Note de Sedir après la publication des réponses à l'enquête :

" Les Cahiers du mois ont interrogé sur cette question une centaine de littérateurs, philosophes, érudits, français et étrangers. Certaines de leurs réponses sont très instructives. Cependant aucune d'elles, même celles émanant de catholiques notoires, ne place la question sur son véritable terrain qui est l'opinion qu'on peut avoir sur le Christ ".


L'Idéal

- Comment réaliser l'idéal ?

- Il faut procéder comme la prudence ordinaire nous conseille d'opérer, par les petits efforts. Quand notre coeur a conçu quelque chose de la splendeur divine, il s'enthousiasme, il s'élance et croit pouvoir tout réaliser; mais il traîne après lui mille boulets : Nos instincts, la vie de nos cellules, et tout cela alourdit son élan. Lorsqu'il y a eu cette transformation profonde que l'Eglise appelle la conversion, c'est-à-dire une révolution de tout l'être, révolution douloureuse et unique dans une vie, lorsqu'on s'est voué à Dieu, Il est obligé de changer tout dans la trame de notre destin. Alors tout ce qui arrive dans notre vie à partir de ce moment, c'est Dieu ou Ses serviteurs directs qui le préparent pour le converti.

Dès lors nous pouvons considérer tout ce qui nous arrive comme voulu par le Ciel.

Quand un homme recherche un autre idéal que le Père, c'est le dieu auquel il s'est donné qui tisse la trame de sa vie, et cela en vue de son propre accroissement, car notre vie est la nourriture des dieux. Mais quand on a quitté les dieux pour se donner au Père, Il se donne à nous, et tous les efforts que la vie nous ménage sont dosés selon notre force du moment et selon la qualité de l'école que nous avons à suivre. Donc il ne faut pas céder à l'enthousiasme, il ne faut pas rêver de faire de l'héroïque. Si nous avons eu la sensation de la présence divine, il nous faut rester dans la vie prosaïque, mais vouloir en faire un chef d'oeuvre, mettre tout nous-mêmes, notre vie la plus haute, nos désirs les plus grands dans chaque chose. Et alors, procédant par les petites choses, nous devenons capables d'efforts plus importants, et nos directeurs invisibles nous ménagent des occasions plus hautes de travailler.

Ceci n'implique pas le quiétisme, mais exige une dépense d'énergie extraordinaire. Il ne faut pas prendre beaucoup de résolutions dans la fièvre de l'enthousiasme; il faut garder le calme extérieurement et conserver la flamme pour le moment de la solitude avec Dieu; on peut alors tout recevoir avec le même calme et le même sourire. Il ne s'agit pas de faire de grandes choses, mais de faire grandement les plus petites choses; aucun effort n'est inutile et nous ne sommes capables que de petits efforts. Plus tard nous serons capables d'efforts plus grands.

Voilà, d'après mon expérience, la seule recette pour aider à la réalisation de l'idéal.

Il y a dans le visible comme dans l'invisible des gens qui déplacent beaucoup d'air. Il faut avoir de l'enthousiasme, du zèle, de la flamme, mais ce qui reste extérieur n'agit pas; c'est ce qui est intérieur.

Si nous avons de la flamme, arrangeons-nous pour qu'elle ne soit pas nerveuse, mais qu'elle reste dans le fond de notre coeur, et alors elle se gardera plus pure et nous conserverons notre bon sens qui est indispensable pour travailler. Le Ciel ne nous demande pas de faire de l'extraordinaire, mais de bien accomplir des choses ordinaires.

Pour cela il faut avoir de la présence d'esprit et il faut se mettre des oeillères sur le devoir de la minute présente et ne passer au devoir de la minute suivante que quand le premier a été accompli avec tout notre coeur; et pour cela il faut du calme. Si nous sommes constamment ivres d'enthousiasme, nous ne savons pas ce que nous disons. Il faut régler nos enthousiasmes et apprendre à nous posséder. Le Christ a dit : " Possédez vos âmes par la patience ". Il faut donc avoir de la patience, même avec nos idéals les plus purs, sous peine de désorganisation et de douleur.

