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L'EDUCATION de la VOLONTE

par SÉDIR

        Plus que jamais tous les champs de la vie sociale deviennent des champs de bataille. Le chrétien ne peut pas se désintéresser de ces luttes ; seulement il ne doit se battre qu'avec des armes spirituelles, selon la tactique et la stratégie de l'Evangile. Au soldat, en plus de ses armes, sont nécessaires la vigueur et l'art de les manier. Nos armes, c'est nous-mêmes : forces du corps, passions de l'âme, facultés de l'intellect, puissances de la volonté. Apprenons à les tenir en bon état de service et à nous en servir le plus utilement.

   C'est là une science ardue, un art très sublime ; je ne prétends point vous les enseigner. Nous récapitulerons seulement ensemble quelques vues déjà familières, nous nous redirons quelques maximes évidentes, comme fait le soldat avant la bataille, qui met son équipement en ordre et rassemble, avec les chers souvenirs de ceux qu'il aime, toutes ses espérances et toutes ses énergies.

   Aujourd'hui, les moralistes laïques et les protestants libéraux placent l'action sociale au premier rang des devoirs, mais ils estiment qu'elle doit être entreprise indépendamment des idées que l'on peut professer sur le Christ, et ils croient que, quelles que soient ces idées, l'œuvre philanthropique reste entière et bonne.

   Le catholicisme contemporain est plus près de la vérité en enseignant que l'action sociale soit faite pour le Christ, mais selon les directives reçues du Vatican.

   Tous ces hommes, pour sincères et graves qu'ils soient, oublient le facteur spirituel. Un acte possède évidemment sa valeur propre mais c'est une valeur matérielle. L'âme de l'acte, c'est-à-dire le sentiment qui l'inspire en est une valeur capitale. L'esprit de l'acte, c'est-à-dire l'idéal en l'honneur duquel il est accompli est aussi une valeur, et la plus importante des trois. Sans doute, pour quelqu'un qui regarde la vie, la paresse, le vice, l'entêtement apparaissent commune les causes, hélas ! de la plupart des souffrances que l'on voudrait soulager. Il est bien difficile, quand on avance en âge, de conserver des illusions sur la bonté native de la nature humaine. Aussi la philanthropie qui n'est qu'humaine devient vite positive, raisonnable et froide. Pour lui redonner de la chaleur et de la vie, il lui faut un mobile plus qu'humain, un mobile divin : il lui faut le Christ.

   Ainsi l'éducation de la volonté pour elle-même, ou l'éducation de la volonté pour l'œuvre sociale, ou l'éducation de la volonté pour mieux servir le Christ, ce sont trois travaux identiques dans leur forme, mais très différents dans leur esprit.

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   Qu'est-ce que la volonté ? C'est le pouvoir de faire concourir toutes nos forces à la réalisation de ce que l'on décide. La violence, le parti pris, l'entêtement n'en sont que des excès ou des faiblesses. Elle est la maîtrise de soi et l'exercice du libre-arbitre. C'est la plus haute force de notre être conscient.

   L'homme est fait pour se développer jusqu'à la perfection. Dans quel but ? Pour devenir fort ? Pour échapper à la souffrance ? Ou bien pour mieux aider ses frères en accomplissant le dessein de Dieu ? Voici le vrai but ; les deux premiers sont faux.

   Quelles méthodes emploiera-t-il ? Les cultures artificielles de l'Esotérisme et leurs succédanés anglo-saxons, ou bien la culture naturelle que l'Evangile indique ? C'est à celle-ci que vont évidemment mes préférences. Car l'existence n'est pas que mentale ou sentimentale, elle est surtout réelle et faite d'actions ; pour être pleine et fructueuse, elle exige sans doute une vie intérieure intense de culture morale, esthétique et intellectuelle, mais encore une vie extérieure non moins intense d'œuvres de devoir et d'œuvres d'altruisme. Nous sommes terrestres ; nous ne nous débarrasserons pas de la matière en la niant, mais en la spiritualisant. Pas plus que les Libertins spirituels, Charron, Rousseau ou jules Simon n'étaient dans le vrai en prêchant un système religieux sans temple et sans culte, pas davantage ne sont dans le vrai ceux qui croient se perfectionner par la seule méditation, par la seule extase, par le seul athlétisme,, on par l'esthétique, ou par les rites, ou par les entraînements respiratoires, ou par des excitants.

   L'homme est un petit univers ; pour devenir parfait, qu'il fasse appel à tous les moyens, mais que le moyen ne devienne jamais un but. L'homme est une cellule de l'humanité ; il ne se développera qu'en vivait avec les autres, puis pour les autres.

   En résumé, l'homme ne se donne de la peine que par amour : amour de soi, amour des siens, amour de l'humanité, amour de Dieu, et il ne peut trouver que dans le seul amour de Dieu la force de vaincre les bas attraits de l'amour de soi ou les déceptions souvent amères de l'amour familial et de la philanthropie. Que l'amour de Dieu devienne notre unique mobile, notre but unique et notre méthode !

