De la Vie  Contemplative
ou  l'Epuration de l'Amour
 
 

Le double Visage de la Vie.

     Dans la maison fraîche, Marthe s'affaire aux soins domestiques; Marie, assise aux pieds du Maître, L'écoute en adorant. «Elle a choisi la meilleure part », dit Jésus. Les théologiens se sont autorisés de cette parole pour exalter la vie monastique aux dépens de la vie séculière. Mais cela veut dire tout simplement qu'il y a une heure pour chaque chose. Quand la Lumière daigne Se tenir auprès de nous, il faut tout quitter pour Elle; quand Elle Se voile à nos regards, c'est le temps du travail. Marthe est devenue sainte Marthe, d'ailleurs; et Marie, de même, est devenue sainte Marie.
     L'un des purs archanges qui, par intervalles, descendent sur cette terre d'exil pour y semer la nostalgie des cieux, disait un jour. « La contemplation et l'action, c'est le double visage de la vie. » La première illumine la seconde, en effet, et la guide; celle-ci prépare à celle-là son pain quotidien. L'une et l'autre évertuent nos puissances, les entraînent, les reposent tour à tour par un balancement harmonieux et les conduisent à l'équilibre. Comme la théologie est un regard sur Dieu de la raison rectifiée, comme la liturgie est un envol vers Dieu de l'affectif discipliné, ainsi la contemplation va chercher l'eau des fontaines éternelles pour le rafraîchissement de sa sœur aux mains calleuses, ainsi l'action tonifie la contemplation, redonne la vigueur à ses élans et la mesure à ses rêves.

     Comme la théologie et la liturgie sont les deux visages de la religion vraie, la vie active et la vie contemplative, parallèlement pratiquées, aménagent au disciple une existence mystérieuse, à laquelle ceux du dehors ne comprennent rien et dont les rares élus ne racontent que de très brefs récits.
     L'Amour est le principe de tout cela; il s'agit d'en agrandir l'étincelle que le Père nous confia, de l'approfondir, de la discipliner, de la transmuer. Nous aimons l'argent, les sciences, les arts, les machines, la réputation, les grands paysages, l'orgueil d'être obéis, les chaînes de la fortune, l'oisive liberté du vagabond, le cœur de nos amis. Mais c'est nous-mêmes que nous chérissons à travers ces objets. Toutes ces amours voilent l'Amour; il faut greffer ces sauvageons, extraire de ces venins la médecine de la Sagesse, atteindre, au delà de ces fantômes décevants, la Réalité permanente, toujours identique à elle-même.
     L'Amour, bon ou mauvais, repose dans les ténèbres de l'inconscient; il préexiste à la rencontre extérieure dont le choc semble le faire naître. Uni à l'imagination, il engendre le désir; celui-ci, épousant son objet, génère la volonté; cette dernière, enfin, s'incarne dans l'acte, qui assure l'équilibre de tout le système. Prenons donc pour règle de toujours poursuivre jusqu'à l'acte le prolongement de nos pensées, de nos désirs, de nos impressions. Dès que l'un de ces mouvements émerge à la surface de notre conscience, demandons-nous immédiatement à quelle œuvre il nous sollicite.
 
 

La Volonté.


 

     Notre esprit est un caravansérail. Toutes sortes de voyageurs s'y coudoient, avec leurs suites, leurs ani maux de somme, leurs nouvelles et leurs curiosités. On y entend mille langages, on y respire les odeurs les plus rares, on y apprend des secrets . Mais les gardiens ne comprennent pas toujours ce que viennent leur dire les hôtes. Aussi aucune psychologie n'est complète et les sages qui ont voulu disséquer l'être humain, qui ont tenté d'expliquer l'Homme aux hommes, ressemblent à des astrologues qui prétendraient explorer tout le firmament avec une lunette immobile.
     Notre conscience n'enregistre qu'une très petite part des visites que notre esprit reçoit; encore ignore-t-elle l'identité authentique des visiteurs. Nos perceptions sensorielles, affectives ou mentales ne nous procurent que les images réfractées des objets; et encore ces apparences varient selon le jeu compliqué des réactions internes; un concept métaphysique peut naître à la suite d'une sensation; une sensation corporelle peut venir même de l'Esprit pur.
     Il paraît donc préférable, au lieu de contrôler séparément nos instincts, nos passions ou nos idées, d'agir sur le pivot central de tout le mécanisme : sur le vouloir. C'est lui qu'il faut assainir dans son principe, qui est l'Amour; qu'il faut parfaire dans ses moyens : la méditation et l'oraison; qu'il faut rendre, vivant par l'œuvre.

