II

L'ORAISON DOMINICALE


     L'Oraison dominicale est en somme une prière pour la paix, pour l'harmonie, pour l'unité. Le disciple qui la prononce à l'intention de quelque souffrant demande que la paix vienne, sur cet homme, sur son corps, sur son cœur, sur sa pensée, sur son destin. Et la paix descend selon que le demandeur, par l'habitude de sa vie courante, se fait un avec Celui à l'ombre de qui il implore et de qui le dernier legs à Ses premiers serviteurs fut la paix.

     Rien de ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ a pensé, agi ou dit ne vient d'ailleurs que du Ciel ; c'est pour cela qu'Il est philosophiquement incompréhensible ; le mental ne peut même pas regarder cette infusion de l'Absolu dans le relatif ni cette effusion du relatif vers l'Absolu, dont la double courbe est la vie propre du Sauveur ; c'est la réalisation de l'impossible, la matérialisation de l'invisible, l'existence de l'inconcevable.

     Ainsi la prière modèle qu'Il a donnée à Ses disciples n'est pas que l'expression des besoins de l'Univers ; c'est aussi l'énoncé des choses que le Père juge utiles à notre béatitude personnelle comme à la béatitude de la Nature tout entière. C'est le tableau du mouvement cosmique ; elle en indique les composantes, les points de départ, les buts, les modes. Elle représente l'armée des créatures dans son ascension collective, et la loi de perfectionnement du composé humain. Elle est, en un mot, l'image de la Vie.

     C'est donc avec juste raison que certains mystiques y ont découvert la règle des stases extraordinaires de la conscience individuelle et que d'autres y ont retrouvé les arcanes de la création du monde.

     Le premier de ces points de vue, c'est sainte Thérèse qui le développe le plus clairement. Selon elle, quand l'âme a reconnu le Père qui est aux cieux par les méthodes de la connaissance humaine, par les opérations discursives de l'entendement, elle entre dans l'abandon et commence la pratique de l'oraison de quiétude dont les deux premières demandes du Pater décrivent les phases. La louange : QueVotre nom soit sanctifié est, en effet, un repos après la fatigante ascèse de la vie purgative et de la méditation logique. C'est la première aube de la vie contemplative. La créature a donné presque tout son effort ; le Créateur va l'illuminer comme en réponse à la seconde demande : Que Votre règne arrive. La quiétude atteint ici son niveau ; la joie descend dans l'âme et se communique parfois jusqu'au corps qui peut alors devenir le théâtre de phénomènes extraordinaires.

     Mais, ce premier réconfort goûté, commence une nouvelle période de travail dont la troisième demande : Que Votre volonté soit faite pose les fondements par l'humilité, par l'anéantissement intérieur complet de la créature.

     L'essence de ce travail est l'assimilation de la volonté divine par la volonté humaine, dont la vie devient peu à peu un sacrifice constant ; les douleurs que cet effort produit sont les signes de la nouvelle naissance, de la genèse mystique du Verbe en nous. C'est là ce pain quotidien dont chaque jour nous apporte une miette ; aliment si fort, si généreux que la masse des âmes ne peut le supporter. Tous les ennuis, toutes les épreuves, toutes les persécutions, toutes les souffrances imaginables ne sont, en réalité, que les effets sur notre esprit intérieur de ce remède divin.

     Et la cinquième demande, le pardon, doit être la pierre de touche de toutes les vertus, le signe de la régénération, la preuve objective et matérielle que toutes les parties de notre être se sont assimilé le pain mystique, le Verbe vivant.

     Mais laissons aux âmes d'élite les mystères que découvrent leurs efforts exceptionnels ; restons sur le sol où vit la foule ; ne nous offre-t-il pas tout ce dont notre faiblesse est capable de venir à bout ? Pour mieux dire l'Oraison dominicale, il suffit de s'en représenter les paroles comme énonçant des choses réelles, et non pas des allégories ou des abstractions vagues. Examinez chacune de ces paroles dans toute l'étendue de son domaine universel, dans toute la profondeur de son sens humain ; une seule suffirait alors à remplir vos heures d'enthousiasme, à vous verser toute la force, à vous éclairer de toute la certitude.

