n ° 183 - Juillet 1995

L'esprit de l'Evangile

    Si nous essayons de lire un exemplaire du Nouveau Testament dans le même esprit de simplicité qui présida à sa rédaction, oubliant un instant l'artificiel de notre civilisation, l'épisodique de nos moeurs, le transitoire de notre cérébralité, nous pourrons plus aisément en dégager l'essentiel. Cet essentiel, condensé en quelques exemples pratiques, rehaussés, ça et là, de brefs mais suffisants commentaires, recèle, à notre avis, les plus lumineux enseignements et les plus hautes raisons de croire, d'agir et d'espérer.

    Pour les théoriciens, ces citoyens « d'un monde où l'action n'est pas la soeur du rêve », l'Evangile est, au contraire, soit l'expression ou l'affabulation d'un idéal inaccessible, soit un prétexte à disputes, à gloses, où les brillantes assertions des uns heurtent les définitives opinions des autres, sans que la Vérité surgisse jamais du monceau de thèses contradictoires.

    Beaucoup oublient trop volontiers que la vérité n'est pas une vue de l'intellect, mais qu'elle est la Vie dans sa réalité essentielle, qu'elle ne dépend ni de la mémoire, ni des facultés rationnelles et que le cerveau ne se l'assimile que dans la mesure où le coeur la vit, où les bras la réalisent.

    C'est pourquoi, Jésus a dit : « Je suis la Voie, la Vie, la Vérité », confondant en un seul acte supra-intellectuel l'Action, l'Etre et le Savoir. En effet, le coeur, foyer animique de l'être, en est aussi la pierre angulaire. L'esthétique et la métaphysique sont secondaires : l'éthique seule est essentielle, car elle seule peut servir de règle à l'action. Le seul moyen de perfectionnement humain est donc d'ordre moral, le seul progrès réel est le progrès moral et les seuls problèmes de morale que nous ayons à résoudre chaque jour sont des problèmes de morale pratique. C'est ainsi qu'une civilisation se situe spirituellement par la morale pratique qui en est le fruit et non par le confort qu'elle octroie. C'est pourquoi l'Evangile nous offre en premier lieu une éthique. C'est donc du seul point de vue moral que nous essaierons d'en souligner les directives les plus générales, celles que tout coeur sincère peut y retrouver, sans nous embarrasser du fatras dogmatique surajouté au cours des âges. C'est assez dire que nous nous adressons avant tout aux chrétiens de fait ou d'intentions, quelles que soient par ailleurs leurs étiquettes sociales ou mentales. Ceux qui n'ont pas encore éveillé en eux « la prescience du Divin » et qu'émeut seulement « l'anecdotique » de l'Evangile et la poésie superficielle du décor qu'il évoque, peuvent l'avoir lu et relu : il leur demeurera indéchiffrable jusqu'à l'heure où Celui qui guérit les aveugles guérira aussi leur cécité spirituelle.

    L'évangile, renfermant seul les principes de l'éthique chrétienne, ne peut être pour un penseur qu'une confrontation de ses activités avec l'idéal moral dont le type est conçu par lui comme le bien absolu : son Père céleste essence même du bien dont le Fils est l'acte.

    La clef de voûte de cette éthique c'est : « Aime ton prochain comme toi-même pour l'amour de Dieu ».


    Ce qui différencie l'Evangile des codes religieux qui le précédèrent et lui confère sa valeur primordiale, c'est d'abord l'affirmation formelle de la divinité de Jésus, fils unique de Dieu, Dieu lui-même incarné pour sauver l'homme déchu ; ensuite une morale qui, basée sur cette affirmation formidable, trace « aux hommes de bonne volonté », la voie qu'ils doivent suivre pour rencontrer Celui qui les libérera à jamais des chaînes de la matière ; enfin, l'affirmation d'un retour public de Jésus (non d'une réincarnation) coïncidant avec la phase suprême, pour notre terre du vieux conflit entre les Puissances du Ciel et de l'enfer. Il se déduit aisément de ceci qu'un chrétien basera sa conduite sur ces affirmations fondamentales, modèlera sa vie sur celle de son Maître, et dirigera ses actions selon les normes de l'idéal évangélique.

    Ce n'est donc ni aux théories ingénieuses, ni aux dissertations subtiles que nous pourrons reconnaître le disciple, mais aux oeuvres de sa foi vivante, à son humilité, à sa charité et à la pratique ferme et constante des plus obscurs devoirs. Tels sont les fruits auxquels nous reconnaîtrons l'arbre.

    Il est évident que l'Esprit qui incite l'homme à se révolter contre son destin, à négliger ses devoirs ordinaires, sous le séduisant prétexte d'en assumer de plus difficiles, à dérober par tous les moyens les fruits de l'Arbre de la Science, à mettre son orgueil sur un trône et à dresser un autel à son  « Moi » transcendant, cet esprit ne peut être que l'Esprit de perversité, même s'il essaie de singer l'Esprit de sainteté, car « Satan même peut se métamorphoser en ange de lumière ».