En résumé :

- Etre prudent;

- Pétits efforts au début,

- Se garder des feux de l'enthousiasme.

- Notre coeur a trop de vieilles habitudes très fortes.

- A partir de notre conversion, Dieu doit tout changer dans notre vie. Il se donne à nous, tandis que les dieux se nourrissent de nous.

- Il ne faut pas rêver de faire des choses héroïques.

- Se mettre tout entier dans les petites choses.

- Ne pas prendre beaucoup de résolutions.

- Garder sa flamme pour le moment où l'on est seul. Autrement : être calme.

- Il n'y a aucun effort inutile.

- Il faut faire bien les petites choses.



L'HOMME LIBR

- Qu'est-ce qu'un homme libre ?

- Nous ne sommes pas libres. Personne n'est libre de faire ce qu'il veut; nous sommes liés par les convenances, les devoirs, les lois civiles ou religieuses; nous sommes liés par nous-mêmes, par notre faiblesse, par nos hérédités, par la pression inconsciente du milieu où nous vivons, par l'âme même de notre pays, de notre race, de la terre, enfin et surtout par les conséquences de nos actes antérieurs. Et quand je parle de dettes à payer, je veux dire que nous sommes des forçats qui traînons notre chaîne et que chaque souffrance qui tombe sur nous est un poids en moins pour nous.

Imaginez un homme qui ait accompli à fond sa tâche sur la terre, qui ait payé toutes ses dettes, à qui aucun homme, aucun être inférieur, aucune loi possible n'ait le droit de rien réclamer; cet homme-là est libre quant à la terre. Imaginez-vous cet homme ayant accompli ce même travail de libération dans tous les enfers, tous les purgatoires par lesquels il a passé depuis son départ du Ciel jusqu'à son retour dans le Royaume.

Un tel homme a accumulé des quantités d'expériences, il a souffert des quantités de souffrances. Et en particulier, il a fait cette expérience : s'il a voulu pour faire ce travail, s'appuyer sur lui-même, il s'est rapidement rendu compte que la tâche est si formidable qu'aucune énergie humaine ne peut l'accomplir. Alors il est passé par une sorte de désespoir, de mort intérieure, qui l'a mené au Christ. L'homme libre est celui qui a accompli tout cela avec la pensée que lui-même n'est rien; il reste en lui le souvenir de ce qu'il a fait et ce souvenir est une tentation perpétuelle car c'est de l'orgueil imminent.

Un saint qui sait qu'il est un saint n'est plus un saint. De même, pour traverser l'abîme qui sépare la nature de la surnature, il faut avoir oublié tout ce qu'on a fait. Ce lavage ne peut être opéré par l'homme; il est l'oeuvre du baptême de l'esprit. Alors, l'homme est vraiment libre; aucune loi de la nature ou de l'intelligence n'a de prise sur lui, aucun être ne peut lui commander car il a obéi à toutes les lois, et son esprit a oublié ses héroïsmes; il commande à tous car tout en lui a été recréé. Sa vie est entée sur la vie du Verbe. Tout ce qu'il pense, ou dit, ou accomplit, on peut dire que c'est le Verbe qui le fait par lui, et s'il reçoit une mission dans un monde, il est le maître de tout dans ce monde et il opère sans effort, car sa volonté ne peut pas être différente de celle de Dieu. Le Christ est l'idéal d'un homme libre, bien que le Christ soit autre chose encore.

 
L'ANTECHRIST

L'antéchrist est en principe l'adversaire du Christ, de Dieu. Il est en outre le Séducteur. Il est en troisième lieu le Génie du Mensonge.

