I
ANDREAS À STELLA
Tu t'es toujours montrée, ma chère Stella, comme une âme fière que n'effraient point les coups du Destin; c'est pourquoi tu seras la première à connaître celui que je viens de recevoir de ce maître du monde.
Je suis ruiné; les métaux, qui avaient eu pour mes mains jusqu'à présent quelque sympathie, ont brusquement changé de goût, et me laissent dans un dénûment à peu près complet. Tu me connais assez pour savoir que je n'irai point solliciter la compassion de mes amis, ou plutôt de mes camarades de festins.
C'est sans aucun regret que je les quitte; nous avons trop souvent remarqué ensemble leurs petitesses et leurs mesquineries pour ne pas souhaiter quelque autre décor à notre orgueil.
Ce que je regrette, ce sont les belles architectures, les pures formes de marbre, les tableaux savoureux qu'il va falloir abandonner aux hasards de la fortune, ce sont les souples tentures, les orfèvreries, les cristaux délicats, les armures héroïques qu'appellent les hasards d'une destinée d'aventures chez de riches et barbares étrangers.
Toutes ces formes magnifiques, je les aimais comme des images de mon esprit, comme des repoussoirs de ta beauté, ma chère Stella; comme des élixirs d'éternelle jeunesse pour la sensibilité de mon goût et pour les délicates émotions de nos cerveaux. Mais toute chose passe ici-bas; et si, dans la fleur de l'âge, le Destin m'a jeté parmi les pauvres hères et les vaincus, moi qui n'ai cependant jamais lutté, c'est apparemment pour quelque raison secrète et puérile, comme toutes celles qui font agir les hommes.
Peut-être vais-je passer par ce creuset terrible de la misère et de la faim pour en sortir aveuli jusqu'à la lâcheté, ivre d'orgueil solitaire ou transformé jusqu'au génie ?
Ces prévisions ne t'amusent-elles pas ?
Je vois ton beau sourire et toute l'harmonie de ton corps. Il faut aussi que je dise adieu à ce chef-d'oeuvre; ne pourrais-je le saluer encore une dernière nuit, Stella, avant de m'engloutir dans les ténèbres froides où le sort me jette.