   On ne peut pas vivre toujours dans l'enthousiasme, on ne peut pas non plus toujours se créer des enthousiasmes. Au-dessus de l'amour sentimental existe donc un amour de raison, un amour intellectuel et calme. Mais certaines crises intérieures ne laissent plus notre pensée se déployer sereinement ; elles peuvent réduire en chaos et l'intelligence et l'organisme affectif et même l'organisme nerveux. Alors intervient la forme la plus spirituelle de l'amour, l'amour de volonté. Ainsi, quel que soit l'état psychique ou l'état physiologique, quelle que soit la complexité des soucis d'affaires ou la turbulence des passions, l'homme peut toujours, s'il le veut, agir selon l'amour.

   Vouloir ce que Dieu veut : voilà l'arcane de notre perfection.

   Une fois que l'on sait cela, de science intime et certaine, deux méthodes se présentent au chrétien.

   La première, plus prudente, divise le travail et s'efforce de vaincre l'une après l'autre, en les isolant, les diverses faiblesses de notre gouvernement de nous-mêmes.

   La seconde méthode, plus mystique, plus évangélique, mais qui exige une profonde humilité, nous place dans un abandon total entre les mains du Christ, nous désintéresse, pour ainsi dire, de nous-mêmes et nous apprête à toutes les éventualités. Car le souci de notre perfection nous limite et nous ferme peut-être telles avenues spirituelles pour le moment invisibles. À partir de ce sacrifice complet, le Christ prend le disciple avec Lui et, tout en lui conservant l'armature de son destin, en change l'atmosphère, de telle façon que n'importe quelle chose alors survenant à ce disciple lui devient un signe de la volonté divine. Au disciple alors d'effectuer cette volonté ; dans ses devoirs, ses occupations, ses plaisirs ; dans ses études et ses entreprises, ses sentiments et ses opinions ; dans ses rapports avec autrui ; obéissances, commandements et entraides ; jusque dans sa démarche, son langage ou son vêtement.

   Voilà ce qu'il faut faire. Il faut le faire avec calme et avec optimisme ; il faut dire : En avant!  et : Oui. De même qu'on ne guérit pas un ivrogne en l'empêchant par contrainte de boire, nous ne guérirons pas nos faiblesses ni nos vices en les jugulant, mais bien plutôt en nous créant les vertus correspondantes.

   Nous en revenons au mot de saint Augustin : " Aime et fais ce que tu voudras ", puisque nous avons choisi l'amour le plus pur et puisque l'intention vivifie l'action. Voici une heure où j'ai résolu d'expédier des lettres que ma paresse a laissé s'accumuler. Mais un voisin malade est au lit et se plaint. J'irai donc plutôt le distraire, et ce sera mieux que d'avoir remporté sur ma négligence la petite victoire que j'avais résolue.

   Tel est l'esprit général d'une éducation chrétienne de la volonté.

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    Vous savez que bien d'autres systèmes existent. Le taoïsme, le bouddhisme, les yogas sont des écoles ou savantes ; ou fortes de la volonté. Je serais présomptueux de les vouloir décrire avec leurs nuances infinies, car bien peu d'Orientaux mêmes les connaissent toutes. Mais, si je puis me permettre de n'en dire que quelques mots, je les caractériserai ainsi :

   Leurs dogmes sont : l'existence de mondes invisibles fort nombreux, la réalité des réactions dynamiques de tout ordre que déclenche le moindre des actes humains, la réalité des transmigrations du moi.

   Leur idéal : la permanence et la stabilité.

   Leur solution : se retirer de l'externe ; laisser tomber toutes les attaches du désir, les amours, les haines, les ambitions, les convoitises ; se tenir dans l'indifférence immuable.

   L'Evangile nous dit, au contraire, que toute chose vivante est précieuse parce qu'elle est l'œuvre de Dieu, que nous devons l'aimer et l'aider à vivre à cause de Dieu. Dieu sème sans cesse et multiplie la vie ; nous devons donc faire de même dans notre petite sphère. Dieu n'agit pas pour Lui, mais pour Ses créatures nous aussi, essayons de vivre pour les autres, dès tout de suite. Tout est réel, il n'y a pas d'illusion au sens absolu où les Indous entendent Maya. Rien ne nous appartient : nous restons donc comptables de tous les instruments et de toutes les occasions de travail que Dieu nous prête, nous devons donc ne nous dérober à aucune sollicitation des circonstances ou des créatures. Enfin, vouloir ce qui plaît est tout naturel ; tandis que la volonté véritable maîtrise nos goûts et, seule, nous agrandit, puisque, seule, elle nous sort de nous-mêmes.

