POEMES DEDICACES

DÉDICACÉS
 

ADIEU

A Max Camis.

Science et sagesse,
Mes vieilles amours,
Science et sagesse,
Adieu pour toujours !

Aimer et souffrir,
Souffrir sans regrets,
Aimer, mais agir,
C'est le grand secret.

Sagaces vieillards,
Maîtres d'autrefois,
Sagaces vieillards,
Arches de la Loi,

Maîtres vénérés,
Pèlerins sublimes,
Maîtres vénérés,
Voici l'heure ultime.

Science et sagesse.
Mes vieilles amours,
Science et sagesse,
Adieu pour toujours !

La science humaine
Devant la douleur,
La science vaine
Est lourde à mon coeur ;

Vaine est la sagesse
Qui ne peut guérir :
L'humaine détresse
Ne sait que gémir !

Aimer et souffrir,
Mais sans nul regret,
Aimer, puis agir,
C'est le grand secret ;

Aimer, pardonner,
Subir et prier,
Donner, se donner,
Et puis oublier.

La sagesse cherche
Le baume rêvé,
La sagesse cherche...
L'amour a trouvé !

La seule vertu,
L'unique clarté,
La seule vertu,
C'est la charité !

Science et sagesse,
- Oh ! les deux soeurs folles ! -
Science et sagesse,
Mes vieilles idoles ;

Oh ! les deux soeurs folles,
Mes amours d'antan,
Mes vieilles idoles :
Adieu, maintenant !

L'unique vertu,
La seule clarté,
L'unique vertu,
C'est la charité !


 





Ce voile...
 

Ce voile chatoyant de vos mythologies,
Gardiens du mystère éternel,
Défend tous les secrets de la Terre et du Ciel
Contre le vain orgueil et l'impure magie.
Sages au verbe d'or, vers vous se réfugie
L'âme dont les remords se sont faits repentirs
Et que tourmente enfin la seule nostalgie
De renoncer et de servir,

Si vous avez masqué l'Arcane de la Vie,
Gardiens du mystère éternel,
Du voile chatoyant de vos mythologies
Contre le vain orgueil et l'impure magie,
Au seuil du temple clos puissiez-vous accueillir

Celui dont les remords se sont faits repentirs.
Ah ! daignez soulever, pour cette âme assagie,
Eprise seulement de l'oeuvre essentiel,
Gardiens du mystère éternel,
Ce voile !
 



 
 
Chanson de la plus haute cime
 

Sur l'arbre le plus haut du bois,
Deux oiseaux chantent leurs amours :
Chantent pour toi, chantent pour moi,
Chantent, depuis l'aube du jour.

Deux oiseaux chantent dans le bois ;
Sois attentif à leur langage
Où vibre un écho d'autrefois,
- Un écho du divin message.

La voix des oiseaux merveilleux
Chante ta fortune et la mienne :
Las ! combien sont-ils, sous les cieux,
Qui l'entendent et la comprennent ?...

Ecoutons la chanson mystique,
- éclose au tréfonds de nos coeurs, -
De l'Espoir qui jamais n'abdique,
De l'Amour qui jamais ne meurt.

Trop haut pour qu'un vulgaire émoi
Se mêle à leur concert sublime,
Deux oiseaux chantent dans le bois,
- Chantent, sur la plus haute cime !
 
 



 

CONSEILS
   

I

Si ton coeur souffre trop de sa vieille blessure
Et si le cher regret des gais hiers t'oppresse,
Oublie un peu ta peine et songe à la détresse
Des errants, égarés sur les routes mal sûres.

Penche-toi sur les inconnus qui vont, sans guide,
Glissant et trébuchant par les routes obscures,
D'un à l'autre fossé, d'une à l'autre torture,
Fouillant d'un regard fixe et fiévreux le ciel vide.

Contemple la souffrance anonyme des foules,
Abandonne ton " moi ", songe aux " ils " innombrables,
A l'énorme troupeau des hommes misérables
Que le Destin, pour ses vendanges, presse et foule.

Echo multiplié des plaintes de ton coeur,
Entends les longs sanglots éperdus, qui s'élèvent
Du peuple piétiné, dont la vieille rancoeur
Un jour explosera comme un volcan qui crève.

Quel que soit son passé, quel que soit son Credo,
Tend la main fraternelle au vaincu qui défaille :
Console sa douleur, allège son fardeau,
Puis poursuis ton chemin sans bruit, vaille que vaille !
 

II
 

Sois le bon pèlerin paisible du vieux temps,
Portant sac et besace, à défaut d'escarcelle,
Et dont le bon vouloir ne trouve rebutants
Ni la sente escarpée, aux flancs des coteaux gris,
Ni l'indicible soif, qui parfois le harcèle,
Ni le don dédaigneux, ni l'évident mépris.

Sois ce bon voyageur, qui s'attarde en forêt,
Pour écouter, parfois, au lointain des taillis,
Les cors, sonnant d'accord un mourant hallali,
Les oracles d'antan susurrer dans les chênes,
Et le gnome, à coups sourds, creuser en grand secret
Son palais souterrain d'agate et d'obsidienne.
Suis le bon voyageur de l'un et l'autre monde,
Le chemineau rêveur aux regards ingénus,
Musant en tous sentiers, en quête d'imprévu,
Et qui songe parfois, la nuit, au long des berges,
A la problématique aubaine d'une auberge
Où reposer, un temps, sa tête vagabonde. .

Sois le bon juif-errant, familier du bois sombre,
Le passant ignoré, qui s'enfonce dans l'ombrc
Apaisante des nuits, sans songer au matin,
Vivant intensément son rêve d'aventure,

Et qui s'en va, joyeux, pansant toute blessure.
Frère, suis donc, oh ! suis le bon Samaritain !...
 

III

Que ton coeur soit ce lac aux ondes transparentes,
Reflétant tout l'azur en son miroir tranquille...
Vois !... Que la libellule aux grâces nonchalantes
L'effleure en ses détours, que la brise indocile
Ride le pur miroir où riait tout le ciel,
Et tu n'aperçois plus, fantômes irréels,
Qu'astres déchiquetés trouant un clair obscur
Où flottent, çà et là, quelques lambeaux d'azur !

Fais de ton coeur ce lac aux ondes virginales ;
Que nulle passion ne le puisse altérer
Si tu veux réfléchir, sans la défigurer,
La vivante splendeur des sphères idéales...

