IX


DEVONS-NOUS PRIER POUR LES MORTS


     Que faudrait-il pour connaître la Mort ?

     Son royaume est séparé de cette terre par un abîme ; et rien de ce que notre planète nous a fourni ne peut franchir ce précipice.

     Quant à elle-même, nous ne pouvons y voir qu'un assemblage de contradictions. Une mort, par exemple, est en même temps une naissance ; c'est une de nos plus grandes douleurs, et c'est une grâce inestimable ; c'est la plus radicale des séparations, et cependant nos ancêtres restent là avec nous ; c'est un très grand voyage, et il n'y a qu'un pas à faire pour l'accomplir ; elle est un repos, malgré qu'on travaille encore de l'autre côté ; les défunts vont ailleurs et ils sont tout de même parfois très longtemps attachés au cadavre ; tout le monde doit subir la mort, et il y a des êtres qui ne la connaissent point encore ; enfin elle est la forme la plus implacable de la fatalité, quoiqu'il soit possible de la vaincre.

     Si nous sommes, en fait, des spiritualistes, si nous conformons nos actes à nos croyances, la Reine des épouvantements se trouve perdre à nos yeux son prestige d'effroi et son halo de mystère. Elle devient la délivrance, le pas en avant, l'entrée dans un monde nouveau. Nous regardons venir alors la Faucheuse en toute sérénité ; nous accueillons avec un sourire sa visite inévitable ; car c'est de Dieu qu'elle tient son pouvoir, et sa force est une des formes de la force du Verbe. La peur que les hommes ressentent à son approche, si aucune ivresse ne les enlève à eux-mêmes, est toute physique et prend son origine dans l'inertie de la matière. Les vieillards en souffrent plus que les jeunes gens, parce que les esprits corporels, habitués à ce monde, à cette lumière, à cette atmosphère, aux objets familiers, craignent de perdre tous ces voisinages habituels, appréhendent l'inconnu qu'ils pressentent, et se cramponnent désespérément à cette coque obscure qui est leur maison. Mais le moi conserve en général plus de calme, et les contractions dernières, qui frappent douloureusement les spectateurs de l'agonie, ne sont, en majeure partie, que des automatismes tout à fait physiques.

     Les phénomènes de la mort sont pour ainsi dire inconnus. La description exacte et complète de la mort n'est écrite nulle part ; le lieu où s'effectue le départ des âmes est caché ; l'air du pays des morts est malsain aux vivants.

     La mort n'est qu'une reprise par l'âme de la terre de ce qu'elle nous avait prêté à la naissance. Si l'on restitue de bon cœur, on ne souffre pas. Si l'on refuse, il y a des déchirements inévitables, des blessures et des regrets jusqu'à ce que le défunt comprenne la sagesse d'une résignation confiante. Les gens de bien souffrent fort peu ; ceux qui, au contraire, se sont fait des idoles d'eux-mêmes et de leurs qualités, expérimentent le vide de leurs gloires. Le corps, le double, les sentiments, les fonctions mentales, la mémoire, l'habileté professionnelle, les goûts particuliers, tout cela est repris par les dieux terrestres, pour une purification, une réfection et une mise en réserve, dans un lieu spécial, en vue de servir plus tard, soit à celui qui en avait déjà reçu le dépôt, soit à quelqu'un de la même famille spirituelle.

     La seule vraie mort est la perte de la Lumière ; toutes les autres morts ne sont que des transformations. De même que notre intellect ne sait pas évoluer s'il ne passe d'une opinion à l'autre, de même notre moi ne peut gagner son lieu propre s'il n'expérimenté des multitudes d'organismes transitoires.
 

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     Quelle doit être notre conduite avec les morts ?

     D'une façon générale, nous n'avons pas à nous occuper d'eux ; nous n'avons pas de devoirs envers eux. Il ne nous est pas défendu de penser à eux, de continuer à les chérir, de les regretter. Mais il ne faut pas les faire revenir, ni par la magie, ni par les moyens plus simples du spiritisme.

     Ce n'est pas que tout soit faux dans le spiritisme. Son fondement philosophique, la réincarnation, conçue comme conséquence de la justice divine, est exact. Mais tenter des incursions au pays des morts est téméraire ; nous ne connaissons rien de ce royaume, de ses frontières, de la route qui y mène, non plus que de ses habitants. On s'expose à des dangers imprévus, à des rencontres hasardeuses, à des erreurs et à des tromperies.

     La pratique du spiritisme est une atteinte à l'ordre établi, quelque bonne que soit l'intention du pratiquant. Toutes les fois que l'on veut mettre le pied dans un appartement où nous ne sommes pas destinés à entrer, il faut payer le gardien. C'est pour cela que le spiritisme et l'usage des arts occultes apportent en général la déveine matérielle.

     Le spiritisme, pour celui qui a confiance en Dieu, est au moins inutile. D'ailleurs, les esprits ne savent rien de plus que nous des secrets de l'univers ; et ils peuvent très bien se faire entendre de nous spontanément en cas d'urgence.

     De même il est inutile de prier pour les morts. Par la prière notre esprit va chercher celui pour lequel il prie et l'amène devant le Seigneur. Or, nos esprits ne sont pas assez purs pour aller dans le pays des morts.

     Au reste, les morts n'ont pas besoin de nous. Personne ne quitte cette terre avant son heure ; personne ne réside en un point quelconque sans avoir à y travailler. Si nos parents, si nos amis s'en vont, c'est qu'ils ont à faire ailleurs. Le Père veille sur tous. Quand un être bien-aimé nous quitte, des sympathies nouvelles l'entourent ; il a des guides, il a des aides ; et où que son juste destin le porte, c'est pour son perfectionnement.

     Luttons contre la révolte et contre le désespoir. Nos gémissements ne peuvent que retenir nos morts à la terre, d'une façon anormale. Laissons-les partir ; ils reviendront. Ils reviennent même souvent d'une façon très matérielle ; car si l'aïeule sourit avec une tendresse si profonde à son arrière-petit-fils, c'est que leurs esprits se rencontrent et se ressouviennent des années disparues, où peut-être ils peinèrent ensemble et furent ensemble heureux. Mais respectons le voile que la Bonté divine a heureusement jeté sur le mystère des existences.

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