religion et l'unique royaume.

L'auteur reçut aussi l'intelligence mystique des Écritures et la révélation de leur sens anagogique. Il a consigné quelques-uns des secrets du second degré dans deux manuscrits sur la Théologie mystique et sur le nouveau règne du Christ sur la terre.

Pour terminer, notre mystique revient sur l'opposition constante des préceptes de la Sagesse divine et de ceux de la sagesse humaine. Il développe les lois de la première, en citant à profusion des textes sacrés sur la pauvreté, sur l'aumône, sur les épreuves, sur l'humilité. Il termine en adjurant ses lecteurs de ne pas mettre leur foi dans les ténèbres de la sagesse humaine, mais dans la force de la Lumière, car la splendeur qui provient de Dieu ne s'éteindra jamais (Sapience VII, 14).

On peut dire que l'état des Rose-Croix joint les extrêmes de la stabilité et du mouvement, ainsi que fait le Saint-Esprit, qui réunit les extrêmes du Père, stabilité éternelle, et du Fils, mouvement vital infini. C'est ce qu'ils exprimaient en disant que leur lieu de réunion est le Temple du Saint-Esprit, et qu'ils y reçoivent les deux sacrements de l'Église primitive et éternelle : un de ces baptêmes d'Esprit dont parle l'Évangile et une communion plénière avec le Verbe.

Fludd exprime sous d'autres termes les mêmes idées dans son Summun Bonum. (19)

« Le Christ est né à Bethléhem ; or Bethléhem nous donne la maison du pain et la maison de la guerre, c'est-à-dire la même chose que Beth-El.

» Les sages de la Rose-Croix et leur demeure spirituelle sont amplement décrits par l'apôtre saint Pierre. Au Christ, pierre lui-même, vous édifierez, ainsi que des pierres vivantes, une demeure spirituelle, offrant en saint sacerdoce les hosties spirituelles agréables à Dieu par l'entremise de Jésus-Christ, Et vous, troupe choisie, sacerdoce royal, sainte assemblée, peuple d'élection, appelé de l'ombre à son admirable lumière pour annoncer ses vertus...

» Fils de Dieu, élus de Dieu, troupe sacrée, prophètes, amis de Dieu, sages, saints, vraie semence d'Abraham, Frères christiques : tels sont les noms sous lesquels on vous connaît.

» La Rose des Rose-Croix est le sang du Christ dont tous nos péchés ont été lavés (saint Jean). C'est la rose de Saron du Cantique des Cantiques ; c'est elle qui orne le jardin secret ; c'est à sa base qu'est creusé le puits des Eaux Vives ; c'est la charité du Christ par laquelle, selon la parole de l'apôtre, on arrive à connaître, avec tous les saints, la largeur, la longueur, l'élévation et la profondeur ; c'est le sang jusqu'à l'effusion duquel il nous faut résister au péché ».
Le Dr Franz Hartmann, après avoir émis l'opinion qu'on ne peut pas trouver de Rose-Croix vivant sur terre, proclame qu'ils forment une société spirituelle, dont la conscience est dans les cieux et qui, prenant par intervalles des corps sur la terre, échappe aux investigations de l'historien. « Leur Fraternité, selon leur propre témoignage, a existé dès le premier jour de la création, disent-ils, lorsque Dieu a dit :

Que la lumière soit ; société des enfants de la lumière dont les corps sont formés de lumière et qui vivent dans la lumière pour toujours. Ils sont instruits par la sagesse divine, la fiancée céleste. Tous les sages qui ont existé ont étudié à leur école ; ils seraient répandus non seulement sur cette terre, mais encore dans tout l'univers. Ils n'ont qu'un livre et qu'une méthode ; leur temple est partout ; ils y entretiennent un feu qui les nourrit et qui est thaumaturgique. Ainsi toute chose leur est soumise, parce que leur volonté est identique à la Loi. » (63)

Nous arrivons, on le voit, dans les abîmes étoilés de la mystique, ou jusqu'en haut de ses sommets les plus vertigineux. Voici comment on peut y vivre.

Ruysbroeck l'Admirable a décrit, avec une rare vérité d'expression, les états supérieurs de la vie spirituelle (4). Ce sont les degrés dont il parle dans les pages suivantes, que nous empruntons à la belle traduction d'Ernest Hello. Bien que nous soyons loin des sciences occultes que le vulgaire croit être l'apanage unique des Rose-Croix, nous citons ici un voyant orthodoxe pour montrer que tous les chemins mènent à la même et unique Lumière.
 

LES AMIS SECRETS ET LES ENFANTS MYSTÉRIEUX.