     Ce nom de Père, la puissance, la sagesse, la bonté qu'il évoque, le retour vers Lui à qui toute chose devrait nous ramener ; ce règne sur le monde et sur nous, et sur toutes les parties de l'un et de l'autre, ce gouvernement effectif, actuel, constant, paternel d'abord, ensuite royal ; cette volonté, le Christ même, que nous désirons voir se réaliser, s'incorporer en tout, dans l'univers, en tout dans notre personne ; ce pain, source et somme de tous les aliments imaginables, dans toutes les variétés des substances de la Nature ; ces offenses, commises ou subies, règne désespérant du mal contre lequel il faut espérer ; ces tentations excellentes à nous faire des athlètes spirituels, nous et toutes les créatures ; ce mal enfin, qui nous charme et que nous ne comprenons pas, qu'il faut affronter, et dont le Père seul nous délivre, quels sujets immenses pour réfléchir, pour admirer, pour adorer ! Et qu'est-il besoin, si on les contemple avec simplicité, de sens hiéroglyphiques, de transcriptions savantes et de rites ?

     Les tâches obscures qui sont notre loi ne sont pas moins ardues que les élans du mysticisme spéculatif ; elles le sont peut-être encore plus. Le Père donne à qui Il veut et ce qu'Il veut. Tel est sublime maintenant qui peut devenir imbécile dans une heure. Il vaut mieux donc ne considérer que l'effort immédiat et concentrer sur le présent nos énergies.

     Voici les quelques explications utiles pour, dans l'état actuel de nos connaissances, comprendre l'Oraison dominicale et la dire le mieux possible, du fond du cœur, nous unissant à Celui qui nous l'a transmise.

     1. - Notre Père. L'idée de secours qui naît dans le cœur de l'homme doit monter, en bonne logique, jusqu'à l'Être tout-puissant par excellence. Quand le Christ nomme Dieu : le Père, c'est pour nous faire pressentir Son infinie sollicitude. Le Dieu de l'Évangile n'est pas le Jéhovah vindicatif des Israélites, ni le Parabrahm indifférent et impassible des Védas. L'amour qu'Il a pour nous Le fait soucieux de notre sort, affligé de nos erreurs, heureux de nos joies saines. Si nous avions les yeux ouverts, nous serions confondus au spectacle de tous les êtres et de toutes les forces que ce Dieu met en œuvre pour nous donner la vie, pour nous la conserver et pour nous l'accroître. Bien loin de châtier, Il guette les moindres mouvements du repentir pour S'élancer au-devant de l'enfant prodigue, lui tendre la main, le réconforter. Rien n'arrive dans notre existence, nous ne prenons pas un morceau de pain, nous ne touchons pas un caillou, sans que le Père l'ait prévu et, l'ayant jugé bon, l'ait permis. Tout ceci, vous le savez, mais il n'est pas mauvais que vous l'entendiez dire, parce que, souvent, nous n'osons pas suivre les conséquences logiques d'une intuition spirituelle ; la nature en nous s'effare et tremble devant les clartés divines. Ainsi écoutez la voix presque imperceptible de l'Ami qui parle tout au centre du cœur et, quand vous l'aurez entendue, obéissez-lui envers et contre tout.

     2. - Qui êtes aux cieux. Le ciel de l'Évangile n'est pas un paradis comme les lieux de repos des religions anciennes ; les paradis ne sont que des plans d'existence plus ou moins supérieurs à la terre et sur la plupart desquels l'esprit de l'homme se délasse et reprend des forces pour une descente ultérieure à un enfer quelconque. Tout lieu d'existence est paradis pour les uns, purgatoire pour les autres, selon les mérites antérieurs. Parmi ces « jardins de délices », il en est où la beauté, l'intelligence, la splendeur s'épanouissent avec des millions de fois plus d'abondance qu'ici-bas ; mais, bien que le bonheur dont on peut jouir sur ces sphères radieuses soit aussi inimaginable pour nous autres que les grandeurs astronomiques comparées aux mesures terrestres, on ne reste qu'un temps limité dans ces mondes. Tandis que l'Absolu, le Ciel, le Royaume de Dieu nous offre un séjour éternel.