   Ainsi, selon le Christ, la victoire sur soi pour l'amour de Dieu et du prochain est la seule véritable et saine école de la volonté.

   Le chrétien choisira donc entre plusieurs actions possibles : celle qui lui paraîtra la plus conforme à l'Evangile, à celle qui lui demandera le plus grand effort sur lui-même, à celles où se trouveront le plus de difficultés matérielles.

   Dès lors, son acte, si humble soit-il, deviendra le plus libre des contingences, le plus universel dans ses conséquences, le plus pur dans son rayonnement, le plus fertile en possibilités vitales.

   Tel est le chemin de la Liberté.

  Par un exercice persévérant, on arrive à vaincre les complications matérielles avec une aisance de plus en plus grande ; on parvient en même temps à se contrôler de plus en plus facilement, et l'habitude peu à peu s'installe en nous d'agir, de vivre avec joie, avec élan, avec amour pour Dieu et sympathie pour le prochain.

   Dans la pratique, comme c'est l'intention, c'est-à-dire l'amour, qui anime l'acte d'une flamme spirituelle plus ou moins claire, il faut tout d'abord obtenir l'amour le plus pur. Toute chose faite en union avec le Christ participe à Sa Lumière. Voici une femme qui va au bal ; qu'elle y aille par plaisir ou par soumission à une convenance d'état, ce bal lui sera une chute ou une spiritualisation. La même femme se lève de bonne heure pour courir à un dispensaire dans un quartier excentrique ; qu'elle y aille par amour-propre ou par amour du prochain, sa fatigue lui sera une chute ou une spiritualisation. On peut vivre avec le Ciel dans les pires milieux ; on peut vivre en égoïste dans des milieux dévots.

   Toutefois, il faut apporter le soin le plus sincère et le plus impartial dans la critique de nos mobiles ; le Moi fourmille de ruses et s'ingénie inlassablement à tromper la conscience. D'une façon générale, on ne s'égarera pas en acceptant toutes les besognes qui se présentent naturellement, communes ou héroïques, basses ou décoratives. Là où nous vivons, là est notre travail.

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    Bien loin de rechercher une existence extraordinaire, soit par son niveau, soit par son étrangeté, le chrétien saura que la culture de son être immortel, la culture de sa volonté restent possibles partout. Qu'on se retire dans la solitude sous prétexte de se détacher du monde dangereux, il est probable que la paresse nous tentera. Souvent un fils de famille qui n'a aucun souci matériel et dont toutes les heures sont disponibles pour ses études, travaillera bien moins que tel autre jeune homme à qui la pauvreté de ses parents impose de gagner son pain et qui n'a que ses nuits pour préparer ses concours. Il n'y a pas d'autre recette que l'exercice gymnastique pour développer les muscles. Il n'y a pas d'autre recette que la lutte contre les diverses formes de l'égoïsme pour développer la force volitive.

   Nos devoirs avant tout ; s'ils nous laissent du temps, nous lirons, nous méditerons, nous prierons. L'état, le métier ont pu nous être imposés par les circonstances, ou par notre choix ; ou le Ciel a pu y conduire certains individus exceptionnels. Ils constituent, dans tous les cas, le milieu le meilleur pour notre développement. Les exercices inventés par les hommes, quelques sages, quelque expérimentés qu'ils soient, ne possèdent jamais la richesse vitale et féconde de ceux auxquels nos devoirs nous obligent. Seul l'accomplissement de ces devoirs nous fait acquérir la souplesse, la présence d'esprit, la vigilance, la pleine et constante possession de toutes nos énergies ; seul il contient toute la réalité, toute la substance vive qui nourriront nos forces en les maintenant en harmonie.

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   Jésus nous dit : " Pas un cheveu ne tombe de notre tête sans la permission du Père. " Celui, donc qui s'est donné au Père peut légitimement tenir tout ce qui lui arrive comme des marques du plan providentiel à son égard, ou comme des ordres que le Père lui fait connaître. L'entraînement de notre être intime ne se limite pas à telle heure de la journée ou à telle période de notre existence. Il est perpétuel. Il faut être prêt à chaque minute.
 

   Mais de ces coïncidences constantes de notre volonté avec les volontés divines, ne faisons pas des marches glissantes vers le fatalisme, ni vers le quiétisme. Soyons à nous-mêmes des juges sévères ; ne colorons pas nos apathies de beaux prétextes. Un avare peut très bien se justifier devant vous et devant lui-même par des théories sociales d'épargne et de vertu ; un prodigue peut aussi se justifier par d'autres théories sur la circulation des richesses ; ils n'en restent pas moins le premier, un cœur sec, le second, un ami du plaisir.