     Pour ce quadruple travail, une foule de collaborateurs nous sont commis. Depuis la pierre du chemin jusqu'à l'ange radieux, depuis notre frère le plus proche jusqu'à l'insaisissable génie qui plane aux bornes du Zodiaque, toute créature nous offre son secours. A nous de savoir l'utiliser, par l'étude et la méditation, par un cœur purifié à force de renoncements, par des œuvres embellies à force de zèle. Ainsi l'importance du Moi diminue, l'horizon intellectuel s'élargit, les paresses meurent et les souffles de l'Esprit pénètrent en nous à grands flots avec la lumière du Soleil divin.
L'Amour.

     Les systèmes de psychologie sont tellement nombreux qu'il est aussi difficile d'en choisir que d'en inventer. Après tout, la connaissance analytique de l'être humain n'est pas indispensable pour nous élever à Dieu. Là aussi une seule chose est nécessaire. Les entraînements, l'ascétisme, la méditation, les pratiques religieuses ont été surabondamment enseignés dans leurs plus petits détails. Il importe au plus haut point de ne pas perdre les grandes directives, de ne pas cacher le but sous les moyens, ni le résultat sous les méthodes.

     L'Amour pour Dieu est à la fois le moyen central, la direction droite, le résultat unique et le but suprême.
     Il nous libère des systèmes, nous intériorise, nous rend actifs en toute circonstance.
     Il nous montre la présence divine universelle, nous donne la maîtrise de nos instincts et la patience et la confiance; il unifie les mille mouvements de notre interne; il simplifie nos attraits.
     Il lave notre cœur, le débarrasse de ses parures artificielles et lui apprend la prière.
     Cette triple opération, c'est la triple ascèse intérieure que suivaient autrefois les néophytes de l'antique ésotérisme et que les docteurs de l'Église ont rajeunie, pour les besoins des fidèles catholiques, sous les noms de voie purgative, de voie illuminative et de voie unitive.

     N'oublions pas cependant que Jésus, par Sa descente sur la terre, a frayé d'innombrables routes nouvelles. Chacun peut, par Lui, cheminer jusqu'au Ciel. Dès lors les cadres du vieil ésotérisme éclatent et ceux des théologiens ne correspondent plus toujours à l'épanouissement libre de la vie. Une illumination peut être reçue durant les rigueurs de la période purgative et, au milieu des extases unitives, le disciple peut s'infliger les plus rudes dépouillements.
     Souvenons-nous : le Père désire qu'on L'adore en esprit; Jésus conseille que, pour la prière, on se retire dans la chambre secrète. Les livres et les exhortations échauffent seulement le zèle du disciple. Ainsi des acteurs sur une scène prestigieuse élèvent vers la noblesse les pensées du public. Le mystère de votre vie intérieure, qu'il reste entre Jésus et vous; si vous avez vraiment besoin d'un guide visible, vos guides invisibles le conduiront à vous.
     Enfin, la prière au dedans, la charité au dehors; et même la charité avant la prière. N'hésitez pas à sortir de la plus haute extase si la plus humble créature a besoin du moindre secours. Le Ciel peut vous donner en une seconde infiniment plus que ce que vous amasseriez en un siècle d'efforts psychiques et de contemplations.
 
 

L'Ascétisme.


 

