IV
ANDREAS A STELLA
Je pressentais bien que ma curieuse amie s'intéresserait au convive silencieux de sa dernière fête ; je ne me rappelle pas sans sourire l'arrivée de Théophane dans la cohue élégante qui se pressait en ton palais. Beautés brunes et beautés blondes, dandies à la Byron, jeunes dieux en frac, grands seigneurs ruinés, ils ont tous senti la présence d'un Inconnu; les sourires ont été figés, les paradoxes expirèrent et le désir voluptueux mourut pendant une seconde, tandis que la haute taille de T héophane s'inclinait pour murmurer à ton oreille des paroles qui durent t'émouvoir. Et un bon moment, tout l'essaim de tes convives rieuses contempla en silence 1e visage, le corps, l'attitude et les manières du nouvel arrivé; puis, elles se communiquèrent en chuchotant les résultats de leur examen. « Il a l'air d'un athlète », dit la première. « Il ressemble, dit l'autre, qui se pique d'érudition, au bas relief assyrien du Louvre, où l'on voit un homme qui tient sous son bras un lion. » « C'est un vieux, » s'exclama la troisième. « Il a le mauvais il, » frissonna une Italienne. « Il m'a touchée en passant »,
avoua une blonde rougissante, tandis que ma chère Stella reprenait, comme par la vertu d'un phîltre puissant, plus de splendeur, de rayonnement et de charme qu'elle n'en avait jamais possédé.
Tu veux revoir Théophane, ma pauvre amie, et tu crois ne céder qu'à la puérile curiosité que l'on a pour une bohémienne étrange; l'astrologie, la chiromancie sont de fort belles sciences, certes, et il y est, paraît-il, fort expert ; mais prends garde; si tu connaissais à quelles douleurs tu cours, à quelles fatigues tu te voues, à quelles humiliations tu souscris, l'obscur désir qui se lève en toi, la pâle, lueur de ta secrète intuition s'enfuiraient épouvantés de la hardiesse de leur projet. Ah 1 que ne restes-tu dans la sphère brillante où le Sort t'a placée; chercheuse téméraire, comment pourras-tu vivre dans la solitude et dans la douleur? Car tu vas l'aimer, cet homme dont tu es curieuse; tu vas être initiée aux secrets du cur ; et tu achèteras ces secrets de. toute. ta, beauté, de ton sang, de ta vie même. Pauvre Stella ! tu vas, en me lisant, me croire jaloux ; ce n'est pas ton corps qu'il va prendre, il n'inventera pour toi ni caresses nouvelles, ni mots d'une surhumaine tendresse; malheur à toi s'il ne t'aime pas, mais encore plus malheur s'il t'aime; son amour est un feu dévorant; tu souffriras par lui toutes les agonies; c'est, du moins ils le disent là-bas, dans les cryptes secrètes, la seule voie qui s'ouvre à la femme pour arriver à la Voie.
Chère Stella, sur qui je vais pleurer, tu verras Théophane et il te parlera sans doute. Adieu, cette fois, pour longtemps.