Lorsque les hommes conçoivent en eux-mêmes qu'il y a une lumière centrale dans leur coeur, ils sont rattachés au Divin, et sentent tout ce qui n'est pas divin. Ils déjouent par conséquent les trames les mieux ourdies et les systèmes les plus complexes. Ce sont donc les autres qui ont à se défier de l'Antéchrist. Le rôle de celui-ci consiste à faire de l'opposition. Très peu de gens peuvent être mis en sa présence. Mais ses séides cherchent à se faire tout à tous; ce sont des séducteurs; ils cherchent dans les opinions d'une société ce par quoi ils pourraient flatter cette société et l'attirer. Aujourd'hui où l'intellectualité est la grande préoccupation et le grand succès, c'est par l'intellect que l'Antéchrist séduit nos contemporains. C'est de lui que découlent tous ces systèmes si profonds; si séduisants pour notre soif de vérité et de curiosité, par lesquels on croit apprendre des vérités inconnues sur le coté inconnu de la nature, de l'homme ou de Dieu. L'Antéchrist cherche donc à séduire notre intelligence. Ensuite il cherche à séduire nos coeurs, et pour cela il parle de fraternité, de tolérance, d'amour, de charité, comme le Christ. Seulement, au bout de ses leçons, il y a de loin en loin une petite phrase qui indique que les hommes peuvent faire ces travaux parce que, en chacun d'eux, il y a un Christ, et que s'ils séparent la notion commune qu'on a de sa conscience de ce quelque chose d'instinctif qui est permanent, ils deviennent des Christs.

Il est dit aussi que le Christ d'il y a deux mille ans n'était qu'un homme comme nous, un homme évolué, un être cultivé, qu'il avait conquis de tels pouvoirs et que chacun des hommes qui ont réalisé en eux l'union avec les principes métaphysiques du monde sont des Christs.

Vous reconnaîtrez ces doctrines comme toutes celles qui nous arrivent de tous les Orients, et aussi de notre modernisme philosophique, et de presque tous les courants de la tradition hermétique.

Toute doctrine qui exalte la volonté de l'homme est une doctrine de l'Antéchrist. Vous reconnaîtrez en outre qu'un groupement d'hommes ou qu'un enseignement appartient à cette école lorsque vous verrez autour de lui un grand succès et des foules d'adhérents. En effet, imaginez que nous approchions d'une époque de jugement pour notre race : Il va se passer dans les atmosphères secondes une comparution de tous les hommes qui la composent pour être classés par le Juge selon leur spiritualité : et ceux qui auront atteint le stade normal seront séparés des autres.

Dans la nature, sur un grand nombre d'individus, il n'y en a qu'une minorité qui réalise la perfection de l'espèce. De même, lors d'un jugement, très peu ont accompli tout leur travail; tous sont appelés, peu sont élus, car peu ont travaillé.

L'homme donc qui, avec toute la race à laquelle il appartient, arrive auprès d'un jugement, est soumis à des épreuves bien plus sévères que celles qu'il a subies : Il doit aller vers l'épreuve complète afin qu'on voie la qualité de sa lumière; de même que l'alchimiste, arivant au bout de ses opérations, donne un coup de feu pour faire entrer toutes les molécules dans l'état voulu.

Donc, si un jugement approche, la race se trouve en face de toutes les séductions possibles : des hommes s'emparent de forces inconnues, des thaumaturges pullulent, de même des faiseurs de miracles, des enseigneurs qui s'appellent des Christs. Pour ceux-là, il suffit qu'un homme déclare être telle notabilité spirituelle pour qu'il ne le soit pas. Et puis, toute doctrine, tout système au centre duquel il n'y a pas la reconnaissance explicite que le Christ est le Fils de Dieu venu en chair il y a deux mille ans, quelle que soit sa beauté technique ou ésotérique, quel que soit son art, est fausse, et sa fausseté ne tardera pas à apparaître. Défiez-vous à priori de tout système qui conquiert les foules.

 

COMMENT DISCERNER NOS DEVOIRS ?

" Il leur parlait par paraboles... ". (Mat. XIII, 34).

Tout parle dans l'univers et tout écoute. Parmi les parleurs, les uns croient parler par eux-mêmes : d'autres savent qu'ils ne parlent que d'après la permission divine. Parmi les écouteurs, les uns croient entendre la voix même des créatures, quelques autres savent si c'est un dieu, un démon ou le Verbe qui parle.