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   Du point de vue de Dieu, il est préférable de faire une chose facile par soumission, qu'une chose difficile par goût ou par stoïcisme. Aller au théâtre pour donner une petite joie à quelqu'un vaut mieux que de refuser sous le prétexte qu'aimant le spectacle, il est mieux de s'en abstenir. Évidemment, toute peine que l'on s'impose pour le Christ nous procure un bénéfice spirituel ; mais le bénéfice est plus grand et de meilleure qualité si la peine n'est pas artificielle. Le triomphe de la volonté, c'est de se vaincre elle-même.

   Le goût des pénitences, des ascétismes, des fatigues peut n'être qu'une forme de l'orgueil. Cela ne veut pas dire que les ascètes ou les hommes d'énergie sont toujours des orgueilleux. Cela signifie seulement qu'il faut prendre garde aux leurres de l'orgueil.

   Dans les incertitudes de nos choix, nous discernerons la volonté de Dieu, c'est-à-dire la décision la meilleure, à ce double signe qu'elle coûtera davantage à nos goûts, qu'elle donnera de l'aide ou du bonheur à l'un de nos frères.

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   Le grand œuvre spirituel comporte la culture de nos forces physiques. Le corps est un serviteur ; on lui doit l'entretien et le repos L'esprit et l'âme vivent tout mêlés avec lui et, à son tour, il se mêle à eux. En nous, comme au sein de la Nature, tout influe sur tout.

   La volonté doit donc devenir maîtresse du corps, dans celles de ses parties qu'anime le système nerveux conscient. Il faut contrôler peu à peu les gestes, les paroles, les regards ; il faut résister à la faim, à la soif, à la fatigue, au sommeil, quand il y a utilité ; il faut accepter, si besoin est, l'aliment, ou la boisson, ou le travail qui ne plait pas à ce corps. Mais inutile de lui imposer des peines arbitraires, sinon dans les cas exceptionnels. Quand nous nous sommes privés de dîner ou de dormir, le lendemain, nous faisons mal notre besogne ; la matière est encore trop forte chez presque tous. Seuls les êtres d'élite, chez lesquels l'esprit a recouvré sa place - la première -, peuvent jeûner, veiller, et que personne ne s'en aperçoive ensuite ; eux seuls peuvent supporter la grande fatigue et la douleur sans que leur moral s'en ressente.

   La vitalité physique est très sensible aux dispositions du caractère. La mauvaise humeur, l'anxiété, le pessimisme l'affaiblissent ; la bonne humeur, l'entrain, l'optimisme la renforcent. On doit se maintenir en joie ; et, comme les occasions d'être joyeux ne sont pas toujours très fréquentes, l'entraînement systématique à un heureux caractère est excellent. Le vrai disciple n'est pas un individu morose, grincheux et enfoncé dans de sombres méditations. Il sait sourire, il sait être gai ; il sait que toutes les forces ont besoin de détentes, et qu'à la faveur du repos, la volonté, comme le muscle, se renouvelle et se rajeunit. Une récréation peut devenir une re-création.

   À l'extrémité supérieure du Moi fonctionne notre intellect. Lui aussi doit passer sous le contrôle du libre-arbitre; lui aussi, comme le corps, est un serviteur à qui, après le travail, la détente et le repos sont nécessaires.

   Certes, l'effort moral vers la sainteté fait faire les progrès les plus décisifs à la maîtrise de nous-mêmes. Mais du mépris de l'intelligence ne faisons jamais une des conditions de cette sainteté ; cultiver l'intelligence afin de mieux servir le prochain pour obéir au Christ, voilà ce qui est juste. Mais mépriser le savoir est aussi faux que d'en faire une idole, quoique la dignité du savant digne de ce beau nom soit infiniment au-dessus de la vanité du sot.
 

   La même règle de convenance et de juste équilibre s'applique aux recherches de l'Art. La Beauté, pas plus que la Science ou la Force, ne doit être prise pour un but ; elle est une route. L'Art mène à Dieu, comme la Pensée, comme le Travail, à condition de ne s'en approprier ni les fruits ni la noblesse.

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   C'est encore en suivant la loi commune que doit se mouvoir la sphère des sentiments. La culture de la volonté, quelque intensive qu'on la souhaite, ne demande pas qu'on arrache de son cœur les affections saines dont Dieu lui a confié les germes. Aimer sa famille, sa cité, sa patrie, l'humanité, ce ne sont pas des faiblesses, mais bien d'excellentes écoles pour le Moi ; car on ne peut pas aimer sans agir ; et plus intimement nous vivons avec les objets de nos affections, plus ardue devient la tâche de rendre cet amour vivant dans nos paroles, dans nos actes et dans notre caractère. Un amour qui ne se sacrifie pas n'est qu'un égoïsme.

