LALCHIMIE, ART DE LA REDEMPTION
Article paru dans "Le Charivari"n°16, de mai - juin - juillet 1972
- Dire exactement ce quest lAlchimie vraie nest pas si facile !... Pour bien des chercheurs modernes, dautre part, l'essentiel de l'alchimie se résume en une ou des "techniques" ; retrouver ces techniques serait enfin mettre la main sur la clé authentique du sanctuaire. Sur la nature même, essentielle, de lalchimie, dautres se font une idée erronée. Tels ceux qui se la représentent comme une branche du tantrisme ou ceux encore qui la confondent avec la magie. C'est pourquoi l'alchimie trouve sa forme la plus achevée chez les adeptes appartenant à l'une des traditions qui signalent, à lorigine de notre accès en ce Cette chute qui fit de l'homme et de la matière de notre monde ce que nous en connaissons actuellement, je n'ignore pas que le mazdéisme ancien y fait allusion, que l'ancienne Egypte ne l'ignorait pas, que les druides la professaient ; ces traditions n'en extériorisaient pas la connaissance, car elle touchait, comme Fabre d'Olivet l'a signalé, au redoutable problème du mal, qu'il était interdit de discuter en public. L'orphisme a également laissé sur la chute des mythes révélateurs, celui de Déméter et de Proserpine et celui aussi de Prométhée. Mais l'explication en était réservée aux mystes d'un certain grade et les initiés ont fidèlement tenu leur serment de silence. J'ai dit que la sagesse égyptienne n'ignorait pas ce grand drame de la chute adamique et, par voie de conséquence, que l'alchimie lui était familière. Par l'intermédiaire de Moïse, elle transmit ces enseignements aux Hébreux et, ultérieurement, aux Arabes par l'intermédiaire copte. Cette réincrudation, cette régénération - de quelque nom qu'on la baptise, - se poursuit et se poursuivra à travers tous les états de ce que nous appelons matière, des plus subtils aux plus grossiers et à travers toutes les formes que prennent et prendront les créatures entraînées dans la chute de l'homme universel, des vibrions aux planètes, des élémentals aux génies cosmiques. En saisir les processus les plus accessibles à l'entendement de l'homme terrestre, intervenir sur eux consciemment en les hâtant et en écartant les obstacles qui les entravent, c'est tout le programme de l'alchimie essentielle, qu'on peut envisager, de notre point de vue, sous deux aspects complémentaires : un travail de purification que celui qui prétend au beau titre d'alchimiste doit opérer sur soi-même ; et une application charitable des principes de ce même travail à l'extérieur, afin de coopérer à la réintégration finale et d'en hâter le terme.
L'une de ces applications de l'alchimie principielle, celle à dire vrai dont l'éclat doré a masqué la lumière des autres, c'est l'alchimie métallique : guérir ce que les vieux Maîtres appelaient la "lèpre des métaux", après avoir guéri d'abord sa propre lèpre, sa propre cécité, voilà le programme de l'alchimie dans son application la plus connue. Mais la cupidité humaine a centré ses désirs impurs autour de cette uvre de purification, à tel point que peu à peu, alchimiste est devenu synonyme de "faiseur d'or". L'homme terrestre, non régénéré, qui s'est tissé un cocon mental, astral et physique qui ne laisse plus filtrer, comme le dit Saint Jean, "la Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde" est, de ce fait, inapte à comprendre le vrai sens de l'alchimie : il cherche des formules, des "trucs", des "tours de main", s'imaginant que toute l'alchimie réside en quelque description de laboratoire. Il cherche, surtout, tant qu'il n'est pas éclairé d'en Haut, la richesse, la puissance et la longévité ; il rêve de continuer à régner dans les ténèbres et non de servir dans la lumière. Par contre, être Rose-Croix implique nécessairement qu'on ait entrepris et réalisé l'Ergon, le dur et quotidien travail sur soi-même, le véritable uvre du Phénix, qui doit donner le coup de grâce au vieil Adam ou, pour employer une autre terminologie, à l'homme du Torrent. Poursuivre d'abord le mirage doré de la transmutation métallique, c'est mettre la charrue avant les bufs ; c'est vouloir faire produire des fruits à un arbre mort ou, si l'on préfère, faire produire des fruits savoureux à un sauvageon non greffé. Ainsi toutes les opérations décrites par les vrais alchimistes doivent-elles s'entendre simultanément au physique et au spirituel, l'un n'excluant nullement l'autre. Pour une telle transformation, un agent dynamique et mystérieux, qui reçut bien des noms, est indispensable, c'est même sa connaissance et son emploi judicieux qui sont requis absolument pour toute opération réellement alchimique. En ce qui concerne l'alchimie spirituelle, il n'y a aucun inconvénient à le nommer : là, cet agent est l'Amour et sa source intarissable est le Verbe, dans sa fonction de Rédempteur, il en va autrement s'il s'agit d'alchimie métallique. En ce domaine, les alchimistes sont excessivement discret. Aucune des énergies utilisées par les chimistes (y compris l'énergie nucléaire) ne peut lui être substituée. Je dirai seulement que son utilisation aboutit à une résurrection, à une "nouvelle naissance" dans l'ordre minéral ou dans l'ordre physiologique. J'ajouterai que le moindre laboratoire de chimie fourmille d'instruments compliqués et coûteux et regorge d'innombrables produits. Il faut avoir franchi le seuil d'un laboratoire alchimique pour savourer pleinement le contraste : quelques récipients et instruments très simples, un modeste fourneau pour la coction et une douzaine de corps minéraux. Comme l'a écrit le grand alchimiste et mystique chrétien d'Eckhartshausen: "avec les moyens les plus simples peuvent être provoquées les réalisations les plus admirables".
