VI
QUI PRIER
La prière est l'élan de notre personnalité vers l'Absolu. Vous comprendrez qu'il ne faut donc prier que Dieu seul. Cela se fait bien rarement. On s'adresse d'ordinaire au dieu que l'on s'est choisi. Une brave femme qui va à l'église demander au bon Dieu que son obligation sorte au tirage, tandis qu'elle a déjà de petites rentes, ce n'est pas Dieu que son cur prie, c'est le dieu de l'argent. Combien de fois ne nous conduisons-nous pas comme cette bonne vieille ? Or, chaque dieu exauce ses fidèles, comme un roi garde les emplois lucratifs pour ses courtisans. Un ambitieux, un avare qui prient pour leur ambition ou pour leur avarice seront exaucés facilement par leurs dieux ; mais ils s'enfonceront davantage dans leur fausse route. Quand un cur simple demande au Père quelque chose qui puisse faire dommage à son âme, le Père ne l'exauce pas ; et c'est une des raisons pour lesquelles nos prières demeurent souvent stériles. Adressez-vous à Dieu seul. Le premier, le plus irréductible des ennemis de l'homme, c'est lui-même ; Satan nous est moins dangereux. L'un et l'autre de ces deux adversaires ont une marche également insaisissable ; pour les combattre, il nous faut un point d'appui hors du monde, puisqu'ils remplissent ce monde, puisqu'ils constituent la force même de l'univers. Cet appui ne peut être que Dieu. Priez le Père ; priez le Christ puisqu'Il est Dieu ; prier le Saint-Esprit est trop difficile ; nous sommes encore trop enfoncés dans la matière pour être sensibles à cette présence infiniment subtile. Et puis, il existe une créature que l'on peut prier sans crainte de contracter une dette ou de manquer au Père, c'est la Vierge Marie. Comme elle est la plus humble de toutes les créatures, nous pouvons être certains qu'elle transmettra intégralement notre demande ; et, parce que son Fils lui accorde toujours ses requêtes, il y a, en s'adressant à elle, plus de chances d'être écouté. * Les légendes qui montrent les anges recueillant les prières des saints pour les porter, de hiérarchie en hiérarchie, jusqu'au trône de Dieu, sont vraies. Ce ne sont pas toujours des anges, au sens théologique du mot, qui remplissent cet office ; il n'importe ; tout cela est prévu et ordonné, chaque chose retourne à sa mère ; les lumières vont à la Lumière, les ténèbres vont au Néant. Et les unes et les autres montent ou descendent suivant leur densité. La demande s'élève ainsi aussi haut que la pureté du demandeur donne de force à ses ailes. Les prières des hommes n'arrivent donc pas toutes aux pieds du Père ; mais, quand la sphère où elles touchent est trop ardente pour elles, il se peut, en effet, que des êtres de compassion les recueillent, les font leurs, et les présentent à Dieu, comme pour leur propre compte. C'est ainsi que nous sommes plus souvent exaucés qu'il ne devrait. La dévotion populaire connaît ces guides et s'adresse à eux avec une confiance très souvent justifiée. Elle leur donne des noms, bien que ces êtres supérieurs préfèrent rester inconnus ; ils craignent avec juste raison qu'on les invoque directement. Cette idolâtrie altère la transmission de leur influence invisible et en complique singulièrement les suites dans l'avenir. En effet, ils n'entendent que ce qui porte le sceau de l'Unité ; et vous les prieriez eux, qu'ils comprendraient moins bien vos désirs que si vous vous adressez directement à Dieu. D'ailleurs il y a d'innombrables sortes d'intermédiaires. Ne demandez à aucun d'eux. Que savons-nous des êtres invisibles ? Quelle certitude avons-nous qu'ils sont bien réellement dans la vraie Lumière ? Peut-être certains vous exauceraient-ils plus vite, mais ils prendraient sur vous une créance dont il faudrait tôt ou tard vous acquitter, capital et intérêts. Ne demandez qu'à Dieu, au Christ, à la Vierge. Ceci, c'est « frapper ». « Cherchez » en outre ; donnez-vous du mal ; dépensez vos forces à aider les autres, et votre intelligence à poursuivre le mal dans tous ses replis ; « heurtez », C'est-à-dire allez jusqu'au bout de votre effort. ***************************************************** |