     L'ascétisme est la lutte contre soi-même entreprise pour transformer en vertus chacune des forces égoïstes. Aussi le travail ascétique dure-t-il toute la vie; jamais il ne se termine, car le mauvais ferment subsistera en nous jusqu'à la minute lointaine du baptême en Esprit.
     Tous les artistes affirment que la maîtrise ne s'obtient que par un certain nombre d'exercices inlassablement répétés. Mais la maîtrise spirituelle exige bien d'autres efforts et une tout autre persévérance. L'ascète a entendu la voix de sa vocation, il se dirige vers elle avec toutes ses énergies, qui sont les aspects multiformes de l'Énergie fondamentale : l'Amour. Et chacun de ses efforts ascendants évoque irrésistiblement la descente d'un mode, de plus en plus parfait, de l'Idéal auquel son cœur brûle de donner asile.
     Il exalte son vouloir au feu de son amour et, plus son amour est ardent, plus son vouloir est fort, plus il cingle, haut et ferme, vers les cimes. La matière de son travail, c'est lui-même, et cette matière, il la façonne par ses renoncements, il l'affine par sa vigilante patience, il la pénètre d'incorruptibilité par son adhérence à la Volonté divine. Certain que, dans la poursuite de ce grand œuvre, toute sa ferveur, tout son héroïsme, toute sa ténacité ne sont que le geste malhabile mais sincère de sa toute-faiblesse s'élevant, pour lui permettre de descendre, vers la Toute-Puissance de son éternel Ami.
     Ainsi le disciple sculpte en lui-même la statue que l'Esprit animera. Ainsi la confiance grandit. On aperçoit par intervalles le miracle continu qui soutient l'Univers et le retient. La reconnaissance et l'admiration pour l'œuvre divine engendrent un enthousiasme tranquille et pur qui vous envahit totalement et qui rayonne alentour.
 
 

Règles pour la vie purgative.


 

     Pour plus de clarté, les formules qui suivent sont réparties sous les trois titres traditionnels : vie purgative, vie illuminative, vie unitive. Non parce que leur usage doive être successif, mais pour en faciliter l'application aux différents phénomènes de la vie intérieure. Il ne s'agit pas, comme nous l'avons dit déjà, d'un plan de travail systématique. Nous devons nous attacher à suivre uniquement les appels de l'Esprit.
     Chacune des maximes qu'on va lire représente l'acquisition d'une vertu, je veux dire la croissance d'un organe de notre esprit, dont le développement se prépare dans l'effort méditatif, se facilite dans la prière et se parachève dans l'acte. Chacun des points ci-après devra donc fournir le sujet d'une méditation, d'une prière et d'un acte.

     I. Distinction du Naturel et du Surnaturel, du Relatif et de l'Absolu, du Créé et de l'Incréé, dans tous les ordres. Recherche des caractères de l'Absolu en tant qu'accessible à notre compréhension : le sacrifice, la rédemption. Diagnostic de la part divine et de la part naturelle dans les créatures, les faits, les pensées, les sentiments.
     II. Détachement du bénéfice de l'action, puisque notre intérêt nous lie, quelque haut qu'il soit. Pratiquer la vertu pour elle-même, sans espoir de récompenses, par obéissance, par amour de Dieu : c'est ainsi que nous deviendrons libres.
     III. Gouvernement des pensées en se tenant dans le calme. Se garder de la rêverie. Examiner les idées qui arrivent, les rejeter ou les accepter. Se démontrer sa propre étroitesse de vues.
     IV. Gouvernement des actes. Couper les impulsions et des gestes et du langage. Examiner auparavant le tort qu'elles peuvent faire à quelqu'un ou à quelque chose. Agir et parler contre ses inclinations naturelles.
     V. Pratique de la patience. La perte de la santé, de la fortune, de la réputation, des amours, de l'intelligence, de la confiance en Dieu, du courage, apprendre à les subir sans plaintes extérieures, sans plaintes intérieures, avec une joie intime, avec une joie visible aux autres. Supporter les dissentiments, les querelles philosophiques, religieuses et autres. Rétablir la concorde. Se faire tout à tous. Tout vient à son heure; nous avons le temps de tout faire; tout possède sa raison d'être et sa part de vérité.
     VI. Ne pas se distraire du but. Si les distractions viennent des objets sensibles, en rechercher les rapports avec Jésus, type du Bien; si des sentiments naturels, les hausser jusqu'à l'Amour, type du Beau; si des idées, en asseoir l'équilibre par des idées contraires, et l'harmonie par l'établissement du Vrai. (« je suis la Voie, la Vérité et la Vie. ») Analyse du péché. Transmutation des énergies mauvaises en vertus. Affaiblissement de l'égoïsme. Refus de ce qui est naturellement agréable. Conscience de notre petitesse.
     VII. Créer la foi; nier l'impossible. Dans la lutte contre le mal invisible (tentations) et le mal visible (action familiale et sociale), être certain de la victoire. Ne pas s'exalter. Démonstration de l'aide incessante que le Ciel nous envoie. Théorie intellectuelle et sentiment intime de la présence de Dieu. Tout ceci représente l'action volontaire dans le champ de notre conscience. Vient ici l'ouverture des portes de l'inconscient par :
     VIII. Désir du Ciel. Création de l'enthousiasme par la contemplation de la beauté des pierres, des plantes, des animaux, des objets, des femmes, des hommes, des œuvres d'art. des sciences physiques et naturelles, des idées philosophiques, des sentiments généreux, des formes religieuses. Recherche de ces douze modes esthétiques dans leur type idéal, Notre Seigneur Jésus-Christ. L'enthousiasme, pour être vivant, doit se faire sentir de notre chair jusqu'à la cime de l'intellect. Pour qu'il se rénove, il faut l'exprimer, le semer, le faire partager aux autres.
 
