Année 1974 n ° 4

Le vase, la coupe et le cœur

« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à Moi et qu’il boive ». (Jean, 7, 37).


 

        L’assimilation symbolique du cœur au vase et à la coupe remonte fort loin dans le passé. Déjà, dans la plus ancienne Egypte, le vase AB est l’hiéroglyphe du cœur. Dans le druidisme, existait aussi quelque chose de tel et la coupe présentée par la jeune fille à celui qu’elle avait choisi, lors du repas de fiançailles, signifiait très clairement le don de son cœur.
 
  Un autre équivalent du cœur, c’était la lampe antique, la lampe à huile, dont il est inutile d’étudier pour l’instant le symbolisme, mais qui se présente en tous cas avec ce caractère dans la parabole des vierges sages et des vierges folles.

    Un des aspects du Graal (car il en est bien d’autres), qui a au moins le mérite d’être aisément accessible, c’est donc le cœur humain.

    Dans les récits où le Graal joue un rôle, un triple procès d’alchimie est décrit assez clairement : alchimie spirituelle, alchimie psychique, alchimie matérielle, où le vase est l’« aimant des sages », la Magnésie catholique, si bien décrite dans Klunrath.
 
  Le cœur humain est donc un Graal... généralement vide, à moins qu’il ne soit rempli d’immondices.
    Et c’est le Christ qui verse dans ce vase vide l’Eau de la Vie éternelle, qui, à son heure se transformera en Vin. Le Vin de l’Esprit.

    Tous ces processus transsubstantiateurs sont décrits dans les Evangiles, et comme le plus savant commentaire ne vaut pas le texte nu, je rappellerai ici quelques passages qui se complètent et s’expliquent l’un, l’autre :

    Ce sont d’abord deux versets du chap.7 de Saint Jean :

    « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à Moi, et qu’il boive ».
    « Celui qui croit en Moi, des fleuves d’Eau vive couleront en son sein ».

    N’est-il pas écrit ailleurs que l’homme bon tire toujours de nouvelles choses du trésor de son cœur, que, là où est son cœur, là est son trésor, et enfin, cette déclaration révélatrice : « Un seul est bon ! ».

    Oui, Un seul est bon. Et l’homme « bon » n’est tel que parce qu’il a ouvert son cœur à la Source de tout bien, et qu’elle s’épanche, à travers lui, sur la foule des créatures.
    Un homme bon, quelles que puissent être ses oeuvres apparentes, s’il se glorifiait de sa bonté et la croyait sienne, cesserait à l’instant d’être bon, car son cœur se serait donné à l’Adversaire. Le disciple véritable de Jésus rayonne une Lumière, mais cette Lumière, c’est celle de son Maître. La lumière froide que rayonne l’orgueilleux est aussi, quoiqu’il s’en attribue la possession, celle de son Maître : Lucifer.
    Nul ne peut servir deux maîtres !
 
  On sait que le Graal, la coupe sainte de la Cène, est dit avoir recueilli le sang du Christ crucifié. C’est là un thème assez développé dans l’iconographie chrétienne. C’est, en somme, le thème du rachat de l’homme, de la revivification de son cœur par le sang jailli du cœur divin.

    « Je suis la Résurrection et la Vie », s’écrie Jésus, et « celui qui croit en Moi vivra éternellement ».

    Il ajoute d’ailleurs que l’homme doit renaître « d’Eau et d’Esprit ».
    Il est bon de noter cette double condition. Il y a là une clé qui ouvre bien des portes. Et deux récits évangéliques : la rencontre avec la Samaritaine et le miracle des noces de Cana, sont en étroite connexion avec l’Eau et l’Esprit dont il a été question plus haut.

    Je ne pousserai pas plus loin le symbolisme ; chacun, selon ses travaux particuliers, sera en état de tirer de ce qui précède les applications qui transparaissaient déjà suffisamment.

    Parmi les plus anciennes figurations du cœur symbolique, reproduites dans Le Rayonnement Intellectuel (Octobre-Décembre 1938, p. 122), figure un emblème qui résume à merveille, dans son apparente simplicité, ce qu’on pourrait nommer le « Grand Arcane » du Christianisme, si l’on avait pas un peu abusé, depuis Eliphas Lévi, de ce terme pompeux :
    Dans un médaillon en forme de cœur, s’inscrit un Chrisme, flanqué de deux grappes de raisin disposées dans les deux oreillettes.

    C’est le symbole même du vrai chrétien, du Christophore authentique, de celui qui est né d’« eau » d’abord, d’ « Esprit », ensuite : de celui qui a d’abord rencontré son Maître comme la Samaritaine et qui a reçu l’eau qui « deviendra une source jaillissante jusque dans la Vie éternelle » (Jean, 4, 13) : de celui qui a bu enfin de cette eau en « vin » spirituel, réalité transcendante dont le miracle de Cana est l’expression exacte, mais contingente.