Tout est symbole à ceux qui vivent dans l'Illusion : tout est réel à ceux qui vivent dans la Réalité. Les choses sont des symboles pour les premiers, ainsi que les faits de leur existence : pour les seconds, les faits et les choses sont, simplement.

Les premiers, les idolâtres, tous ceux qui n'adorent que des Puissances de ce monde, interprètent ce qu'ils croient être des symboles, selon leur intelligence et selon la force avec laquelle ils s'unissent à leur dieu.

Quant aux vivants du Réel, ils n'ont plus à interpréter, puisqu'ils adorent le vrai Dieu, l'unique, le suprême. Et la Réalité leur parle au coeur, d'une manière ineffable, à la mesure de la perfection de leurs actes et de la pureté de leurs motifs.

Il résulte de ces faits que la compréhension de leur propre existence reste très approximative et très nuageuse pour l'immense majorité des hommes. Le grand nombre, qui n'aperçoit que les ressorts intermédiaires de la machine du monde, ne saisit, par cela meme, que des réfractions lointaines du premier mobile. Et le petit troupeau qui connaît l'identité du Christ Jésus, l'unité de son opération, la synthèse perpétuelle qu'il accomplit du Transitoire avec le Permanent, ces quelques uns, dis-je, ne montrent pas toujours l'ardeur d'ouvriers excellents. Encore que leurs intentions soient pures, leurs réalisations restent défectueuses par manque de courage pratique. Aussi ne concoivent-ils pas dans son intégrité le sens de leur propre destin; ils errent; autrement que les idolâtres, certes, mais leur paresse, si minime soit-elle, élève un nuage entre leur intelligence et la Vérité.

Puisque nous voulons faire la volonté de Dieu, mes Amis; puisque Dieu, pour nous ménager le mérite du libre-arbitre, ne nous déclare pas toujours expressément les desseins où Il désire nous associer, nous essaierons de comprendre le mieux possible Ses invitations en découvrant sous la trame de notre vie quotidienne les appels muets de Sa tendre Sollicitude.

Là encore, une intelligence pénétrante n'est pas si nécessaire qu'un coeur pur et une volonté dont l'Amour renouvelle la vigueur réalisatrice. Voilà les deux ailes qui nous élèveront, mes Amis, jusqu'à cette hauteur mystique, sublime à la fois et toute proche, où les choses de la Terre apparaissent sous leur jour d'éternité.


LA SOLITUDE

- Comment ckasser l'inquiétude et l'angoisse d'être seul ?

- Elle est souvent le résultat d'un refus antérieur de participer aux charges sociales ou familiales, ou d'un orgueil antérieur. Elle pourrait diminuer par le détachement d'avec les créatures et le rattachement à Dieu.

Par nature les hommes de génie sont seuls. Plus un être est élevé spirituellement, plus il est seul.

- La solitude

- Nous sommes seuls pour trois motifs : par orgueil, par humilité ou parce que la nature nous a faits plus que les autres. Mais la majorité des solitaires, ce sont des orgueilleux; ils se disent incompris, et ils sèment autour d'eux l'incompréhension. Il y a aussi les humiliés; ceux-là sont heureux, car dans leur solitude vient tout ce que le monde chasse. Il y a aussi ceux qui sont seuls parce qu'ils sont des géants de l'art, dans la nature, dans la réalisation; ils dépassent les autres; les hommes ont peur devant eux et les laissent seuls. Ceux-là ne sont pas à plaindre, ils accomplissent leur fonction.

Il faut plaindre les orgueilleux, car pour eux la solitude est dure; mais elle est une maîtresse parfaite qui leur apprend la vie, qui adoucit les angles, qui ouvre les coeurs; la souffrance leur sera bonne; un jour ils comprendront que la solitude leur aura été une bénédiction.

Ceux qui sont seuls par humilité, nous n'avons ni à les plaindre ni à les envier; nous avons à les admirer; ils sont sur la route de la liberté, ils portent en eux quelqu'un dont la présence remplace toutes les autres.