Que ton coeur soit ce lac où frémit tout le soir,
Où tremble tout le ciel, où sourit tout l'espoir !
 

IV

Bien avant, bien avant d'agir ou de parler,
Recueille-toi longtemps, ami, pour contempler
Ton but et pour prier, de ton mieux, en silence,
L'Esprit de vérité, de force et de science.

Fais taire, alors, les voix de la chair et du sang,
Pour entendre la voix de Celui qui descend
Dans l'âme du disciple, en terrestre agonie,
Pour la ressusciter à sa gloire infinie ;
Mais ne te méprends pas ; avant de recueillir
La mystique moisson, épure tes désirs,
Sublime tes élans, demeure humble et sincère
Si tu veux que le Ciel entende ta prière.

Laisse les faux savants, laisse les mauvais guides
Sur le rocher d'orgueil dresser leurs tours d'ivoire :
Tu ne t'exileras vers nulle Thébaïde ;
La coupe d'amertume est pleine, il faut la boire !

Si tu ne descends pas, toi-même, vers tes frères,
Comment le Dieu d'amour descendrait-il vers toi ?
Les dédains, le mépris, les affronts, la colère,
Ne rebutent que ceux dont chancelle la foi !

Mais si le cri d'appel de l'antique exilé,
Si sa détresse, en toi, n'éveillent nul écho,
Si ton coeur est un roc et ton âme un tombeau,
Somnole encore un temps... Tu n'es pas appelé !




COSMOPÉE

I

Chute de l'homme lâche au sein des éléments :
Rébellion des légions archangéliques,
Le vieux Chaos en rut et la terre en tourment,
Nos coeurs voués à des désastres identiques !
Sous de mêmes soleils et de semblables cieux,
Des peuples d'astres noirs râlent leurs agonies,
Et de mêmes désirs et de semblables voeux
Tourbillonnent au sein des sphères infinies.
Crimes et châtiments, fauchaisons et semailles,
Envois et lents retours des âmes migratrices :
Les jours, aux jours passés, ressoudent maille à maille
Le lourd filet du Temps, dans la nuit tentatrice !
Du premier bond joyeux du choeur ardent des astres
Au dernier jugement de la dernière étoile,
Devrons-nous donc traîner, dans la ronde infernale,
Mêmes désirs voués à de mêmes désastres ?

II

Rébellion des légions archangéliques,
Enroulement sans fin des cycles dans les cycles :
Ainsi qu'un automate aveugle et frénétique,
Gire un nouveau cosmos, au sein du ciel physique !
Fruit du désir cupide et de la Nuit funèbre,
S'essaime un lent troupeau d'astres myriadaires :
La première aube a .lui, blêmissant la ténèbre
Où s'inscrit le periple étincelant des sphères !
Ainsi que des forçats à leur boulet de fer,
Vont et vont les damnés, enchaînés à leurs astres,
Vont et vont, entraînant - par le vaste univers -
Leurs globes tournoyants, promis à maints désastres.
Victoire de l'Espace et triomphe du Temps :
La première aube a lui - déchirant la ténèbre -
L'Abîme universel a vomi les Titans :
La terre va surgir des flancs noirs de l'Erèbe !
 

III

Chute de 1'homme lâche au sein des éléments...
La Nuit, le Temps, l'Espace et le Désir tragique,
Le vieux Chaos en rut et la terre en tourment :
Tels sont les vieux ressorts du grand drame cosmique !
Les Titans monstrueux, amonceleurs de rocs,
Erigent vainement leurs Babels de porphyre,
Les cyclopes velus - instructeurs des Kabires -
Forgent au sein du sol les foudres des Molochs !
Béhémoths furieux et léviathans flasques
Meuglent éperdument parmi les marécages,
Dragons corniculés et squammeuses tarasques
Hantent sinistrement de mornes paysages.
Chute du grand Phanès au gouffre de Cybèle :
Parmi tous ces géants rostrés, griffus, cornus,
Surgi soudainement, apparaît, faible et nu,
Celui qui doit dompter les éléments rebelles !
  

IV

Crimes et châtiments, fauchaisons et semailles,
Vains désirs dispersés à tous les horizons,
L'orgueil rongeant les coeurs, et la faim les entrailles :
La terre pour sépulcre et les Cieux pour prison...
Sous l'oeil cyclopéen de la lune ironique,
Gravite l'essaim lent des âmes migratrices;
Et le triste exilé des sphères édéniques
Erre, fiévreusement, dans l'ombre tentatrice.
Pourtant, malgré la chute et l'appel de la Bête,
Et les péchés ligués - eux, les sept contre Thèbes
Flambe, dernière étoile en un ciel de tempête,
Le séraphique espoir, au seuil du sombre Erèbe
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Ainsi, pour nos coeurs las de tumulte et de cris,
Flambera quelque soir - éblouissant Odem -
Inextinguible, au sein de l'Eden reconquis,
L'Etoile qui brilla, jadis, sur Bethléem !




En exemple
 

Dans la chambre qu'ensoleille
Un rayon sans l'égayer,
Une femme, déjà vieille,
S'affaire autour du foyer.
 
Chaque épreuve sur ses traits
Burina sa cicatrice ;
Qui dira quel lourd secret
Rida ce front large et lisse ?

Dans la chambre aux murs sévères,
Autour du foyer fumeux, .
La Dame, sans bruit, s'affaire,
Une étrange flamme aux yeux.

Flamme étrange, flamme douce,
Comme d'enfant innocent...
Mais la frêle gorge tousse,
Tant le feu va lentement.
  .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ...

S'active près du foyer,
Où cuit le repas des frères,
La veuve du charpentier,
- Aussi grande qu'au Calvaire.

*
O Marie, ardente Etoile
D'Amour et de Charité :
Quel exemple - ou quel scandale -
Pour la pauvre humanité !...

 



IMPLORATION
 

Les larmes des mortels,
Le sang du sacrifice...
Ton âme pour autel
Et ton coeur pour calice.

Où vont tous ces enfants, égarés dans le noir,
Christ, éternel martyr, toujours crucifié ?
Les golgothas, partout, se sont multipliés
Et Mammon, triomphant, clame aux cieux sa victoire !

