Avertissement liminaire Il convient dabord de dissiper toute équivoque : les considérations quon propose ici sont nettement paralinguistiques : Il ne sagit nullement détymologie, soit profane, soit prétendument ésotérique. Si « ésotérisme » il y a, celui-ci sapparenterait aux jeux et logogriphes de la Kabbale, - passionnante gymnastique intellectuelle, - reposant, comme ceux-ci, sur des allusions et des rencontres de vocables intentionnelles, dont on tient à souligner larbitraire au regard de la docte science du langage. Cest même cet arbitraire qui importe !
LE BOURDON Le bourdon et la mérelle (ou marelle) étaient les attributs pour ainsi dire rituels du pèlerin dautrefois qui, en accomplissant un voeu, se rendait, par petites étapes, à quelque sanctuaire, en particulier à Saint-Jacques de Compostelle, que les anciens alchimistes eurent toujours en grande dévotion. Dans liconographie chrétienne, le bourdon est un attribut assez constant de Saint-Jacques et de Saint Roch. Ce nest point faire tort à ces deux vénérables figures que remarquer, en passant, que Jacques est un diminutif de Jacob, ce qui nous remet en mémoire certain épisode de lAncien Testament, reproduit dans le Frontispice du célèbre Mutus Liber, Jacob sest endormi, la tête sur une Pierre et fait le songe quon connaît : une échelle dont le sommet se perdait dans les cieux et où montaient et descendaient sans cesse les anges de lEternel ! Sans poursuivre ces rapprochements, je rappellerai que le nom de Saint-Roch peut, lui aussi, se traduire par « pierre ». Il nest nul besoin de ramener ce saint à létat mythique ou de contester sa vie miraculeuse pour admettre que la concordance dun de ses attributs avec lun de ceux de Saint-Jacques puisse être le fait dun choix plutôt que celui du hasard. Jajouterai à ces présomptions que lEglise célèbre Saint-Roch au lendemain de lAssomption de la Vierge, le 16 août, et que ce saint, invoqué comme guérisseur, aurait arraché nombre de pestiférés à une mort imminente par la vertu du signe de la Croix. Or, la correspondance physique de lAssomption de la Vierge est la sublimation de la Pierre. Est-il besoin de rappeler que la croix est le symbole graphique du « creuset » ? A qui me reprocherai dentendre au matériel un mystère de la Foi, je répondrai en le renvoyant au symbole de lEchelle de Jacob : rien nest dans le Ciel qui nait sa correspondance sur la terre, en passant par une infinité déchelons intermédiaires ! Pour en revenir au bourdon, sil est peu concluant de noter que dans certaines campagnes la guimauve est nommée « bourdon de Saint Jacques », il est plus intéressant de se souvenir que le Chemin de Saint-Jacques désigne la Voie lactée. Le peuple ninvente rien, mais il sentend merveilleusement à déformer et à matérialiser les enseignements sacerdotaux quil reçut de tous temps. La Voie lactée, qui figurait dans les mystères orphiques, dont un des mots de passe était : « chevreau, je suis tombé dans le lait » avait une certaine importance hermétique, et Cyliani, dans Hermès La Voie lactée et lOurse ! Nous ne sortons pas de la saine tradition hermétique, et ce nest pas au hasard que ladepte Cyliani les associe dans son songe, assez révélateur. Eugène Canseliet a dailleurs traité de lOurse, avec sa compétence, dans Deux Logis alchimiques. Parmi les cartouches et emblèmes de Camillo Camilli, gravés par Girolamo Porro (Venise, 1586), dun hermétisme criant, il en est un qui résume admirablement ce qui précède : Quittant son rocher, un aigle, ailes éployées, sélève vers une ourse, planant sur une nuée. Devise : « Et solo altro non haggio ». Jajouterai, - et ceci nous éloignera peu de notre sujet, - que la lance à forte poignée avec laquelle les champions saffrontaient dans les tournois sappelait également un bourdon. La lance et son légendier ouvrent un champ si vaste à lexégèse, que mieux vaut sabstenir de le fouler présentement, sous peine de nen pas sortir de si tôt ! Autre rapprochement, quon peut tenir pour fortuit : « bourdon » et « coquille » désignent dans largot typographique les fautes à corriger. Ce qui me remet en mémoire que le mot « bourde » signifie proprement : « conte inventé pour donner le change à autrui, mystification ». Que ce même mot ait anciennement désigné un sel de soude, le « nitre », natron ou « Salnitter », est sans explication comme sans étymologie, mais nest peut-être pas sans intérêt pour le chercheur.
