Krishna, Bouddha et le Christ
(Le Voile d'Isis, février 1911)
Krishna, Bouddha et le Christ ne sont pas les manifestations de la même entité divine, ils mènent chacun par des routes progressivement divergentes à des lieux de repos opposés. Ce sont eux qui, en réalité, se choisissent leurs disciples et non leurs disciplines qui les choisissent. Les philosophes devraient s'avouer et dire aux autres: « Nous ne savons rien que de provisoire, de relatif, de nébuleux; rien, sauf qu'il faut lutter contre l'égoïsme ». Et si on consacrait toutes ses forces au bien-agir, au lieu de les dépenser à la culture du mental que les disciples des orientaux recommandent si fort, ce mental se purifierait et se développerait tout seul, bien plus sainement. A-t-on jamais appris à un bébé les mathématiques et la mécanique pour le faire marcher?
Pour devenir libre, la méthode n'est pas de rendre tout esclave en nous et autour de nous, sous prétexte de ne pas entraver notre développement.
Le plan des fluides, des vibrations, que les missionnaires hindous ont présentés aux Américains comme la clé de voûte de l'édifice cosmique, n'est encore qu'une enveloppe; il n'est que l'aura du plan central; sa connaissance ne procure ni l'omniscience ni l'omnipotence.
Quant à l'âme, elle est bien dans son lieu, pure, omnisciente et omnipotente, mais en germe seulement. Pour que l'on bénéficie de sa lumière il faut bien que les enveloppes psychiques puissent la transmettre, mais ce n'est pas par l'intelligence qu'elle arrive à notre conscience, c'est par le coeur.
D'ailleurs, comment purifier le mental par l'effort du mental? On risque, ce faisant, de prendre de bonne foi les appétits de cet organe pour les intuitions du soi supérieur. Il est plus sain de délaisser un peu la contemplation au profit de l'action.
Cette dernière laisse à nos puissances intérieures leur autonomie, leur spontanéité; elles rayonnent naturellement alors vers le monde matériel qu'elles transfigurent peu à peu tandis que les entraîne-ments les immobilisent ou les déséquilibrent vers l'artificiel.
Il est bien vrai que c'est notre volonté qui nous enchaîne; mais ce n'est pas la seule force qui nous délivre. Dieu et son amour ne sont pas des entités abstraites. L'âme, le moi, la volonté, le mental sont bien des manifestations différentes de la vie une mais ils possèdent une certaine indépendance; et il ne faut voir dans les psychologies si séduisantes du védantisme et du bouddhisme que des points de vue partiels.
La foi en nous-mêmes ne peut pas nous faire rois dans le spirituel, pas plus que dans le matériel; il lui faut des aides objectifs. En ne se fiant qu'à soi-même, on tombe immanquablement dans une impasse.
Car s'il est vrai que l'ignorance nous rend infirmes, elle n'est pas une cause mais un effet. Notre réel bourreau c'est l'égoïsme; c'est lui qui engendre l'ignorance et la douleur, parce qu'il ne vit que d'ignorance et de douleur. Et cela, tous les fondateurs de religions l'ont dit et redit.
Il s'agirait d'être d'abord un homme de charité. Et si on a consciencieusement travaillé tout le jour à aider les hommes, les bêtes et les choses à porter leur fardeau, il ne reste plus de temps pour les méditations et les exercices mentaux. Tous les sauveurs le disent« Soyez d'abord un saint; la connaissance et la puissance viendront ensuite toutes seules ».
Ce ne sont que certains commentateurs présomptueux qui ont cru que les sciences et les pouvoirs pouvaient se conquérir directement. Ceux qui peuvent voir dans le monde des âmes savent combien ils se sont trompés.
SÉDIR