Vois les fils du désir, damnés par le désir,
Le crime torturé par l'accomplissement,
Et les hommes, sans fin, renaître pour mourir,
  Inéluctablement.
 
Vois mon coeur tenaillé de remords et de doutes
Et cette bestiaire infâme en mon cerveau,
Chacun de mes espoirs a connu la déroute
Et j'ai traîné ma fièvre en tous les hôpitaux !

Hélas ! je sais les clous et le fiel et la lance
Et voudrais t'implorer, Toi, la Toute-Pitié ;
Mais mon âme est trop faible et mon coeur sans vaillance...
Et j'ai, par trop souvent, reçu trente deniers !

Tes larmes et ton sang,
Tout ton amour en croix :
Mes regrets impuissants,
Mon espoir aux abois...

N'ai-je pas, tourmenté d'un orgueil insensé,
Evoqué le serpent sous l'arbre du Savoir ?...
Maintenant me voici - tristement - exaucé :
Qui me délivrera, si tu n'es mon espoir ?

A quoi bon la sagesse et que peut la science
Pour l'éternel vaincu, - mais non pas résigné, -
Amour, dont l'amour seul peut atteindre l'essence,
Jusqu'à quand devrons-nous, immensément, saigner ?
Non, tu ne peux laisser, en proie aux longs remords,
L'humanité sans guide et la terre orpheline,
Toi dont l'amour, un jour, terrassera la mort,
Toi que pressent mon âme et que mon coeur devine
Et dont je vois, à l'heure où le soleil décline,
Le fantôme attristé sur un autre Thabor.

Les larmes des humains,
Le sang sacré d'un Dieu,
Tout l'amour dans tes mains,
Tout l'espoir dans tes yeux...
 
 



 

IN MEMORIAM

Gabriel Huan.

(Nocturnus non nociturus VII)
 
 Ce ciel pur où tout nous est signe,
Mais où rien ne nous est livré,
Bien oublieux qui se résigne
A ne jamais le recouvrer !...

Dans les profondeurs sidérales
Où s'éteignent nos Requiem,
Sont les douze Etoiles Royales
De la Neuve Jérusalem.

O Bleu Jardin, qui nous éludes,
Paix qui ne peux nous consentir,
Ton silence et ta plénitude
Sont proches de mon souvenir.

Goûter le magique dictame
Des beaux parterres interdits,
C'est là le voeu secret d'une âme
Qu'Amour créa, - qu'amour perdit !...

Forgerons de nos vieilles chaînes,
L'amour, la douleur et la mort
Nous ont doués à la géhenne
D'où ne s'évade nul essor...

Ce ciel, vertige de lumière, -
Clair, à nous sembler ténébreux,
Nous évince de son mystère
Et ne s'offre plus qu'à nos yeux,

Bleu Jardin de Béatitude,
Si tu refleuris chaque soir,
C'est que, de toute certitude,
Nous reverrons tes reposoirs

Lorsque, bourreaux à l'heureux zèle,
L'amour, la douleur et la mort
Nous auront reforgé des ailes
Pour les fuir d'un sauvage effort :

Lors, par delà le Grand Abîme,
L'Archange au glaive flamboyant
Qui nous chassa du seuil sublime
Nous fera signe - en souriant !
 



 

La Merveille des merveilles
(imité de Paramânanda)
 

Voudrais-Tu habiter cette demeure obscure,
O roi des âmes et des sphères ?
Si tel est Ton plaisir, je la garderai pure,
Inviolable et solitaire.
 
Etre merveilleux, ah! dis-moi,
Pourquoi donc choisis-Tu les seuls humbles de coeur ?
Serait-ce pour que Ta splendeu
Les illumine à chaque pas ?
Est-ce pour consoler tous ceux qui désespèrent
Que jusques à eux Tu T'abaisses ?...

Lorsque les baigne Ta lumière,
Les fibres de mon coeur tressaillent d'allégresse ;
Alors, les vains tourments qui tour à tour m'écheyent
Sont oubliés, et si, parfois,
Je me perds, c'est pour mieux me retrouver en Toi.

N'est-ce pas, là, Merveille des merveilles ?...
 



   

La Tour foudroyée

 A Emile Besson.
 

Mon âme a gravi jadis
Entre des murs de silence
Tes degrés en pas de vis,
Tour de mes désespérances.

Longuement, j'ai médité
Sur ton sommet solitaire,
Laissant d'autres hériter
Des royaumes de la Terre.

Du haut de la Tour du " Moi ",
- Toute d'orgueil crénelée, -
Ne s'entendaient plus les voix
Qui montaient de la Vallée.

Ivre d'un bonheur amer,
Vain d'une froide Sagesse,
Que me faisaient l'univers
Et l'homme aux lourdes détresses ?

" Non-désirer ", " Non-agir "...
- Je suivais ma rêverie,
Dupe, un peu trop à plaisir,
De l'Esprit qui toujours nie.

Tout a son heure et son jour...
Béni soit le trait de foudre
Qui décapita la Tour
Et l'abîma dans la poudre !

J'ai repris en trébuchant,
- Ame désensorcelée, -
L'âpre chemin descendant,
Plus âpre à chaque foulée :
 
Le chemin de la Vallée !...
 
 



 

Le chemin
 (1958.)

Le chemin qui mène au Réel,
L'étroit et dur chemin, s'enfonce
Comme un sombre et muet tunnel
Obstrué de rocs et de ronces.

A 1'orée, - assoiffé du Ciel, -
Une voix te criera ; " Renonce ! "
Reste sourd au perfide appel
Qui doit s'éteindre sans réponse.

Le rude chemin du Retour
N'aura pour fleurs incarnadines
Que ton sang, perlant aux épines...

Qu'importe ! Saigne, et va toujours :
L'aube est là-bas, - que tu devines, -
L'aube adorable de 'l'Amour !

  



Le Jardin du Pressoir
 Samedi saint 1950.
 
Tapis, muscles bandés, sur les collines mauves,
L'ombre du soir suscite un noir troupeau de fauves
Que maintient à peine en respect
Le couchant mordoré dont meurent les reflets.

Des rocs, des arbres éventrés ;
Plus bas, dans une faille obscure,
Le torrent au sombre murmure
Fouillant des murets effondrés :
C'est tout !
 
Tout !...
Sauf, immobile entre les branches,
Quelqu'un, sur la hauteur, parmi les éboulis,
- Imperceptible tache blanche
Dans la ténèbre de la nuit !