Ceux que le Destin oblige à une vie dispersée soupirent après la solitude; ceux que le Destin oblige à une vie ignorée aimeraient à voir beaucoup de monde. Les uns et les autres sont dans la même erreur. L'homme doit apprendre que personne n'est seul; chaque solitude est pour nous le signe d'une autre présence. L'épreuve et la persécution sont utiles pour faire accoucher notre esprit de ce dont il était gros et qu'il ignorait. Chaque fois qu'on s'éloigne de nous, réjouissons-nous; c'est que d'autres êtres vont venir.

Cependant toutes les sociétés de toutes les créatures ont leur inconvénient, même celle des invisibles : ils ont aussi leurs erreurs et ils ne mettent pas forcément dans la voie. Mais à force de changer de sociétés, à force de connaître les solitudes, nous arriverons à concevoir que tous ces allants et venants, tous ces tenants et aboutissants de notre existence, ce sont des comparses, qu'il y a au-dessus d'eux la vérité, et dans la plus sombre nuit nous trouverons ce Christ qui est la compagnie de ceux qui ont expérimenté toutes les solitudes, qui se sont ensanglanté les pieds dans tous les déserts, qui se sont déchirés dans tous les halliers du visible et de l'invisible.

Nous sommes une race prosaïque. Dans les légendes du Moyen-Age on parle de pauvres mendiants qui, tout à coup, se transforment en anges du Christ. Nous lisons cela et nous y voyons de la poésie; nous ne pouvons pas voir que c'est réel. Il y a 2 000 ans, il y avait un être qui parcourait les routes de l'univers, qui était pieds nus comme les pauvres de son temps. Il n'y a aucune raison pour que dans la rue il ne se trouve pas encore aujourd'hui un passant vêtu comme nous, allant comme nous, obéissant au sergent de ville, achetant le journal, entrant au café, et cependant portant en soi la lumière qui éclaire les mondes. Quelle impossibilité y a-t-il à cela ?

Si vous avez envisagé cette éventualité, vous ne pouvez pas ne pas vous dire que peut-être vous avez rencontré cet inconnu, qu'il vous a regardé, mais que, parce que vos yeux étaient remplis de spectacles de boue et de fumée, vous ne l'avez pas vu et qu'il vous faudra peut-être attendre des siècles avant de retrouver ce regard. Il y en a qui ont supporté ce regard et qui l'ont reconnu. Ces hommes-là, qui portent ce trésor en eux sans que leurs plus proches s'en doutent, croyez-vous qu'ils connaissent l'angoisse et que les pires douleurs soient lourdes pour eux ?

Essayez d'ouvrir les yeux dans la vie; essayez de déblayer en vous. Il y a un être dans le monde qui est le solitaire par excellence, car plus une créature est grande, moins elle trouve de pairs. Il y a dans l'univers des pistes où à peine se rencontre un voyageur par siècle; il y en a où pas un voyageur n'a passé depuis 2 000 ans; il y en a une qui part du soleil et qui arrive à la terre, et où douze êtres qui y sont passés il y a 2 000 ans passent en ce moment.

Mais ce qui prime tout, c'est la pensée de Celui qui est le Solitaire, de Celui qui est seul de sa catégorie dans l'univers entier. Il a assumé les poids de l'univers entier et Il assume, si nous voulons, le poids de nos faiblesses et de nos laideurs. Si nous déblayons de notre vie les visiteurs après les avoir servis comme ils le méritent, quand nous aurons quitté les soucis, les sociétés visibles et invisibles qui nous apportent la beauté humaine et la science humaine, nous verrons derrière elles quelqu'un qui attend à la porte les yeux baissés pour que Son regard ne nous effraie pas et à demi-tourné. Celui-là, quand nous l'avons rencontré en nous-mêmes, nous donne la bénédiction suprême de Le rencontrer hors de nous.

Balayez donc les chambres de votre coeur. Vous n'avez d'inquiétude et d'angoisse que parce que vous avez accroché votre coeur à ce qui passe, à un être, à une science, comme si c'était un dieu. Quand vous aurez palpé le friable de ces idoles, quand vous aurez goûté la cendre de ces faiblesses, vous aurez la possibilité de n'être plus seuls et vous marcberez dans la vie avec la certitude qu'au dessus de votre épaule il y a une main prête à vous soulever et un regard prêt à vous réconforter.