   Aimer l'humanité, ce n'est pas très difficile; l'humanité, c'est loin, c'est vague, et puis, c'est trop grand; on ne voit pas grand-chose à faire pour elle. Aimer sa patrie, c'est déjà moins facile, parce qu'il y a la guerre, et l'opposition de nos intérêts particuliers avec l'intérêt collectif. Mais le plus difficile, c'est d'aimer nos voisins, nos camarades, à la personnalité desquels notre personnalité se heurte chaque jour. Là, les occasions de se maîtriser abondent. Si l'on veut suivre l'entraînement à fond, il faut toujours accepter, sauf si l'on veut nous induire à mal faire, toujours s'effacer, toujours se laisser mettre à la dernière place, toujours donner ses aises et ses, préférences : voilà le meilleur des exercices ; il vainc nos défauts, il transforme nos travers, il nous oblige à nous dépasser nous-mêmes.
 

   Ce n'est pas tout que d'accepter. Il ne faudrait pas seulement laisser prendre ; on devrait donner à qui demande, offrir à ceux qui n'osent pas solliciter. Ceci, c'est la perfection. Ne visons pas si haut du premier coup. Allons pas à pas, et nous nous tiendrons pour satisfaits si nous parvenons à ne jamais faillir aux devoirs, aux exercices qui se présentent. Le Ciel saura bien, à mesure que notre force volitive croît, nous conduire vers les choses difficiles

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   Telles sont, rapidement indiquées, les règles très générales de la culture spirituelle. Ce sont les manières d'être, ce sont les travaux.

   Pour les conduire au mieux, il y a des recettes, des tours de métier, des moyens auxiliaires. Nous allons en étudier les principaux, par ordre d'importance décroissante.
 

   Puisque l'homme ne trouve son accomplissement total qu'en Dieu, puisque Dieu aime l'homme et lui subordonne Ses desseins, ne serons-nous pas sages en renouvelant notre union avec notre Père le plus souvent possible ? Puisque ce Père est la perfection, puisque Son grand désir est de nous rendre participants à Sa perfection, puisqu'Il est le Vivant, puisque nous sommes à nu sous Son regard, appelons Le à toute occasion, accrochons-nous à Lui, à Sa forme tangible, le Verbe Jésus-Christ.
 

   Pour ces reprises volitives, écoutons jésus, car nul n'exerça comme Lui une autorité absolue sur soi-même. En fait, par un paradoxe difficile à concevoir et impossible à reproduire, jésus Se conduisait souvent comme l'un de nous, comme s'Il ne possédait pas le droit de commander à tel ou tel de Ses organes ; Il jouait parfois un rôle, le rôle d'un pauvre homme quelconque. Mais ne sortons pas de notre sujet. Souvenons-nous aujourd'hui que jésus, seul entre tous les êtres, gouverne en droit et en fait toutes les substances et tous les organes de Sa personnalité, parce qu'Il les a Lui-même, en tant que Verbe, extraits du Néant. Nous, rien ne nous appartient : rien de notre corps, rien de notre sensibilité, rien de notre intellect. Seul notre cœur est à nous, notre double cœur de Ténèbres et de Iumière, qui est nous-mêmes. Nous avons donc, non pas tant à commander nos instincts, nos passions, ou nos opinions, qu'à les convertir. C'est pourquoi les méthodes de culture de la volonté qui vont de l'externe vers l'interne, les méthodes humaines, sont artificielles, illégitimes et malsaines. Seule la méthode divine, celle du Christ, est saine, normale et légitime.

   Le moyen le plus réaliste, le plus vivant de placer notre volonté, avec tout le reste de nous-mêmes, dans l'atmosphère la plus salubre, c'est donc de hausser notre cœur le plus près possible du Christ et d'agir ensuite conformément à la notion indescriptible qui naît de ce colloque sans parole ou de cette entrevue sans forme visible. Il faut donc se souvenir du Christ très souvent, dans la journée, et L'appeler. On l'oubliera maintes fois d'abord. Nous userons donc de moyens mnémotechniques ; l'heure qui sonne, un changement de travail, une rencontre, l'entrée dans une pièce, ou la sortie, une maxime écrite devant nos yeux : tout peut nous servir de rappel à la présence divine.

   Fidèles à la théorie évangélique, qui veut que l'acte suive toujours le sentiment ou la décision, ces rappels secrets de l'Ami surnaturel, qu'on les formule, si possible, à haute voix, tels ils jailliront du besoin de la minute. La plus haute transfiguration de la volonté, c'est la foi ; or, la foi, c'est quand on parle à Dieu comme à un homme, a dit le Curé d'Ars.

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   Un autre exercice, presque aussi important, c'est d'établir chaque matin le plan spirituel de la journée et chaque soir son bilan spirituel. Il faut prévoir autant que possible quelle sorte d'efforts on aura à fournir, il faut se rendre compte si on les a bien faits, ces efforts. Une grande sincérité est indispensable à ces examens ; cependant, ne les faisons pas trop méticuleux, ne les faisons surtout pas dans le but de devenir plus forts. Que cette pratique, comme toutes les autres, ne soit jamais qu'un moyen de mieux accomplir la volonté de Dieu.