Seul ? Non !... Car tout l'Enfer est là, qui rôde et guette
L'homme râlant à Dieu : " Ta volonté soit faite ! "
L'homme né pour la croix, les clous et les soldats
Et saignant sa sueur, en attendant Judas !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Nuit de Ghethsémani, quel effroi me pénètre
A songer que pour toi - pour toi - j'aurais pu naître
Procurateur, peut-être, ou peut-être Grand-Prêtre !

O Christ, toujours vivant, indéfectible Ami
De nous tous : ton troupeau, - nous tous : tes ennemis1
Vois mon coeur dont l'amour est si tiède et si piètre,
Vois cette âme de peu de foi,
Et veuille que ni Toi - ni nul - ô divin Maître,
N'ait à goûter par moi
L'abandon du disciple ou le baiser du traître !



Le Savoir et son ombre

A Jacques Heugel.

Fleur tentatrice aux flancs du vaste abîme
Qu'ici-bas, tous nous côtoyons,
Le Ciel et l'Enfer seuls ont compté tes victimes,
Savoir, pâle edelweiss, fleur de perdition !

Plus d'un guide éprouvé, plus d'un chasseur novice,
Pour t'avoir voulu conquérir,
Roulèrent sans retour dans l'horreur des abysses
D'où l'on ne vit jamais une âme resurgir.

Ta blancheur, accordée aux neiges éternelles,
En offense au lis marial,
Est le chef-d'oeuvre affreux du Prince des Rebelles,
Ta fascination, son regard glacial !

Si le troupeau commun vit loin de tes prestiges,
Les Sagaces et les Subtils
Connaissent l'âpre orgueil d'affronter le vertige
De ce gouffre où tu luis depuis l'antique exil !...

Or, pour avoir subi ton charme inoublié,
Savoir, livide fleur d'Erèbe,
Je te crains aujourd'hui, comme le nautonier
Les typhons imprévus au large des Célèbes.

Et qui m'estimera - nous jugeons mal autrui -
Puéril et pusillanime,
En vérité, n'a point senti passer sur lui
Le souffle empoisonné des dragons de l'Abîme !...

Homme qui te souviens qu'en un temps hors du temps
Tu savais, de droit, toutes choses,
Songe au Péché !... Depuis, bon singes de Satan,
Nous voulons - mais sans Dieu - reconquérir la Gnose !

Ah ! que peut donc " savoir " et que prétend " connaître "
Celui que le Ciel a proscrit
Et qui feint d'oublier qu'il doit d'abord renaître,
Repentant et soumis, au rnonde de l'Esprit?

Car le Savoir d'En-Haut, que Dieu donne ou refuse,
N'est point fleur de nos froids séjours :
Elle ne se conquiert par force ni par ruse
Et ne s'épanouit qu'au chaud Soleil d'Amour !
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..

Savoir, fleur de douleur et de tentation,
Si je me suis, jadis, laissé prendre à ton leurre,
Que jamais plus ma main ne t'effleure avant l'heure
Du repentir - et du pardon !...



Les deux brasiers

Amour, qui me fis réciter
Tes Psaumes de la Pénitence,
Toi qui souvent me fis goûter
Tes clous et ton fiel et ta lance ;

Amour charnel, amour sans majuscule,
J'ai couru tes mornes déserts,
Tes Paradis et tes Enfers !...

Je connais trop ce feu dont tu nous brûles
Mais dont j'aurai cependant moins souffert
Que par Celui qui flambe au delà des Ethers,
- Et qui t'annule !






LES DEUX LOIS

I

Depuis longtemps, depuis toujours,
Depuis que pleure et rit l'Amour,
- Riant au Ciel, pleurant sur Terre,
Pleurant et riant tout à tour, -
Depuis longtemps, depuis toujours,
L'homme interroge le mystère
Des jeux de la nuit et du jour.

Traînant sa gloire et sa misère,
Il affronte le vieux mystère,
Le vieux mystère de son cœur,
Où gît sa gloire - et sa misère.

Et son cœur, épris d'éphémère,
Las de plaisir et de douleur,
Pleure le Ciel - mais veut la Terre !…

Il semble qu'un démon moqueur
Lui inflige, pour son malheur,
La savante et lente torture
De cent espoirs et cent rancœurs ;
En ce qui passe, en ce qui meurt,
Hélas1 plutôt qu'en ce qui dure,
Nous mettons notre espoir trompeur !

Et notre cœur, notre âme impure,
Souillés par mille forfaitures,
Depuis longtemps, depuis toujours,
Depuis que pleure et rit l'Amour
Et que le plaisir nous torture,
Subissent là loi sombre et dure,
Subissent la loi - sans recours -
De l'Orgueil et de la Luxure !

II

Depuis longtemps, depuis toujours,
Depuis que siècles vont leur cours,
Notre cœur, épris de chimères,
Gémit sous la loi sans recours,
La loi des terrestres amours,
La loi des mondes éphémères,
La loi des infernaux séjours.
Là-Haut, le chœur joyeux des Sphères,
Dans la Lumière tutélaire
S'enivrant d'éternel bonheur,
Mène sa ronde coutumière...
Là-Haut vibre dans la Lumière
- Inégalable en sa splendeur -
L’harmonie immense des Sphères,

Et cet indicible bonheur
Des doux Paradis du Seigneur,
Ce bonheur semblable à nul autre,
Ce bonheur blesse notre cœur ;
Car nos âmes en leur rancœur
Disent : " Ce bonheur-là fut nôtre,
- Et nôtre est la seule douleur ! "
Eh ! oui, ce bonheur-là fut nôtre,
Loin du bourbier noir où se vautrent,
Depuis longtemps, depuis toujours,
Nos désirs, bonheurs à rebours,
Et nos regrets, faux bons apôtres,
Qui, malgré force patenôtres,
Sans repentir et sans retour,
Chérissent l'Autre - toujours autre !

III

Ainsi, comme une mauvaise herbe
Rampant au pied des blés superbes,
Ce monde insulte au vaste Ciel
Où rayonne l'éternel Verbe ;
Et notre rancœur s'exacerbe
Sous le fouet de l'orgueil cruel,
Folle avoine que l'Autre engerbe !