 

LA COMMUNION - LES SACREMENTS

- Dieu veut être adoré en esprit et en vérité. Que penser des Sacrements, de l'Eucharistie ?

- Les sacrements ont leur utilité; ils existent parce que l'homme est faible. Si l'on accomplissait le commandement unique : l'amour du prochain, on n'aurait pas besoin de sacrements. Mais beaucoup de gens, s'ils ne croyaient pas nécessaire d'aller à l'Eglise, ne feraient rien en échange. En outre les sacrements ont une vertu fluidique.

Evidemment, l'Eucharistie a été instituée par Jésus; et l'Eglise a mis un décor autour de la simple commémoration.

L'homme a en lui de quoi changer le monde. Pour le catholique l'hostie contient l'essence même du Christ; mais l'essentiel n'est pas dans le rite. Ce qu'il faut, c'est s'aimer les uns les autres; alors le Christ vient en nous, sans cérémonies ni rites.

Celui qui, ayant un ennemi, l'invite à sa table, le Christ descend en lui. Jésus avait eu Judas à sa table, celui qui devait le trahir, et il lui a pardonné. Si même un disciple reçoit ses amis et ses ennemis et partage avec eux, il peut " en mémoire du Christ " obtenir que le pain et le vin de sa table contiennent les forces christiques, et que ses convives en bénéficient.

Si nous considérons la chose en dehors de toute théologie, nous pouvons former les propositions suivantes :

Le Christ avait et a tout pouvoir sur tout. Le pain et le vin consommés dans des circonstances analogues à celles de la Cène, c'est-à-dire par un disciple qui pardonne et qui aime ses ennemis, sont bien la force vitale corporelle du Christ, la font passer dans la propre vitalité du récipiendaire, et elle entraîne avec elle les vertus humaines et divines de l'être invisible du Christ, dans la mesure où les dits récipiendaires peuvent les recevoir.

Jésus le Verbe est dans tout l'univers, puis dans l'âme de la terre, puis dans le collectif chrétien, puis dans le collectif catholique. On peut donc le recevoir dans n'importe quel lieu de l'univers où l'on se trouve. Le catholique reçoit la spécialisation catholique de l'être total du Christ. Et s'il se trouve un disciple avancé, quelle que soit sa religion, dont la charité soit vaste comme l'univers, il peut recevoir la spécialisation universelle de l'être du Verbe.

- " Celui qui mange ma chair et boit mon sang aura la vie éternelle ? "

- Comme toutes les paroles du Christ, celle-là a un sens physique, un sens magnétique et un sens spirituel. Le Christ a eu en effet une chair et un sang.

Mais il y a un passage de l'Evangile qu'on n'a jamais bien expliqué : " Il y a parmi les hommes ceux qui sont nés du sang et de la volonté de la chair ou de la volonté de l'homme, et ceux qui sont nés de Dieu.

En effet, la plupart des hommes sont nés par la nature, par la volonté de l'homme et par d'autres forces de la création. Mais, de loin en loin, apparaît un homme qui est né de la volonté de Dieu; dont l'être tout entier, depuis les sommets spirituels jusqu'au corps physique, n'est pas fourni par la terre ni par aucun plan créé. Ces hommes-là sont les missionnés, et le Christ, dans sa nature humaine, est le plus grand de tous ces hommes. Leur chair et leur sang ne sont pas autre chose que la cristallisation de leurs souffrances et de leur amour.

Par exemple, vous avez eu l'occasion de faire une charité, et vous pouvez la faire parfaitement, sans aucun nuage d'égoïsme. Personne ne vous voit. Votre main gauche ignore ce que fait votre main droite, et ce sacrifice vous coûte beaucoup. Les forces qui, en vous, ont accompli cet acte, les cellules qui sont mortes de ce fait ont accompli quelque chose de parfait. Donc leur rôle est fini. Ces cellules-là vont se reposer dans l'appartement du Père à cela destiné.