   Sinon nous ressemblerions à un athlète dont l'unique souci serait de faire grossir ses muscles, et qui ne s'occuperait ni de sa nourriture ni de l'état de ses poumons. Dans le monde spirituel, tout retour sur soi-même est une reculade et nous forge une chaîne.

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   Voici un troisième exercice : la méditation.

   La littérature pieuse le place en tête de tous les moyens de culture psychique. Jusqu'au XVIe siècle, il n'était pas codifié. Saint Ignace de Loyola fut le premier qui en indiqua avec détail un plan systématique. Il fait surtout appel à l'imagination et à la volonté. Une autre école, celle des Franciscains, préfère se servir des puissances affectives, et sollicite notre amour envers jésus. Une troisième école, celle des Dominicains, met en œuvre, de préférence, nos ressources intellectuelles.
 

   Si on essaie de synthétiser ces méthodes, on s'aperçoit qu'elles en reviennent toutes à trois points principaux :

   Se rendre compte de ce que l'on veut faire ;
   se rendre compte de ce que l'on a fait ;
   trouver comment renouveler les forces de notre volonté.
   Les personnes à qui leurs travaux laissent libre une demi-heure le matin et une demi-heure le soir tireront de cette pratique le plus grand bénéfice, car, en somme, notre raison a besoin, comme notre corps, d'une nourriture dûment préparée. Mais il est possible d'obtenir un aussi bon résultat en confondant la méditation avec ces examens indiqués plus haut. Car, en somme, il s'agit de vivre, d'agir pour le mieux, de comprendre l'Evangile, de l'appliquer de plus en plus aisément.

   Au lieu donc d'extraire de pieux manuels, ou des textes liturgiques, ou même de l'Evangile, des passages arbitrairement choisis, il me semble préférable de s'en tenir au principal des problèmes de conduite que l'on prévoit pour la journée qui commence, et d'examiner, la journée finie, comment on l'a résolu.

   Car, si vaste que soit notre expérience intérieure, chaque jour lui apporte du nouveau. Comment donc choisir à coup sûr le sujet de ma méditation, comment savoir s'il coïncidera avec le travail que les heures prochaines vont m'apporter ? Je me connais des défauts, un vice principal ; mais, sera-ce celui-là sur lequel je décide de réfléchir qui me sera une tentation d'aujourd'hui ?

   Il me semble plus fructueux de réfléchir sur le travail du jour, sur une difficulté probable, sur une décision à prendre. Quoique, à vrai dire, chacun devrait se faire sa méthode. -Ne prenez donc tout ceci qu'à titre d'indication très générale.

    Tout d'abord, se mettre devant Dieu, source de toute force et de toute compréhension ; acte d'autant plus facile que l'on répète plus souvent, au cours de la journée, les appels à Dieu dont l'importance a été indiquée un peu plus haut. Tout chrétien sait que Dieu est omniprésent ; mais cette notion de foi intellectuelle se précise pour ceux de qui la croyance n'est pas une formule. Il arrive alors que la présence de Dieu produise un état très intime de paix, de solidité, de douceur auquel aucun autre état psychique ne peut se comparer. Et, lorsque cet état se renouvelle fréquemment, il se développe parfois ; sa paix devient de la joie, et sa douceur de la béatitude. Bien entendu, on ne doit pas se créer ces états par une auto-suggestion imaginative ; il s'ensuivrait des chutes dans l'orgueil et dans les désordres de la sensibilité. De même pour l'athlète qui travaille les mains vides, mais en s'imaginant soulever des poids progressifs : il obtient une fort belle musculation, certes, mais il obtient aussi, après quinze ou vine ans de cette pratique, une anémie nerveuse incurable.

   Je reviens à notre exercice de méditation.

   Une fois qu'on a laissé tomber ses soucis - c'est la meilleure façon de les oublier momentanément - et que l'on a ressenti la paix délicieuse de la divine présence, on appelle le Christ, notre Ami, par une phrase prononcée à mi-voix, et l'on s'énonce à soi-même son sujet de réflexion.
 

   Sur ce sujet commence maintenant le travail intellectuel qui, du concept simple, s'élève à travers le travail logique, l'association des idées, l'abstraction, jusqu'à l'enfantement d'une pensée vivante. Ici on emploiera avec fruit une recette certaine : si l'on veut acquérir une vertu ou une lumière, il faut y réfléchir constamment, la désirer constamment, l'appeler constamment. Mais, si l'on veut combattre un vice ou détruire une passion, il faut réfléchir sur la vertu ou sur l'état psychique contraire. Les imaginatifs ou les abstractifs ne procéderont pas d'une façon identique durant ce travail mental. Au reste, comme il n'y a pas de types purs, il serait plutôt nuisible de donner ici des conseils. Que chacun s'observe et s'invente sa méthode personnelle : la meilleure sera celle qui fera le plus naturellement naître l'émotion du cœur, sans laquelle la volonté reste froide et 1'œuvre sans fruit.