Ce monde insulte au vaste Ciel,
Ce monde où nos cœurs criminels
Traînent le faix de leur misère
Et de leurs désirs sensuels :
A ce bagne sempiternel,
A ces infamantes galères,
Nous nous condamnons sans appel. _
Il n'est trêve sur cette Terre,
Il n'est trêve à notre misère
Et les nuits succèdent aux jours,
Les jours font place aux nuits amères
Sans que nos cœurs enfin s'éclairent,
Tant sont faibles leur tiède amour,
Leur repentir et leur prière !

Et nous allons, par cent détours,
Changeant de loque et de séjour,
- Car le mal en nous s'exacerbe
Sans entamer notre superbe, -
Errant ainsi, toujours, toujours,
Aveugles, tout autant que sourds
A la voix de l'éternel Verbe
En croix à tous les carrefours !

IV


Vogue donc avec cette Terre,
Avec cette Terre éphémère,
L’homme, fils de l'Eternité,
L'aveugle, fils de la Lumière...
Là-Haut, le chœur joyeux des Sphères,
Peuplant les Cieux illimités,
Mène sa ronde coutumière...

Or l’homme, par l'Enfer tenté,
L'homme, veuf de la vérité,
En son cœur sauvage et rebelle,
D'amours charnelles envoûté,
Porté, au sein de l'obscurité,
Une clignotante étincelle
De la primitive clarté.

Et cette divine parcelle
De la Splendeur originelle
S'obstine à luire dans sa nuit,
Dans la nuit, sans elle, éternelle, -
La nuit des étreintes charnelles
Où les vains plaisirs qu'il poursuit
Sans les atteindre, le harcèlent.

Ah ! la voit-il encor qui luit,
Inextinguible, dans sa nuit,
Nuit d'opprobre et nuit de colère,
L’aveugle, fils de la Lumière ?
En ce monotone aujourd’hui,
La voit-il luire dans sa nuit,
Sa nuit de haine et de misère
Où le remords pensif le suit ?

V

Oui, l'homme, dans son pauvre cœur
Las de plaisir et de douleur,
Porte l'étincelle éternelle
Puisée au foyer créateur ;
Et de cette antique splendeur
Que sa nuit même lui rappelle,
Viennent sa joie - et ses malheurs.

Siècles en vain se renouvellent
Sans adoucir la loi cruelle,
La loi des infernaux séjours,
La dure loi, sempiternelle,
Qu’impose l'Archange rebelle,
- Depuis longtemps, depuis toujours,
Aux âmes que l’orgueil flagelle.
Devrons-nous donc, jour après jour,
Tant que siècles iront leur cours
Et que sang battra dans nos veines,
Gémir sous la loi sans recours,
La loi des terrestres amours,
La loi sinistre des Géhennes
Où nous avons élu séjour ?

En ce monde où règne la haine
En despotique souveraine,
En ce monde aussi bien qu’ailleurs,
Irons-nous, d'erreur en erreur,
Traîner Géhenne après Géhenne,
Notre boulet et notre chaîne,
Pleurant cette antique splendeur
Dont il faut bien qu'il nous souvienne?

VI

Depuis la détresse première,
L'aveugle, fils de la Lumière,
Entre deux mondes tiraillé,
Pleure le Ciel - mais veut la Terre !
Et son âme aux vœux éphémères
S’ingénie à multiplier
Ses désespoirs par sa misère1...

Et lorsqu'en son cœur tenaillé
Cesse à demi de flamboyer
Du vieil Adam la flamme impure
- L’impur et dévorant brasier -
Il s’estime alors dépouillé
De sa raison d'être et murmure
Contre les Destins " sans pitié ".

Accuse l'aveugle, et murmure
Contre le Ciel et la Nature ;
Accuse et murmure à loisir
L’aveugle et sourde créature
Dont la belle désinvolture
Oublie, hélas, sans plus rougir,
Ses innombrables forfaitures.

Car le Ciel a beau l'avertir
Que vient l'heure où l'on doit choisir
E<ntre l’éternelle Lumière
Et. le feu sombre du désir :
Il préfère, sans repentir,
Soumis à la loi de la Terre,
Au pur bonheur les vains plaisirs !

VII

Car c'est ici le vieux mystère
De notre indicible misère ;
Depuis longtemps, depuis toujours,
Hésitant entre Ciel et Terre,
Nous errons, par mille détours,
Sans voir l'éternel Solitaire
En croix à tous les carrefours !

Sous le rostre du vieux vautour,
- Depuis que pleure et rit l'Amour -
Gémit l'antique Prométhée...
Sans espérance, et sans recours,
Agonise depuis toujours,
Inutilement révoltée,
Notre âme, en cet amer séjour.

Ainsi, par tout l'Enfer tentée,
Se débat la vieille entêtée,
L'âme, pâmée au souffle impur
De l'insaisissable Asmodée...
Là-Haut, le chœur des Voies Lactées
Tourne, dans l'éclatant azur
Aux profondeurs impolluées.

Mais sur notre sentier mal sûr
Où va rôdant l'Esprit Impur,
Chemine, éternel Solitaire,
l'Inconnu, porteur de lumière, -
- Que rencontreront à coup sûr

Ceux-là dont les Cœurs, enfin mûrs
Pour subir l'épreuve dernière,
Peupleront le Siècle futur !

VIII

Depuis ,la détresse première,
Depuis que roule et va la Terre
Et que nuits succèdent aux jours,
L'aveugle et le sourd volontaire
S'obstine à nier la Lumière
- La Lumière du pur Amour -
Ivre de plaisirs éphémères.

Las d'un fardeau toujours plus lourd,
Plus lourd, hélas, de jour en jour,
L'aveugle traîne sur sa route,
Au sein des infernaux séjours,
Traîne au long de mille détours
Son faix de misère et de doute,
- Butant aux croix des carrefours !

Et de désastres en déroutes,
En cette immense banqueroute
De ses désirs, de ses espoirs,
De ses illusions dissoutes,
L’aveugle que l'Enfer envoûte
Voit poindre en quelque morne soir
L'échéance que tous redoutent.

Et c'est alors, sous le ciel noir,
Sous le ciel de ses désespoirs,
Qu'il voit, dans la nuit funéraire,
Splendir, aurore calme et claire,
En son cœur las de faux savoirs,
- Ainsi qu’un vivant ostensoir, -
Splendir l'Etincelle première !