     Le Père réside au-delà de Sa création, dans l'immutabilité de Sa permanence. Il est partout, même dans le royaume de la Mort ; Il est sur la terre et sur tous les mondes, puisque Jésus y est descendu.

     3. - Que Votre nom soit sanctifié. Vous avez pu lire, dans des ouvrages spéciaux, des adaptations ésotériques du Pater, où l'on disserte abondamment sur des termes de Kabbale plus ou moins analogues aux paroles qui nous occupent. Ne vous enthousiasmez pas trop de ces spéculations. Sur dix auteurs qui traitent de tels sujets, il n'y en a pas un, croyez-le, qui écrive d'expérience. Les sephiroth existent bien, et tous les plans dont parle le Zohar et tous les lokas des Brahmes, et bien d'autres encore ; seulement il est très difficile d'aller les explorer en gardant son équilibre psychique. Ce n'est pas la curiosité qui manque aux amateurs, c'est la capacité.

     Les plus hauts adeptes mêmes ne savent rien ou presque rien sur l'essence du Nom, ni sur celle du Nombre. Ne tentez pas d'effort mental extraordinaire ; gardez votre énergie pour l'accomplissement du devoir journalier. Vous sanctifierez ainsi le nom du Seigneur d'une façon bien plus vivante, bien plus saine et bien plus féconde que par n'importe quelle méditation. L'hommage que nous rendons à Dieu par cette demande est la simple reconnaissance du néant que nous sommes devant Lui, et la gratitude infinie que nous devons avoir pour tous Ses bienfaits. S'il existe de par le monde des êtres de qui nous ne sommes pas dignes de délier le cordon de la chaussure, à plus forte raison ne sommes-nous même pas dignes de lever les yeux sur le Père. Jamais nous ne L'aimerons, jamais nous ne Le remercierons assez.

     4. - Que Votre règne arrive. Dieu est le maître de l'Univers ; mais Il attend, pour affirmer manifestement Sa souveraineté, que les créatures la reconnaissent. Dans l'état actuel des choses, Il laisse donc la puissance visible à ceux des êtres qui abusent de la force qu'Il leur a donnée. Cette usurpation n'a pas lieu sans Son consentement tacite, il est vrai ; mais Il cache aux hommes la permanence de Sa sollicitude. De sorte que, à regarder d'en bas, ce n'est pas Son règne qui fleurit, c'est celui des dieux, des diables et des hommes. Les enfants du Ciel doivent donc désirer la manifestation divine ; en d'autres termes, la soumission des créatures à leur Créateur, qui est parfaite dans le plan divin où elle constitue, par sa réalisation biologique, le Royaume de Dieu, doit descendre peu à peu de l'Absolu pour S'incarner successivement dans chacune des régions du relatif : dans les nébuleuses, dans les planètes, dans les fluides, dans les animaux, les végétaux, les pierres et les hommes, dans tout être, collectif ou individuel, invisible ou visible.

     Le règne de Dieu dans l'homme, c'est sa santé physique, morale ou intellectuelle ; le règne de Dieu sur une planète, c'est un paradis physique, organique, social ; le règne de Dieu dans l'Univers, ce sera la réintégration totale. Et l'un des effets capitaux de l'œuvre du Christ a été d'asseoir ici-bas les fondements de cette souveraineté divine et béatifique.