« Il y a une différence intérieure et inconnue entre les amis secrets de Dieu et ses enfants mystérieux. Les uns et les autres se tiennent droits en sa présence. Mais les amis possèdent leurs vertus, même les plus intérieures, avec une certaine propriété, imparfaite de sa nature. Ils choisissent et embrassent leur mode d'adhésion à Dieu, comme l'objet le plus élevé de leur puissance et de leur désir. Or leur propriété est un mur qui les empêche de pénétrer dans la nudité sacrée, la nudité sans images. Ils sont couverts de portraits qui représentent leurs personnes et leurs actions et ces tableaux se placent entre leur âme et Dieu. Bien qu'ils sentent l'union divine dans l'effusion de leur amour, ils ont néanmoins, au fond d'eux-mêmes, l'impression d'un obstacle et d'une distance. Ils n'ont ni la notion, ni l'amour du transport simple ; la nudité, ignorante de sa manière d'être, est une étrangère pour eux. Aussi leur vie intérieure, même à ses moments les plus hauts, est enchaînée par la raison et par la mesure humaines. Ils connaissent et distinguent fort bien les puissances intellectuelles, soit ; mais la contemplation simple, penchée sur la Lumière divine, est un secret pour eux. Ils se dressent vers Dieu dans l'ardeur de leur amour ; mais cette propriété, imparfaite de sa nature, les empêche de brûler dans le feu. Résolus à servir Dieu et à l'aimer toujours, ils n'ont pas encore le désir de la mort sublime, qui est la vie déiforme. Ils font peu de cas des oeuvres extérieures et de cette paix mystérieuse qui réside dans l'activité. Ils gardent tout leur amour pour les consolations intérieures et pour d'imparfaites douceurs ; c'est pourquoi ils s'arrêtent en route, se reposent avant la mort mystérieuse et manquent la couronne que pose l'Amour nu sur la tête du vainqueur.
» Ils jouissent bien d'une certaine union divine ; ils s'exercent, ils se cultivent, ils connaissent leur état distinctement, dans leurs voies intérieures ils aiment les chemins qui montent. Mais ils ignorent l'ignorance sublime du transport qui ne se connaît plus, et les magnificences de ce vagabondage enfermé dans l'amour superessentiel, délivré de commencement, de fin et de mesure.

» Ah ! la distance est grande entre l'ami secret et l'enfant mystérieux. Le premier fait des ascensions vives, amoureuses et mesurées. Mais le second s'en va mourir plus haut, dans la simplicité qui ne se connaît pas. Il est absolument nécessaire de garder l'amour intérieur ; ainsi nous attendrons avec joie le jugement de Dieu et l'avènement de Jésus-Christ.

» Mais, dans l'exercice même de notre activité, nous mourons à nous-mêmes et à toute propriété ; alors, transportés au-dessus de tout, par le sublime excès de l'esprit vide et nu, nous sentirons en nous avec certitude la perfection des enfants de Dieu, et l'esprit nous touchera sans intermédiaire, car nous serons dans la nudité. »
De plus, la réintégration de l'homme incarné dans tous les privilèges de son état céleste primitif est décrite dans l'Apocalypse sous les symboles des noces de l'Agneau et du Nom nouveau. Les curieux trouveront des développements admirables là-dessus dans les oeuvres de Gichtel. Voici la glose de Ruysbroeck, qui suffira pour fixer les idées.

LE PETIT CAILLOU ET LE NOM NOUVEAU.

« Au vainqueur, dit le Saint-Esprit dans l'Apocalypse, je donnerai la manne cachée et un caillou blanc, et sur le caillou un nom nouveau, qui n'est connu de personne, excepté de celui qui le reçoit.

» Le vainqueur, c'est celui qui a traversé et dépassé lui-même et toutes choses. La manne cachée, c'est un sentiment intérieur, une joie céleste. Le caillou est une petite pierre, si petite qu'on la foule aux pieds sans douleur (calculus, caillou ; de calcare, fouler). La pierre est blanche et brillante comme la flamme ronde, infiniment petite, polie sur toutes les faces, étonnamment légère. Un des sens que présente ce caillou pourrait être le symbole de Jésus-Christ. Jésus est la candeur de la lumière éternelle ; il est la splendeur du Père ; il est le miroir sans tache, en qui vivent tous les vivants. Au vainqueur transcendant ce caillou blanc est donné, portant avec lui vie, magnificence et vérité. Ce caillou ressemble à une flamme. L'amour du Verbe éternel est un amour de feu ; ce feu a rempli le monde, et il veut que tous les esprits brûlent en lui, Il est si petit, ce caillou, qu'on peut le fouler aux pieds sans le sentir. Le Fils de Dieu a justifié l'étymologie du mot calculus. Obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix, il s'est anéanti. Non plus homme, mais ver de terre, opprobre du genre humain et mépris de la populace, il s'est mis sous les pieds des juifs, qui l'ont foulé sans le sentir. S'ils eussent reconnu Dieu, ils n'eussent pas dressé sa croix. Il y a plus : aujourd'hui Jésus est petit et nul dans tous les coeurs qui ne l'aiment pas, Cette magnifique petite pierre est ronde et égale à elle-même sur toutes ses faces. La forme ronde, la forme de la sphère rappelle la vérité éternelle, sans commencement ni fin. Cette égalité d'aspect que présente de tous côtés la forme sphérique indique la justice qui pèsera tout avec équité, rendant à chacun ce qui lui est dû. Ce que donnera la petite pierre, chacun le gardera éternellement. Ce caillou est extraordinairement léger. Le Verbe éternel ne pèse rien ; il soutient par sa vertu le ciel et la terre. Il est intime à chacun, et n'est saisi par personne. Jésus est l'ainé des créatures, et son excellence les surpasse toutes ; il se manifeste à qui il veut, là où il va, porté par sa légèreté immense ; notre humanité est montée par-dessus tous les cieux et s'est assise à la droite du Père.