Et c'est la fin du vieil Adam,
Du vieil Adam, fils de Satan,
Mort de plaisirs - et de misère -
Sur sa croix d'Espace et de Temps...
Là-Haut, dans les Cieux éclatants,
Le chœur étincelant des Sphères
Accueille, libre et repentant,
Accueille le nouvel Adam,
- Libre, dans la libre Lumière !...






Les deux silences

Il est deux sortes de silences
Comme il est deux sortes de nuits.
Le premier - dont nos cœurs s'offensent
N'est que simple absence de bruit ;
Le second, plein de résonances,
- Subtil langage de l'esprit -
Baigne nos âmes d'espérance :
Comme il est deux sortes de nuits,
Il est deux sortes de silences.

Il est deux sortes de silences
Comme il est deux mondes distincts.
Le premier, lourd de confidences,
Parle en mots dont le verbe humain
Ne sait traduire l'éloquence ;
Le second, glacé, nous étreint
De sa morne désespérance :
Comme il est deux mondes distincts,
Il est deux sortes de silences.

Il est deux sortes de silences,
L'un terrestre et l'autre divin.
Si l'un n'est, au fond, que l'absence
Des bruits de ce monde incertain,
L'autre, plein d'augustes présences,
Pour qui sait l'écouter, détient
Lumière, espoir, intelligence...
L'un étant tout, - et l'autre rien, -
Il est deux sortes de silences !




Liber Mundi


A Miréio Doryan.

Au delà de nos cieux, voués aux Sept Fléaux,
De notre Terre et de sa fange,
Il est un Livre, dont les anges
N’épellent qu'en tremblant les mots :
Livre aux communs regards encore intraduisible,
Mais où lisent, de loin, les grands forgeurs de Bibles.

Qu'ils soient nés prés du Nil ou sur les bords du Gange,
Qu'ils s'appellent Moïse ou Jean-le-Bien-Aimé,
Ceux qui .portent les dés de ses signes étranges
Savent ce que nous veut l'avenir embrumé.

Hors de tout ce qui .peut se flétrir ou changer,
Se tient le Livre véridique,
- Et les cohortes angéliques
Tremblent d'oser l’interroger !
Entrouvert un instant aux divins Messagers
Dont la voix fait frémir les peuples, d’ère en ère,
Il EST - et nul mortel n'a pouvoir d’abroger
Ses arrêts, rédigés en lettres de Lumière !...

Avant que fussent nés notre Terre et ses cieux
Resplendissait le Livre unique
Où seuls les regards angéliques
Déchiffraient les desseins de Dieu..,
Mais nul de ceux d’ici, fut-il visionnaire,
Docteur en Israël, savant, mage ou héros,
Ne saurait affronter l'éclat des Sept Tonnerres
Pour rompre les Sept Sceaux du Livre de l'Agneau !

Au delà de la Terre, éphémère demeure
Dont peut-être demain pourrait bien sonner l’heure,
Est un Livre aux versets lumineux et terribles
Qu’épellent en tremblant les grands forgeurs de Bibles !






MAGNA MATER

A Mademoiselle A. G., respectueusement.

Matrice du Cosmos, Arche des Univers,
Vase d'élection des ardents Elohim,
Nourrice des Titans, reine du vaste Ether,
Mère des cieux profonds et Thummim de l'Urim,

Tu portas en tes flancs et l'Olympe et l'Hadès,
qui jamais ne sombre au sein des grandes ondes,
O toi qui vis surgir, à l'aurore du monde,
De tes flancs fécondés, l'éblouissant Phanès !

Comme un tison couvant sous la cendre propice
Et qu’un souffle léger attisera soudain,
L’univers, sommeillant au creux de tes abysses,
Autrefois s'éveilla sous le souffle divin.

Miroir immaculé du Soleil de Justice,
Arche des Univers, Temple du Saint-Esprit,
J’implore ton secours, Vierge consolatrice
Qui sais de quel limon ton enfant fut pétrit !

Tu sais mes reniements, mes menteuses promesses,
Tu sais mes désespoirs et mes tardifs remords...
Ne laisse pas ton fils, Toi, la Toute-Tendresse,
Descendre le sentier de la seconde mort.

Gloire et respect à toi, lampe des exilés,
Vase d’élection de la divine Hostie,
Mystique sanctuaire, asile inviolé
Des éternels concepts et des théophanies !






Méditativement

A Jean et Anne Vaquié.

Les Seigneurs-de-Compassion
Reviennent enseigner la Voie
Et dénoncer l'illusion ,
De nos douleurs et de nos joies.

Très hauts, très purs, et sûrs d'eux-mêmes,
Ils ont la froide charité
Régnant dans le Vide Suprême
Où mal et bien sont vanité,

Les Seigneurs-de-Compassion,
Sans la condamner, se dispensent,
O Jésus, de Ta Passion :
Ton Salut n'est leur Délivrance !

La Sagesse de ces géants,
Du Devenir s'est affranchie...
Pourtant, il est dit dans Saint Jean :
" Le Verbe fait chair est la Vie ! "

O Seigneurs-de-Compassion
Evadés de l'Impermanence,
Je crains pour vous l'illusion
Que vous baptisez Connaissance ;

Et, puisqu'un choix est à prétendre,
Pensif, je me suis allégé
De vos dogmes, pour mieux entendre
L’appel poignant du Bon Berger.

1958.





MYSTERIUM MAGNUM


Le Jour ne luttait point avec la Nuit funèbre,
Le Nombre n'était point sorti de l'Unité :
Sans attributs, sans loi, sans nom, sans qualités,
Hors de toute clarté, hors de toute ténèbre,
L'Eternel reposait en Son éternité !...

Dans l’insondable Abîme où la divine algèbre
Allait préfigurer toute création,
Attendant le " Fiat " qui les fît ce qu'ils sont,
Le Jour ne luttait point avec la Nuit funèbre !

Les Trônes, les Vertus et .les Principautés ,
N'unissaient point leurs Chœurs, dans le vaste silence ;
Rien n’avait fait frémir les flancs du gouffre immense,
Le Nombre n’était point sorti de l'Unité !

Celui que nul ne vit en Sa réalité,
Le seul qui sache, au vrai, ce qu'est la solitude,
Savourait en secret sa propre plénitude,
Sans attributs, sans loi, sans nom, sans qualités...