     5. - Que Votre volonté soit faite. Il est évident que nous ne connaissons pas les desseins de Dieu directement ; c'est la première raison pour laquelle il nous faut Lui demander qu'Il les accomplisse. Nous sommes certains de leur excellence, intellectuellement d'abord, par définition, pour ainsi dire ; et ensuite, nous souhaitons les voir réalisés par amour pour leur Auteur. L'Absolu, en effet, n'est pas seulement l'impassible, l'indifférent et l'impersonnel que disent les panthéistes ; puisqu'Il est l'Absolu, Il doit contenir d'abord toutes les formes de la vie relative et, quand Il S'incline vers les créatures, Il revêt la forme parfaite de leur manière d'être. En tant que Père du monde, Dieu S'intéresse à nous, prend part à nos joies et à nos peines et aime à voir nos mains levées vers Lui. Sa tendresse indulgente fait que Lui, le Tout-Puissant, sollicite notre collaboration, pourtant superflue, à Son œuvre.

     Or, nous n'avons en somme à nous soucier que d'obéir à celles des volontés divines qui nous concernent. Le reste des projets providentiels se rapportant à la marche des autres créatures ne nous regarde pas pour le moment. Mais le vœu que nous formulons rend attentifs à ces projets universels une quantité d'agents qui s'accroît avec l'augmentation de notre clarté intérieure propre. Quant aux desseins que Dieu a formés sur nous, Il nous les fait connaître par la conscience d'abord, par la parole de Ses envoyés ensuite. Ces deux codes suffisent à résoudre toutes les incertitudes des décisions que nous pouvons avoir à prendre. Toutes les règles qu'ils contiennent se résument dans la charité. Or, comme les désirs des créatures en reviennent tous à la satisfaction de l'égoïsme, nul ne peut aider son frère sans se gêner soi-même. Par suite, faire la volonté de Dieu, c'est briser sans relâche les désirs personnels, la volonté propre, les plaisirs du moi.

     6. - Sur la terre comme au Ciel. Ceci est le corollaire de la réalisation du règne de Dieu. Le Ciel est le lieu où la volonté du Père est parfaitement exécutée ; toutes les formes de la vie sur ce plan sont les formes mêmes de cette volonté divine et ne subsistent que par elle seule. Ici-bas, la vie vient aussi du Père, dans son principe ; mais, dans son développement, elle se sustente et se vicie d'autres aliments que de celui de l'Éternité. Il faudrait donc que, sur terre, la faim des êtres, la nature intime de leur désir de vivre, change. Le Père connaît seul le moment opportun et les moyens d'opérer cette conversion ; c'est pour cela qu'on Lui demande qu'Il fasse accomplir Sa volonté. Par cela seul qu'elle est Sienne, elle est parfaite. Dans la proportion où les hommes obéissent à Dieu, la Nature entière se guérit, se perfectionne et se libère. La seule étude indispensable est donc de connaître la volonté du Ciel, et le seul travail réel est de dépenser toutes nos forces à la réaliser.

     7. - Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien. L'homme se fiant à lui-même croit être libre ; il n'est qu'un esclave de ses passions ou de ses désirs. À un certain point de vue, les unes et les autres sont les hochets que des dieux agitent devant les yeux de notre esprit, pour nous faire travailler conformément à leurs desseins. Et, comme tout fermier a soin de ses serviteurs et de ses animaux, ces dieux ont soin de nous et nous fournissent ce dont nous avons besoin. Mais la nourriture qu'ils nous donnent n'est pas toujours saine ; souvent excitante, elle épuise nos organismes.

     Le pain que le Père nous destine est seul bon. Mais quel est-il et où le trouver ? La nourriture du corps physique, tout est préparé d'avance pour nous la fournir. Si quelques-uns la trouvent difficilement, il y a une cause juste à leur misère, cause qu'il nous vaut mieux ne pas connaître, ni même rechercher. Nous sommes ici-bas pour apprendre, entre autres choses, à subir l'épreuve matérielle ; nous n'avons licence de juger que nous-mêmes. Les nourritures de nos autres corps : magnétique, astral, mental, psychique, quelques noms que les ésotéristes leur donnent et quel qu'en soit le nombre, sont également préparées dès avant notre naissance. Les fluides, les feux, les sentiments, les idées, les inspirations viennent en nous, selon le besoin que nous en avons pour faire notre travail, et aussi selon notre désir.