Quand le Christ est venu sur la terre, sa volonté d'y descendre a été complètement pure, puisqu'il n'avait pas besoin d'y venir. Donc toutes les souffrances qu'il a assumées pour descendre dans les mondes, même les plus abstraits, même les plus sublimes, ont été énormes. Cette souffrance parfaite était une force qui est descendue avec le Christ depuis les régions les plus élevées jusqu'à la terre. Et toutes ses souffrances accumulées ont construit sur la terre son corps physique. Et l'amour qu'il a eu pour toutes les créatures de tous les mondes qu'il a traversés, et qui a vivifié ces souffrances matérialisées au long de cette descente infinie, a constitué les molécules matérielles qui ont fait son sang.

Et cela n'est pas de la poésie. Prenez un artiste, Michel Ange par exemple, qui est un de ceux qui ont été le plus crucifiés par son oeuvre : Quand un sentiment lui brûlait la poitrine, il cherchait à l'exprimer dans un marbre. Et si ses marbres nous émeuvent, ce n'est pas à cause de la technique, de la science dont ils témoignent, mais à cause de l'âme qui palpite en eux, et dont la flamme ne s'éteindra jamais au cours des siècles, car cette âme est là, flambant tout entière.

Pour le Christ, c'est la même chose, à un degré infiniment plus grand. Donc, quand il dit : " Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ", il a raison, car manger sa chair c'est accepter toutes les souffrances pour les autres, et boire son sang c'est aimer toute la nature, être par être, et fraction de minute après fraction de minute. Tous, nous nous nourrissons au contact des êtres qui nous entourent et qui nous sont à peine inférieurs. A mesure que nous nous donnons, notre être vrai se nourrit de la chair et du sang du Verbe, et il finit par y voir identification entre notre être spirituel et l'etre spirituel du Verbe.

A la limite, à la fin de notre voyage cosmique, elle devient parfaite par notre corps glorieux.


L'ADORATION EN ESPRIT

- Il vient une heure, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ?

- Du moment où Celui qui est le Maître de l'Esprit est venu sur terre, l'Esprit y est venu. Quand un train passe, il entraîne de l'air derrière lui; quand le Verbe descend depuis le fond du Royaume des Cieux jusqu'ici bas, et plus bas encore, le vent de Sa course provoque dans tous les milieux où voguent les planètes, les étoiles et les nébuleuses un appel d'air, et dans cet appel d'air l'Esprit de Dieu se trouve. Et parce que l'Esprit vient de l'Absolu et que l'Esprit est cet Absolu, dès que la moindre parcelle de cet Esprit prend pied dans un coin de la création, elle s'y développe; de sorte qu'on peut dire qu'il y a plus d'Esprit Saint sur terre aujourd'hui qu'il y a 2 000 ans.

Cela doit nous encourager à travailler avec plus d'ardeur. D'autre part l'Esprit est descendu parce qu'il y avait sur la terre un esprit humain capable de le recevoir, n'y en eût-il qu'un. Donc le Christ a raison de dire que ces adorateurs du Père en Esprit et en Vérité existent. Et plus les siècles s'écoulent plus il y en a. Par suite, adorer le Père en Esprit (ce qui est le seul culte digne de Lui), c'est L'adorer du fond de nous mêmes, en toute sincérité. Il y a en nous une seule chose qui ressemble à l'Esprit : c'est la sincérité de notre coeur.

Le culte en Vérité, c'est le culte vivant. La Vérité, c'est la réalité spirituelle, c'est ce qui est. Le culte en Vérité est un culte actif, réel, matériel. Un homme pieux, qui accomplit tous ses devoirs, quand il prie Dieu, sa prière est valable. Mais s'il souffre sans se plaindre, il célèbre le culte en vérité. Le culte du Temple, n'est qu'une forme de la vérité; le vrai culte est celui qu'on accomplit lorsqu'on realise, par des actes, la verite de l'Evangile. La vérité qui reste dans l'intelligence, dans le sentiment, dans la ferveur, dans les élans, n'est pas la vérité. La seule vérité c'est l'acte.