Toi que craint le démon, Toi que l'ange célèbre
Et que l’homme bénit et maudit tour à tour,
Nul, jamais, n'a forcé Ton mystique séjour,
Hors de toute clarté, hors de toute ténèbre !

Au-delà du Latent et du Manifesté,
Avant les univers dont Il fixa le terme,
Avant l'aube première, avant le premier germe,
L'Eternel reposait en Son Eternité !






Nostalgie

Sur la route déserte, à tous risques suivie,
Auriez-vous rencontré Celui que mon cœur lourd
Cherche inlassablement, cherche depuis des vies,
Et dont la Croix se dresse à tous mes carrefours ?

Vivants qui m'entendez, vous qui, sur cette Terre,
Gravites avant moi le sentier de misère,
Sur la route morne, au sein de la nuit,
Quand retrouverai je une fois Celui ;
Que mon cœur espère? "

Egrenant - depuis quand ? - le chapelet des jours,
Je vais - jusques à quand ? - traînant ma nostalgie,
Sans entrevoir jamais aux Croix des carrefours
Celui que mon espoir cherche depuis des vies...

O vous qui connaissez et le gîte et l'étape,
Convives fortunés de 1a mystique Agape,
Voyez que je suis seul et que mon pas plus sourd,
Sur le sentier glissant, semé de chausse-trapes,
Sonne, moins assuré, chaque heure, chaque jour,
- Chaque vie !...

Combien de temps devrai-je, aveugle en cette brume,
- Mon unique horizon, -
Combien de temps, errer sans qu'aux lointains s'allume
L'aube de consolation ?

O vous qui m'entendez, vous qui savez 1a route,
Convives fortunés de la mystique Agape,
Vous dont les pas saignants ont marqué mes étapes,
A ce cœur obstiné sous les assauts du doute
Dites sur quel chemin, dites en quel séjour
Veille, invisiblement, Celui qu'il cherche en vain
Depuis des jours,
Depuis des vies,
- Depuis toujours !

Ah ! dites-lui, Vivants aux tâches accomplies,
Dites sur quel chemin, dites à quel détour
Vos cœurs illuminés, vos âmes éblouies
Rencontrèrent l'Amour !...






Nuit obscure de l’âme
(Jean de La Croix)

Au Révérend Père Valentin Breton.

Par une nuit sombre et sans lune,
D'un amour farouche embrasée,
- O l'heureuse fortune, -
Seule, je m'en fus, déguisée :
Ma demeure était apaisée.
Par une nuit sans lune, -
Ma demeure apaisée, -
Seule, je m'en fus, déguisée,
- O l'heureuse fortune ! -
M'en fus par l'escalier secret
Et nul ne reconnut mes traits.

Invisible aux regards,
Sans bruit, je me suis évadée,
Errant sous le ciel noir,
- Mystérieusement guidée
Vers Celui qu'attend mon espoir...

Dans la nuit sibylline,
Sans bruit et sans autre lumière
Que celle ardant en ma poitrine,
- Sans guide et solitaire, -
J'allais où m'espérait
Celui-là qui chemine
Là où nul autre ne paraît.

Nuit qui me conduisis vers le plus haut trésor,
- Nuit plus aimable encor
Que le jour auréolé d'or, -
O nuit redoutable et charmante,
Tu as uni l’amante au Bien-Aimé,
Tu as fondu l'Aimé
En son amante !

Dans mon sein refleuri,
- A tous autre fermé, -.
S'endort le Bien-Aimé :
Mon amour le nourrit
Tandis qu'en frémissant la palme du Cédron
Rafraîchit doucement son front...

Lorsque la brise matinale
Rouvrit les yeux de l'Attendu,
D'un geste de sa main royale
Tous mes sens furent suspendus.

Que me sont vie et mort, et souci de moi-même ?
Oubliant projets et problèmes,
Mon visage, penché sur celui de l'Amant,
Enfin, je m'abandonne, au milieu des lis blancs !






Pantoum

L'Etoile qui brillait au front de Lucifer,
L'Etoile demeura quand s’abîmait l'Archange.
Cette âme que voici, lasse d'avoir souffert,
Préservez-la, mon Dieu, dans la terrestre fange.

L'Etoile demeura, quand s'abîmait l'Archange
Aux gouffres insondés des ténébreux Enfers.
Préservez-la, mon Dieu, dans la terrestre fange,
L'imprudente en exil dont le sort vous est cher.

Aux gouffres insondés des ténébreux Enfers,
L'éternel Révolté rumine sa vengeance,
L'imprudente en exil dont le sort vous est cher,
Accordez-lui, Seigneur, votre juste clémence.

L'éternel Révolté rumine sa vengeance :
Le drame se jouera sous l'Arbre du Savoir...
Accordez-lui, Seigneur, votre juste clémence,
A Celle qui combat - et sent faiblir l'espoir.

Le drame se jouera sous l'Arbre du Savoir,
En des temps abolis, hors de toute mémoire...
A Celle qui combat - et sent faiblir l'espoir -
Faites luire en vos cieux le prix de sa victoire.

En des temps abolis, hors de toute mémoire,
Le transfuge d'Eden écouta le Pervers...
Faites luire en vos cieux le prix de sa victoire :
L’Etoile qui brillait au front de Lucifer !






Prière du soir

A Y.-j. F***.

Seigneur, je tends vers Vous mes mains, mes deux mains vides,
Ces mains, vierges toujours du stigmate des clous ;
Vers Vous je tends mes mains de mendiant avide,
Quémandeur de gros sous,

Et ce front, vierge aussi du sillon des épines,
Plein de pensers mesquins et de calculs étroits,
Quelle présomption dérisoire l'incline
Au pied de Votre croix ?...

Dans les ténèbres de l'Attente,
Se morfond un cœur anxieux
Qui craint que l'Enfer ne le tente
Quand l'Espoir lui montre Vos cieux.

L'Espoir ?... Rencontre bien étrange
Pour qui, si longtemps, n'a marché,
Parmi les cris des mauvais anges,
Que dans l'ornière du péché !...

Cœur dévasté, tu sais l'Espoir - et sa torture ;
L'Espoir, ce plomb fondu sur la chair qui se tord,
Ce knout, qui te relève à chaque forfaiture,
L'Espoir, dont l'autre nom est peut-être : Remords !