     Mais toutes ces choses ne sont que les aliments des enveloppes de l'esprit, et de l'esprit lui-même, lequel, à son tour, n'est que le véhicule de l'âme, que le bois dont s'entretient la flamme éternelle qui vacille au plus profond de nous.

     Celle-ci cherche, dans ce monde obscur où elle languit en exil, ce qui lui est semblable, ce qui porte un reflet d'absolu, de liberté, de surnaturel ; ce sera son pain, le pain de la vie divine, que nous devrions uniquement demander au Père. Or, qu'y a-t-il de divin par excellence dans la Création, si ce n'est l'amour, si ce n'est le sacrifice ?

     Comprenez ici, sans perdre pour cela le calme ni la raison, que notre être est très vaste. Tous, même les retardataires, nous sommes des royaumes ; chez tous l'univers immense envoie des voyageurs ; le plus bas de nos actes a des réactions insoupçonnées et il est lui-même peut-être la dernière ride sur l'océan cosmique d'un caillou lancé à des milliards de lieues d'ici. Il y a donc tous les sacrifices dont la vie familiale, sociale et intellectuelle peut nous offrir l'occasion et, en plus, tous les autres, que la vie des parties profondes de notre être nous apporte ; tout ce qui s'agite dans l'immense forêt de l'inconscient, et qui aboutit, forcément et finalement, à des actes dont la vraie cause nous échappe ainsi que le sens véritable. Dans tout cela il y a de l'amour divin, dans tout cela il y a, pour notre nature, de la souffrance.

     La souffrance est donc une grâce, une faveur, une bénédiction. Quelle qu'elle soit, c'est le signe d'un amour ; c'est elle le pain du Ciel, c'est elle que le disciple désire avec avidité, c'est par elle que se parfait notre union avec le grand Sacrifié ; c'est elle qui, en se matérialisant, construisit la nature humaine de l'Homme-Dieu ; c'est par elle que nous retrouvons les chemins où posèrent Ses pieds vénérables.

     Qu'est-ce que la vie de ce corps de chair ? C'est une assimilation et une désassimilation proportionnées de la matière terrestre. Les vies de tous nos autres corps sont des processus analogues. La vie de notre âme, c'est l'absorption de la vie divine. Et la vie divine, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Qu'a-t-Il fait ? Il S'est donné au monde, non pas mentalement, non pas avec de la compassion subjective, mais réellement, avec de la chair et du sang, avec tout ce que comprend l'existence. Faisons de même dans notre petite mesure ; donnons aux autres du temps, de l'argent, de nos aises, de notre bonheur, de tout nous-mêmes ; la gêne qui en résultera pour nous - et cette gêne peut aller du simple petit ennui jusqu'aux pires angoisses -, cette gêne sera un peu du froment éternel.

     Pour aider notre inconstance, notre tâche est morcelée. Quel homme peut faire d'avance le plan de sa vie, ou même celui d'une année ? À cause de cela il est écrit qu'à chaque jour suffit sa peine. Un jour vit, en effet ; c'est comme un carré de terre ; il est une œuvre, un acte complet ; il faut le commencer et le finir par un retour à son Auteur. Le mystère nocturne nous empêche de voir le lendemain tel qu'il sera ; c'est pourquoi Jésus ne demande avec nous que le pain d'aujourd'hui.

     8. - Pardonnez nos offenses. Pour obtenir de Dieu le pardon, il faut l'exercer nous-mêmes. Ce faisant, nous imitons le Christ, et Il nous prend alors avec Lui. On arrive à pardonner en se rappelant la justice universelle d'abord, et en se tenant ensuite dans le zéro de l'humilité. Ces exercices passifs, subjectifs une fois suivis, on peut pratiquer la plus superficielle des sortes de pardons : l'oubli de l'injure par celui de nos organes qui l'a subie. C'est alors que nous pouvons dire la phrase du Pater sans craindre de nous condamner nous-mêmes.