» La pierre blanche est donnée au contemplateur ; elle porte le nom nouveau, que celui-là seul connait qui la reçoit.

» Tous les esprits qui se retournent vers Dieu reçoivent un nom propre. Le nom dépend de la dignité plus ou moins excellente de leurs vertus, et de la hauteur de leur amour.

» Notre premier nom, celui de notre innocence, celui que nous recevons au baptême, est orné des mérites de Jésus-Christ. Si nous rentrons en grâce, après l'innocence baptismale perdue, nous recevons du Saint-Esprit un nom nouveau, et ce sera un nom éternel ».

Résumons et faisons que des paroles de vérité clôturent dignement un livre qui n'est que l'humble écho des verbes les plus mystérieux de notre Occident.

Débarrassées de toute leur logosophie initiatique, les conceptions que nous venons de présenter sont en substance dans un petit livre tombé dans l'oubli et dû à la plume d'un mystique à qui on fait l'honneur d'une affiliation rosicrucienne : le conseiller d'Eckhartshausen. Nous voulons conclure en résumant La Nuée sur le Sanctuaire et en indiquant, si l'on veut arriver aux sommets qu'elle décrit, les conseils de l'ouvrage qui s'intitule Quelques traits de l'Église intérieure, d'Ivan Lopoukhine, qui rappelle, pour la satisfaction des besoins de l'âme, l'Imitation de Jésus-Christ.

« Cette Église intérieure existe réellement dans un certain plan de l'Invisible, depuis la création du monde et se perpétuera jusqu'à la fin des temps. C'est le Saint-Esprit qui en instruit lui-même les membres, et qui leur présente la vérité dans toutes les parties de la nature. Les membres de cette Église n'appartiennent pas qu'à la terre. Son but est de préparer le règne de Dieu; c'est par son influence, par sa collaboration, ou avec son concours, que toute lumière est descendue sur la terre, y a germé et y a porté des fruits. Elle est hiérarchisée, et dans sa constitution, et dans son initiation.
» Le premier degré, et le plus bas, consiste dans le bien moral par lequel la volonté simple, subordonnée à Dieu, est conduite. Les moyens dont l'esprit de cette école se sert sont appelés inspirations.

» Le second degré consiste dans le raisonnable intellectuel, par lequel l'entendement de l'homme de bien, qui est uni avec Dieu, est couronné avec la sagesse et la lumière de la connaissance : les moyens dont l'esprit se sert pour celui-ci sont appelés des illuminations intérieures.

» Le troisième degré enfin, et le plus élevé, est l'ouverture entière de notre sensorium intérieur, par lequel l'homme intérieur arrive à la vision objective des vérités métaphysiques et réelles.

» Celui-ci est le degré le plus élevé dans lequel la foi passe en vision, et les moyens dont l'esprit se sert pour cela sont les visions réelles.

» Voilà les trois degrés de la vraie école de sagesse intérieure, de la communauté intérieure de la lumière. Le même esprit qui mûrit les hommes pour cette communauté distribue aussi ses degrés par la coaction du sujet mûri.

» Cette école intérieure se communique, suivant les circonstances, aux écoles extérieures qui la reçoivent suivant leurs capacités ; ses membres ne sont jamais convoqués ni réunis en corps, à moins que cela ne soit nécessaire. Dieu est le chef et il est obéi également par tous, quel que soit le travail qu'il leur ait assigné. L'entrée dans cette école est en nous-mêmes mais on ne trouve la porte que quand on est mûr, c'est-à-dire quand on a conçu la vraie base de l'humilité, de la mort à l'égoïsme et de la confiance dans la bonté du Père. » (55)

Nous ne pensons pas pouvoir terminer cette imparfaite étude sur l'expression de sentiments plus vrais. Nous demandons, pour finir, que ce livre serve au moins à faire trouver la porte étroite à quelques-uns de ceux qui marchent dans les voies de la Science : qu'ils éprouvent toutes choses avec la prudence du serpent, car beaucoup d'écoles ont pris faussement le nom et le manteau de la vraie Rose-Croix.


(1) Le célibat n'est pas une condition indispensable de l'état de Rose-Croix. Il y a parmi eux des gens mariés et pères de famille : les études de médecine et de philosophie ne sont pas indispensables, car ils se sont adjoint des peintres.
(2) I Corinthiens, III, 19.
(3) Proverbes XI, 2.
(4) Dans des corps vivants.