Et par ce morne soir d’entre mes soirs arides,
Sa morsure de feu me fait tendre vers Vous
Mes quémandeuses mains, indemnes de Vos clous,
Seigneur, - mes pauvres mains, éternellement vides !






Prière

Seigneur, qui jugerez nos âmes,
Soyez-leur un juge indulgent :
Le limon d'Adam nous réclame
Et nous sommes vos indigents,
Oui, la Terre est dure à ses hôtes
Et leur chicane un pain amer...
Seigneur, qui pèserez nos fautes,
Voyez combien faible est la chair.
Faible est la chair, rusé Satan !..,
Seigneur, qui serez notre Juge,
L'homme est versatile, et le temps
Est bien court entre deux Déluges...
Seigneur, qui pèserez nos fautes,
Fils de l'Homme, souvenez-vous
D'une Terre, dure à ses hôtes,
Où vous vîntes saigner pour nous !







Prose à Marie

A E. T. Longuet.

La sapience des Docteurs
Vous a célébrée, ô Marie,
Par ces faces de vos Splendeurs
Que sont les saintes Litanies.

Je sais !... Vous êtes le Calice
D'une insigne Dévotion,
La Mère de Compassion
Et le Miroir de la Justice ;

Vous êtes la mystique Rose
Comme l'Etoile du Matin,
- Cent autres merveilleuses choses
Qui sonneraient mieux en latin...

La sagesse des Sapients,
En perles d'un pur orient,
Vous a voué, Vierge bénie,
Un rosaire de Litanies !...

Domus aurea - Maison d'or -
Reine des Cieux, Reine des Anges,
Qui dénombrera les trésors
Qu'on entrevoit sous vos louanges ?

Doctes et saints que vous savez
Vous ont célébrée, ô Marie,
Egrenant, avec leurs Ave,
Le chapelet des Litanies !...
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Mon cœur qui, de loin, vous révère
Se sent bien faible et bien petit
Pour balbutier vos mystères,
Temple éblouissant de l'Esprit !

Et de toutes ces épithètes,
- N'étant ni Voyant, ni Témoin, -
Souffrez que je n'abuse point,
Inspiratrice des Prophètes !

Simplicité d'un Gabriel,
Disant : " Salut à vous, Marie,
O Femme entre toutes bénie ! "...
- Sur Terre, ainsi parla le Ciel !

Sachant ce que vaut ma ferveur,
Souffrez que je préfère à d'autres
Des termes, juste à ma hauteur,
Et non pas à hauteur d'Apôtre,
- Des termes répondant aux vœux
D’une âme qui se sait coupable,
Coupable, mais non sans aveu,
Et vous redit, Mère Admirable,
Vous l’unique Palladium
Des déchus et des misérables :

" Consolatrix afflictorum,
Refugium peccatorum
"






SI...

A Fr. O******.

Si ton cœur peut aimer sans enchaîner un cœur,
S'il peut être trahi tout en restant fidèle,
Si tu sais protéger sans réduire en tutelle
Et, dupe clairvoyante, abuser ton dupeur ;
Si tu peux enseigner, rien qu’en sachant te taire
Et, donnant, oublier que tu fus possesseur,
Si tu sais " accomplir sans demeurer auteur " ;
Quelles que soient ta race et ta foi passagères,
Salut ! Nous sommes fils, tous deux, du même Père !

1954.






VENITE, ADOREMUS...

Cette nuit-là, merveille unique,
Le cœur battant sous leur tunique,
Les bergers, par l'Ange conduits,
S'en furent adorer Celui
Qu'attendaient les Sages antiques.

Et 1',espoir qui jamais n'abdique,
L'espoir vorace et famélique,
S'insurge en nos âmes, depuis
Cette nuit-là.

En ce minuit mélancolique,
Nous mord le regret nostalgique
De cette nuit d'entre les nuits...
Mais l'étoile d'or qui nous luit
Ne rappelle qu'au symbolique
Cette nuit-là...

*
* *
Heureux bergers !... A vous, je pense
En ce minuit. Ce n’est offense
Que de vous envier un peu ?...
Oh ! n'avoir pas été de ceux
Qu'illumina cette Présence ;
N'avoir en sa grise existence

Que des livres pour références !...
Vous eûtes pourtant plus beau jeu,
Heureux bergers !

Tout s'achève et tout recommence,
Tout, hormis le miracle immense
Dont s'éblouirent vos seuls yeux :
O vous, favorisés des Cieux,
Accordez-moi quelque indulgence,
Heureux bergers !

*
* *

Ce pauvre, au travers d’un carreau,
Contemple le bon feu, bien chaud,
Croulant en rutilantes laques,
Puis s'en repart quand ses dents claquent,
Au vent qui gèle ses vieux os...
Chrétien qui traînes ton fardeau,
Toi, chair promise aux Sept Fléaux,
N'es-tu pas, par ce soir opaque,
Ce pauvre ?
Voici la crèche et les flambeaux
Et le gui d’un Noël nouveau...
Mais, Jésus, en l’humain cloaque,
Notre âme gèle au creux des flaques
Comme, sous ses vieux oripeaux,
Ce pauvre !

*
* *

Cette nuit-là, fraîche et limpide,
Heureux bergers au cœur candide,
Malgré nos regrets superflus,
Cette nuit ne reviendra plus
S’inscrire entre nos nuits livides ;
Plus ne luit l'Etoile splendide :
Comme nos murs, le ciel est vide
Et nous mourrons sans avoir vu
Cette nuit-là.

L'écheveau fatal se dévide...
Ah1 c'est en vain que l'âme avide,
Evoquant les temps révolus,
Soupire de n'avoir vécu, -
Plutôt que cent nuits insipides, -
Cette nuit-là !

*
* *

Dans notre cœur las, que torture
Depuis l’antique forfaiture
L'espoir, inextinguible feu,
S’exaspère, en ce soir brumeux,
Son inguérissable blessure.

Nuit de toutes les nuits qui furent
- O nuit dont les sept Cieux s'émurent -
Pourquoi ce trouble insidieux
Dans notre cœur ?

Pourquoi ?... Sinon que d'aventure,
Il faut qu'en toute créature
Naisse, quelque nuit, l'Enfant-Dieu .
Et que l'Etoile, enfin, fulgure
Dans notre cœur !