      9. - Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Ce pardon divin n'est pas un échange ; c'est une récompense de la marque de bonne volonté que nous donnons en usant de mansuétude. L'autre traduction de cette demande, qui parle de la remise des dettes, offre le même sens. Une attaque subie est toujours une dette payée ; une désobéissance à Dieu est toujours une dette contractée. Pour pouvoir dire ce verset, il ne faut pas craindre le qu'en dira-t-on, la moquerie ni la ruse.

     10. - Ne nous induisez pas en tentation. Ces paroles, qui traduisent exactement la Vulgate, le Christ ne les a pas prononcées, mais Il a permis qu'elles passent dans la coutume, parce qu'elles diminuent un peu l'idée de la puissance du Diable et qu'elles encouragent les tièdes. Le Christ a dit : Ne nous laissez pas succomber à la tentation ; et, en effet, la tentation proprement dite vient de l'Adversaire, avec la permission de Dieu, comme le décrit très bien le livre de Job. Il y a deux sortes de tentations ; celles qui viennent de notre perversité personnelle et sont le produit de l'alliance d'un diable avec une de nos forces ; ce sont les plus communes et les moins dures. Celles qui viennent d'une visite directe d'un soldat du Mal sont plus rares, réservées aux hommes déjà forts. Une tentation à laquelle on résiste est un bon travail, un des meilleurs peut-être. D'abord, on ne peut soutenir l'assaut sans humilité, sans confiance en Dieu, et sans lutte ; toutes nos puissances sont ainsi mises en œuvre ; notre esprit, notre personnalité deviennent un champ de bataille ; les sept formes du mal y combattent sans cesse les sept formes du bien. Il faut, pour triompher, du calme, de la présence d'esprit et de la décision.

     Vous avez vu, au Jardin des Plantes, des visiteurs taquiner les singes ou les chèvres. Quand l'animal, agacé, donne un coup de corne ou crie, l'homme est content et s'en va heureux ; il a sorti un peu du mal qu'il avait en lui, à moins que la patience de son souffre-douleur ne l'ait lassé. Il y a des êtres auprès de nous, plus forts et plus intelligents que nous, qui nous taquinent ainsi ; nos débats les font rire, bien que nos souffrances nous paraissent horribles et désespérantes et infernales. Quand nous n'en pouvons plus, nous crions : Ne nous laissez pas succomber à la tentation, et un gardien arrive, qui éloigne le promeneur taquin, en lui faisant honte de sa méchanceté.

     Si donc la tentation vient à nous, la première précaution à prendre est de rester calme ; ne vous montez pas la tête. Ce qui nous paraît grand est si petit en face seulement des grandeurs que contient le monde. Et, si vous êtes un soldat du Ciel, vous subirez l'attaque avec patience, vous accepterez le combat, avec l'aide du Ciel, et vous ne demanderez pas que le persécuteur s'en aille.

     II. - Délivrez-nous du mal. C'est le mal universel dont nous désirons être guéris : maladies physiques, ignorances, égoïsmes, misères sociales, laideurs, cruautés, esclavages de toutes sortes. Nous ne pouvons pas nous délivrer nous-mêmes ; un homme qui montre sans cesse une vertu héroïque, ce n'est pas sa vertu qui le guérit ou qui l'illumine ; ses travaux ne sont qu'un geste ou une demande ; et le Père le sauve en raison de cette prière active. Je vous le répète, Dieu fait tout en nous ; nous ne pouvons que nous mettre dans la meilleure attitude pour profiter de Ses dons, en Lui demandant d'éclairer la faiblesse de notre discernement.

     12. - L'Ainsi soit-il et la formule gnostique ou kabbalistique par laquelle on termine quelquefois l'Oraison dominicale, se comprennent d'eux-mêmes. C'est l'acte de foi, sans lequel rien ne peut être obtenu, ni accompli.
 

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