Ainsi, en négligeant les détails, je pourrais donner une définition générale de l'alchimie, telle qu'elle résulte de la lecture des classiques en cet art, Basile Valentin, Jacob Boehme, Nicolas Valois, pour ne pas citer de noms trop récents : elle est l'art d'effacer les conséquences de la Chute adamique, tant dans le microcosme que dans le macrocosme, tant au spirituel qu'au matériel. Il est évident que cette définition ne vaut, strictement, que pour l'occident, où la voie résumée par le mot alchimie s'est codifiée, orientée, précisée dans une direction spéciale, si bien qu'on peut entendre ailleurs, sous ce même vocable d'alchimie ou d'hermétisme, des doctrines et des pratiques distinctes. Dautre part, des procédés hindous parallèles constituent lune des nombreuses formes du Yoga. Nous sommes toujours assez loin de lalchimie traditionnelle. Il sagit, en gros, de rétention et de circulation du souffle et de son contenu interne : le Prâna. On peut aussi comparer lEau et le feu de certains traités orientaux avec les éléments portant les mêmes noms dans les livres occidentaux : il ny faut quun peu dingéniosité et de penchant pour le synchrétisme ! Lalchimie traditionnelle ne peut se confondre avec des Voies qui appartiennent à un domaine différent, et qui peuvent mener celui qui veut les suivre sans préparation et sans un guide expérimenté à la consomption et à la folie, érotique ou non. Les procédés du magnétisme personnel sont également inopérants : plus dun étudiant en a fait la décevante expérience, après avoir cru trouver le mot de lénigmatique alchimique dans la transfusion dune portion de sa propre vitalité dans le vase hermétique. Outre quelle est inefficace, une telle technique ne va pas sans dangers. Et je noserais affirmer quelle na pas regrettablement contribué à hâter la fin dAlbert poisson qui lutilisait. Dailleurs lalchimie, même opérative, déborde la cadre du règne minéral. Jen prendrai pour exemple le « remède universel » des druides, à la fois Panacée et Elixir du Savoir, prototype du Sôma de lInde, tiré alchimiquement du gui du chêne, au moyen de lagent secret dont jai déjà parlé. Energie plus haute Ainsi, en alchimie, comme en bien dautres domaines, il y a davantage dappelés que délus. Gare aux fausses vocations ! ... Tel se croit alchimiste, en toute bonne foi, qui risque de terminer sa vie dans la peau dun simple « souffleur ». Ce que les Anciens résumaient dans cet aphorisme : « Tout bois nest pas bon pour faire un Hermès ». Aphorisme à double entente, dailleurs, puisquil fait allusion au choix difficile du Subjectum artis. Précisons maintenant quelque peu le Granduvre métallique, puisque jai assez parlé de lautre, le GrandOeuvre spirituel. Il consiste à ramener un métal ou un sel métallique à un état non différencié, ce qui est proprement une dé-spécification du corps, au moyen d'une énergie plus haute, plus universelle que celles qu'emploie la chimie moderne. Devenu un accumulateur de ladite énergie le corps en question, ses éléments corruptibles éliminés, est ensuite orienté vers une re-spécification autre (en général celle de l'or) et peut communiquer cette spécification ou "teinture" à d'autres corps métalliques mis en fusion. Si l'on arrête l'opération à un certain stade, non opératoire, ce même corps fournit à l'adepte la fameuse "Médecine universelle" ou "Panacée", qui, infusant cette énergie à des organismes débilités, les revitalise tout en les désintoxiquant. Un troisième emploi de ce corps constitue ce que l'on a appelé l'Elixir des Rose-Croix, donnant aux sens psychiques de l'homme une pénétration particulière. Sur ses effets, ses avantages et ses dangers, Sir Bulwer Lytton a écrit dans son Zanoni des pages décisives. Mais c'est ici le pont qui pourrait relier l'alchimie à la magie - et l'on me permettra de n'en pas dire davantage. |