 

Règles Pour la vie illuminative.


 

     « Dans la pleine nuit, l'Époux vient; sortez à Sa rencontre. » Et encore: « Rentrez dans la chambre la plus secrète. »
     C'est ici l'école de la méditation vivifiée par la prière; c'est la contemplation. Elle doit toujours aboutir à un perfectionnement de la vie active.

     I. Parfaire les huit pratiques précédentes par la simplification du cœur. S'analyser à fond. Pourchasser le Moi jusque dans les antres les plus obscurs de la conscience. Vivre en la présence de Jésus: « Que ferait-Il à ma place, en telle circonstance ? »
     II. Se tenir dans un état de demande constante. Tous actes, toutes émotions, toutes pensées peuvent être accomplis, sentis et construits infiniment mieux que nous ne le fîmes jusqu'à présent. Attirer les idéals de toutes choses qui resplendissent dans le Trésor de Lumière sous des formes angéliques, en implorant la bonté du Maître.
     III. Se dénuder. Établir logiquement et intuitivement la faiblesse de nos facultés, la grossièreté de nos perceptions,, l'étroitesse de notre intellect, l'infirmité de notre vouloir. Accepter tous les phénomènes psychiques, comme on accepte tous les événements extérieurs. Détruire les préjugés. Se démontrer que tout est possible. Analyse et critique de nos observations.

     Tel est le côté volontaire de la contemplation. L'Esprit descend ensuite, ou Il ne descend pas; Il est le Maître. Quant Il descend, Il nous possède à divers degrés: soit par la quiétude, soit par le ravissement qui laisse les sens actifs, soit par l'extase qui enlève l'être conscient dans sa totalité.

     Ces leçons vivantes embrassent tout entier le champ du monde. L'ange conduit le disciple partout : dans le sein de la terre, dans les abîmes, dans les soleils, dans les océans fluidiques, dans le passé, dans l'avenir, jusqu'aux confins du Néant. Dans la mesure où le disciple se renonce lui-même - et les possibilités de ce renoncement croissent en profondeur et en étendue selon la ferveur du travail -, les vérités descendent en lui, les êtres lui disent leurs secrets, et les choses aussi; et, pour soutenir le poids formidable de ces mystères, il ne peut s'appuyer que sur l'approfondissement de sa petitesse et sur la solidité de sa faiblesse. Car toute notion est une charge; toute connaissance entraîne une responsabilité. Nous sommes tous des saints Christophes au petit pied; l'Enfant Jésus, que nous portons sans le savoir, deviendrait vite trop lourd, s'Il ne donnait Lui-même à nos épaules la vigueur nécessaire.
     Ceci, le contemplateur le sait. En Jésus, dans Sa vie, dans Ses travaux, dans Ses souffrances sont exprimés toutes les sciences, tous les arts, tous les arcanes, non pas en allégories, mais en évidentes réalités. Il faut seulement que nos yeux soient ouverts.
     Que cette compréhension mystique ait lieu par le sensible ou le psychique ou l'intellectuel, elle reste indicible et ineffable. Venant de l'Esprit, elle arrive à notre esprit; elle est expérimentale; elle donne d'un coup la science et son application, l'idée et le pouvoir; elle trouve le mal et administre le remède; elle est vraie, c'est-à-dire toujours harmonieuse avec l'objet, le milieu et le sujet; elle est toute belle, enfin, parce que toute bonne.
     Au cours de cette école passent, par intervalles, les éclairs de l'Union.
 
 

La vie unitive.