   Car c'est ici le point capital de la méditation : c'est de s'émouvoir. Repentir, enthousiasme, reconnaissance, tendresse, piété, sérénité, tous les sentiments nobles naîtront tour à tour et nous porteront vers la ferveur d'agir. Pardonnez-moi de le répéter encore : tous les exercices physiques, psychiques ou mentaux n'ont, quant à la vie spirituelle, d'autre but que de nous conduire vers l'action obéissante à Dieu ; et ils n'en doivent pas avoir d'autre.

   Quatrième et dernier geste de la méditation : formuler à mi-voix, et l'écrire, si cela aide davantage, ce à quoi on s'est résolu de travailler ce jour-là. Il faut une formule précise. Par exemple : quand Pierre viendra dans mon bureau, je ne m'impatienterai pas de ses erreurs. Et ainsi de suite.

   Enfin, l'on remercie le Christ et l'on va au travail.

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    Encore un avis, avant de terminer cette étude. Vous êtes aidés, aidez à votre tour. Quand on vous demande conseil, ne le refusez pas. Ne faites pas de zèle, comme on dit à la caserne ; ne vous précipitez pas pour sermonner les gens qui ne vous demandent rien, respectez la liberté d'autrui ; n'imposez pas vos vues, proposez-les simplement. Le suprême guide de tout homme de bonne volonté, c'est le Christ. Quelle que soit la confiance qu'un compagnon de route vous accorde, sachez bien que vous ne pourrez jamais que rectifier de petits détails. Réglez-vous donc sur les directions où vous verrez que Dieu incline votre camarade ; ne le contraignez point, car personne n'est identique à personne.

   Rappelez-lui seulement les maximes générales :
   Rien ne vaut que ce que l'on décide soi-même ;
   Rester dans le lieu social où le Destin nous a mis ;
   Ne pas se singulariser ;
   Tendre à faire toute chose par amour plutôt que par système ;
   Ne pas se hâter, ne pas paresser, s'appliquer à l'effort du moment ;
   S'entretenir en compagnie du Christ.

   Résumons-nous. Pour exalter la force directrice de notre vie, deux classes de méthodes : les méthodes non-chrétiennes, les méthodes chrétiennes. Parmi les premières, les plus parfaites, les plus savantes, ceux des vieux ésotérismes, les yogas indiens, les méditations chinoises. Puis les modernes, celles des moralistes laïques, comme M. Payot, qui ne dédaigne pas de faire plusieurs emprunts aux méthodes de spiritualité catholique ; celles des psychophysiologistes, comme le Dr Lévy ; celles de divers Américains, Anglais, Belge ou Français, qui ne sont que des adaptations simplistes d'un système ésotérique quelconque. Nous avons laissé tout cela : c'est du provisoire, ou de l'inachevé, ou de l'erroné.

   Parmi les méthodes catholiques, on distingue celle du Moyen âge, qui voit son épanouissement merveilleux dans l'âme du Petit Pauvre d'Assise. Elle s'adresse uniquement à la sensibilité, elle contemple uniquement la personne humaine et la vie humaine du Christ, elle sublimise la volonté par l'amour. Simultanément, voici l'école dominicaine, qui exerce surtout l'appareil mental et qui cherche dans la théologie la plus haute les arguments qui mettront en acte une volonté calme et sereine. Voici maintenant une école synthétique : celle de Loyola. Elle appelle à son secours à la fois les puissances cérébrales et les puissances émotives, elle donne des formes sensibles aux états mentaux ou psychiques ; elle fait travailler 1'ùnagination. Sa puissance éduque ces milliers de Jésuites qui, livrés à tous les ferments de distraction des affaires temporelles, gardent malgré tout leurs buts intacts et triomphent en somme des plus hostiles coalitions.

   Chacune de ces trois écoles portait dans sa force même le génie de déviations possibles. Un système intellectualiste tend à l'abstrait ; un système émotif peut dégénérer en pieuses sensibleries ; un système volitif pur peut dévier en tyrannies. Mais la puissante -vitalité du catholicisme a toujours tempéré les élans excessifs de sa sève en poussant au moment voulu des branches équilibrantes. Ainsi, le formalisme envahissant du xvIe siècle se voit réfréné par l'école austère de saint Jean de la Croix qui préconise le dépouillement complet de tout ce que le monde, extérieur et intérieur, apporte à notre conscience. En effet, plaisirs ou douleurs, amours ou haines, vérités approximatives ou erreurs partielles, tout n'est que limite et relativité; même les choses divines dont nous sommes conscients ne sont pas Dieu, puisque Dieu est toujours au-delà. Le disciple qui veut atteindre l'idéal suprême du vouloir libre ne s'unira donc à Dieu que par un renoncement innombrable et perpétuel aux fruits innombrables de tous les travaux que son obéissance à l'Evangile lui ordonnera d'entreprendre.