LA MERELLE
La mérelle ou coquille nest non plus indigne de quelque exégèse. La coquille nest pas seulement un « cochet », mais le contenant étant pris pour le contenu, un « poulet », désagréable surprise des ufs incubés. Inutile dépiloguer sur le fait que le vase de luvre (pris au sens restreint instrumental) était souvent nommé « uf philosophique » pour plus dune raison, dont la forme ovoïde du vase matériel nest sans doute quune des moindres. Quon me passe ici une digression. Autrefois, les pèlerins qui se rendaient à Saint- Jacques de Compostelle, nantis des symboliques coquilles, les laissaient au terme de leur voyage et sen procuraient dautres in situ, quils rapportaient, fixées à leur chapeau. Il est bien dommage quon ne sache pas si la coquille du retour était ou non agrémentée dune perle ! Quoi quil en soit, une coutume analogue existait chez ceux qui prenaient par au pèlerinage du Mont Saint-Michel, sous linvocation de lArchange dont la lance (on se retient décrire « le bourdon » ou lépée transperça le Dragon, image dont les hermétistes usèrent plutôt largement. Sans mattarder, je rappellerai quune coquille était aussi une pièce de fonte incurvée où était placée une grille sur des charbons ardents, pour la cuisson des volatiles. On nomme encore, assez indifféremment, coque, coquille ou grille, un ustensile analogue qui permet de faire un feu de charbons dans une cheminée à bois. Ce qui permet un rapprochement avec une gravure hermétique bien connue, où Bacon, « le Philosophe occidental », fait griller une tortue (animal consacré à Hermès, comme le coq, et écailleux, comme le dragon, le serpent ou le poisson, qui sont souvent substitués lun à lautre dans liconographie hermétique et dans le langage convenu des alchimistes). Cette tortue, notre philosophe larrose à satiété du jus dune grappe ou, si lon préfère, du vin philosophique, contenant son « esprit » ou « alcool », quil serait peu rentable de confondre avec celui du commerce. Dans un angle de la même gravure, reparaît notre tortue, vivement saisie sur un gril engagé dans le foyer dun fourneau. Evidemment, la « grille » ou le « gril » évoque le décryptement dont sont susceptibles certains passages dauteurs de la bonne époque. Mais, ici, cest, si jose dire, dans le style direct quil convient dinterpréter la figuration. Mais lautre nom de la coquille nest pas moins intéressant par les rapprochements quil suggère. Marelle ou Mérelle vient du vieux français méreau « jeton », « palet », dont létymologie est controversée. Le jeton, qui a donné son nom au jeu, peut être éventuellement une coquille, une Du point de vue qui nous occupe, lon peut reconnaître le ternaire des principes (soufre, sel et mercure) suivi du quaternaire des éléments séparés par la croix (crucibulum, « creuset »). Ici, se présentent deux voies, la voie malencontreuse à gauche et la voie profitable à droite. Ainsi, le gagnant, le « méritant », sil a bien manoeuvré son palet, accède-t-il au « ciel ». Je ne sais sil est bien utile pour mon sujet de rapporter ici que la lune est en rapport avec l Amrita dans la symbolique orientale. Certaines traditions nous disent aussi que les âmes bienheureuses sélèvent vers les « prairies dasphodèles » au temps de la pleine lune, tandis que les âmes réprouvées sengouffrent dans lErèbe, lors des néoménies ou des éclipses. Pour revenir à lalchimie, je dirai que notre marelle nest pas sans rappeler le labyrinthe, non celui de Crète, mais celui qui figurait souvent sur le dallage des églises, labyrinthe appelé tantôt « plan du temple de Salomon », tantôt « chemin de Saint- Jacques » (ou « de Jérusalem »). Son parcours exigu était censé remplacer le pèlerinage aux lieux saints susnommés, pour ceux qui ne pouvaient laccomplir, « en corps ». On sait avec quelle abondance ce schéma était reproduit dans les planches des ouvrages hermétiques, où il figure les dangers et les pièges des délicates réitérations au cours de luvre. Sans doute, linquisiteur de science, parfois trop pressé de passer de la théorie à la pratique, songe-t-il à entreprendre, nanti du bourdon et de la coquille symbolique, un voyage vers Santiago du Compôt stellé, sans quitter ses pénates. Soit !... |