 

     Tout ce qu'on pourrait dire de celle-ci est vain. Ceux que l'on raconte y avoir été plongés n'y sont réellement pas parvenus.
     Car être uni à Dieu, c'est vivre par delà le temps et l'espace, tous les temps et tous les espaces; c'est avoir subi sans mourir l'horreur indicible du Néant; c'est soutenir la vue de Dieu sans que cette fulguration nous volatilise.
     Être uni à Dieu ne peut se faire sans que tout ce qu'il y a de naturel en l'homme ait été purifié, régénéré, recréé, que tous nos corps et nos fluides et nos intelligences aient été lavés de toute trace du mal.
     Être uni à Dieu exige qu'on n'ignore plus rien des choses de la terre, des secrets du zodiaque et des mystères des constellations; qu'on ait expérimenté toutes les formes de l'existence, que toutes les joies, même les plus augustes, aient perdu leur saveur, et toutes les souffrances, leur âpreté.
     Être uni à Dieu, c'est savoir aimer, c'est-à-dire savoir s'oublier, constamment, partout, spontanément; c'est ne plus connaître la crainte de se perdre; c'est ne plus pouvoir se troubler.
     Être uni à Dieu, c'est ne plus rien désirer : ni la beauté des archanges, ni la vie glorieuse des dieux, ni la vie abstraite des puissances transcendantes.
     Être uni à Dieu, c'est se sentir un néant; c'est s'être travaillé si à fond, c'est être recuit au feu de tant d'épreuves qu'en nous il ne reste plus rien qui soit nous. C'est avoir si longtemps traîné nos chaînes qu'elles se soient usées, qu'elles tombent de nos chevilles. C'est être capable de recevoir la Liberté.
     Être uni à Dieu, c'est pouvoir distinguer Jésus sous tous les vêtements, sous les plus splendides et sous les plus vils. C'est avoir reconquis l'innocence primitive, si bien que nulle humble bête de la terre ne s'effarouche plus à notre aspect et que nul formidable démiurge ne nous fasse plus trembler..

     Cependant quiconque accomplit l'une des sept perfections possède les six autres.
     Les états que décrivent les docteurs: le rapt, le ravissement, l'ivresse céleste, le sommeil mystique, les touches divines, les blessures d'amour, les noces spirituelles, la vision béatifique ne constituent qu'un fragment de la très longue liste des expériences de l'Union. Si le simple corps physique est un organisme tellement compliqué que les plus savants n'arrivent pas à le connaître, notre personnalité complète, qui communique avec la multitude des mondes, apparaît comme indéchiffrable; tout ce que les plus sages, parmi les hommes ont dit de l'homme n'est qu'une fraction infinitésimale de ce qu'il y aurait à savoir.
     C'est pour cela qu'il faut ici poser la plume et se tenir dans le silence. Ici s'élève seul le chant toujours neuf de l'Amour, ici ses ailes se déploient librement, il répand avec une abondance plénière tout son sang, il enflamme l'Univers du zénith au nadir, il lui verse sa splendeur omnipénétrante, il comble tous les abîmes, il réalise tous les impossibles.
     Ici la créature a payé sa dette aux pierres, aux plantes, aux animaux, aux instincts, aux passions, aux idées, aux hommes, aux patries, aux religions, aux démons, aux esprits et aux dieux. Elle est libre. Libre, elle peut s'envoler d'Aldébaran à Antarès, de Neptune à la Lune, du Ciel à l'Enfer. Libre, elle peut s'entretenir avec tous les êtres, se réjouir de toutes les beautés, s'enrichir de tous les trésors. Mais libre, elle donne tout parce que le Père lui a tout confié. Elle est plus forte que les dieux, plus splendide que les anges; elle est l'Homme.

     Et, dans le suprême effort de toutes ses puissances intégralement reconquises, elle offre au Père cette liberté précieuse, au Père qui l'a aidée, par le moyen du Fils, à parfaire lentement le long des siècles le grand œuvre intégral. Elle se charge librement des chaînes bénies de l'Amour. Elle peut tout; mais elle ne fera plus un geste sans en demander la permission à son Seigneur. Tous les secrets lui sont ouverts; mais elle n'interrogera plus jamais que pour les besoins de sa mission. Toutes les portes tombent devant elle; mais à chaque gardien elle paiera quand même le prix de son passage.

     Puisse Notre Jésus, après avoir encore lavé nos pieds, nous prendre tous dans Ses Bras miséricordieux et nous faire asseoir à Sa Table, pour l'Éternité !