   Mais ceci, c'est le chemin du contrebandier ; à chaque pas, le vertige, à chaque détour, une caverne de dragons ; je ne le conseillerais à personne ; un ou deux pèlerins peut-être y passent chaque siècle, et, ceux-là, ils peuvent marcher tout seuls.

   Un autre système fleurit au commencement du xviie siècle. Il aère la discipline stricte des retraites jésuites, en revenant à la ferveur franciscaine ; c'est la méditation oratorienne du Cardinal de Bérulle. Elle est reprise, peu après, par M.Tronson, et devient la méthode sulpicienne, très complète, très détaillée, certains disent trop minutieuse ; telle quelle, on lui doit la formation robuste de tout le clergé séculier des XVIIIe et XIXe siècles.

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    Quant à moi, selon le goût que j'ai toujours eu de remonter à la source, à la parole même du Maître unique et universel, j'ai essayé de ramener vos regards vers le problème réel qui se pose devant chacun de nous.

   Nous sommes des laïques ; nous croyons que le premier devoir de tout être vivant, c'est de vivre et de faire rayonner de la vie autour de soi. Nous sommes des gens du xxe siècle, avec une famille à élever, une profession à exercer, une patrie à servir. Si l'Evangile est de Dieu, il doit contenir nos directives, d'abord, avant de donner des directives à ceux qui suivent des carrières exceptionnelles. Et, si Dieu est notre Père, nos existences toutes simples, à jour, et toutes banales, doivent contenir à leur tour le nombre suffisant de réactifs grâce auxquels se développeront nos forces intimes. Et même - car, nous le savons, Dieu ne pose pas de bornes à nos élans vers le Parfait - ces cadres communs de notre vie terrestre recèlent un bien plus grand nombre de possibilités que notre tiédeur n'en utilisera jamais. N'importe quel homme, ici-bas, le dernier valet de ferme, le dernier des manœuvres, peut, s'il le veut, trouver le long de ses jours monotones le moyen de monter jusqu'aux cimes de l'Esprit et le mérite de recevoir dès ici-bas sa Liberté.

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   Mettre en valeur les ressources de notre esprit immortel est un devoir aussi évident que de mettre en valeur les ressources innombrables de la Nature. L'instinct de la conservation, le goût de nos commodités aiguillonnent d'abord notre paresse dans l'une ou l'autre entreprise. Mais l'instinct de l'espèce nous apprend ensuite à travailler pour notre famille

   Et, peu à peu, au bout de longs siècles pour l'être social, au bout de longues expériences pour l'individu, la noblesse de travailler avec désintéressement se dégage peu à peu des brumes de l'égoïsme utilitaire. Les échecs que l'on subit dans cette voie nouvelle, lorsqu'ils ne découragent pas pour un temps la bonne volonté, poussent à concevoir l'assistance possible d'êtres surhumains, et ainsi se développe l'instinct religieux. Du polythéisme naturel, cet instinct s'affine et se purifie en atteignant le monothéisme surnaturel dont aujourd'hui on peut dire que la religion chrétienne offre le type le plus pur.

   L'âme s'ouvre alors à la conception du Dieu sauveur, du Dieu indépendant de Son œuvre et qui ne poursuit cette œuvre que pour son seul bénéfice à elle. En dépit de l'impossibilité logique, l'idée d'un Absolu crucifié dans le Relatif, tout en gardant Sa nature incommensurable, devient sensible au cœur. On accepte l'Evangile, et le Christ et la Vierge, et notre pauvre personnalité exiguë apparaît alors capable de développements infinis.

   Enfin, l'on comprend que l'expansion harmonieuse de la Vie universelle forme le milieu nécessaire à l'expansion harmonieuse de la vie individuelle ; que, pour atteindre son état parfait, celle-ci doit coopérer avec celle-là et que les deux Grands œuvres ne s'accompliront qu'avec l'Amour comme moyen, l'Amour comme mobile et l'Amour comme but. Bien des contemplatifs, depuis que le genre humain existe, sont parvenus à cette conclusion. Mais, entre tous, le vrai chrétien seul voit comment l'Amour s'est incarné sous la forme humaine de Jésus et trouve dans l'intimité spirituelle de cet Être unique, entièrement Dieu à la fois et entièrement Homme, l'exemple, c'est-à-dire le Chemin pour toutes les activités extérieures; le modèle de toutes les activités intérieures, c'est-à-dire la Vérité; la perfection perpétuelle pour tous les instants de l'existence, c'est-à-dire la Vie.

   Estimons-nous bien heureux d'avoir été élus à saisir ce mystère divinement absurde. Les bénéfices infinis que chacun de nous et tous ensemble pouvons en recevoir méritent tous nos soins, toutes nos ferveurs et toutes nos fatigues.


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