Textes appartenant au site de : livres-mystique.com © Roland Soyer - 1/05/1999



LA RÉINCARNATION

in  La Voie des Ancêtres pp. 114 à 119
in Du Menhir à la Croix pp. 335 à 340
in Psyché n°419 d'octobre 1931
 

    L'hypothèse de la réincarnation, si séduisante de prime abord, si consolante en apparence, est des plus discutées, parmi les Ecoles spiritualistes et les Eglises. Partisans et adversaires font inlassablement état des mêmes arguments, pour ou contre.

   Les tendances se cristallisent en Occident autour de deux conceptions diamétralement opposées :
    1° La conception spirite, telle qu'elle a été à peu près formulée par Allan Kardec : 
        « Naître, mourir, renaître et se perfectionner SANS CESSE, telle est la LOI ».
    2° La conception actuelle des représentants de l'Eglise catholique : 
        « Une seule vie, close par le « jugement particulier ».

    On peut remarquer, à ce sujet, que si Jésus, selon les Evangiles, semble faire allusion à la réincarnation d'Elie en la personne de Jean le Baptiste, (allusion que soulignent les spirites avec une évidente satisfaction), l'Eglise, de son côté constate, avec une satisfaction non moins évidente, qu'il ne parle nulle part, explicitement, de la « Loi » de réincarnation, et moins encore des moyens nécessaires pour un retour ici-bas, dans des conditions favorables.

    Entre les opinions extrêmes que nous venons de résumer, peut-être y a-t-il place pour une thèse conciliatrice.

    Tout d'abord, l'opinion des théologiens - pour respectable qu'elle soit - n'est pas article de foi. La réincarnation est une « question réservée » ; on peut, sans cesser d'être bon catholique, professer à ce sujet une opinion différente de celle généralement admise, jusqu'à l'époque où un pape, parlant « ex cathedra », tranchera la question, dans un sens ou dans l'autre.

    L'Eglise invite en général ses fidèles à une prudente réserve sur de telles questions, et on ne saurait lui faire grief de sa circonspection, si l'on songe aux pratiques souvent décevantes et parfois dangereuses d'un spiritisme « vulgarisé ». Nous devons souligner ici que c'est une chose que de croire à la réincarnation, et une autre chose, bien différente, de se livrer à des pratiques spirites.

    D'autre part, certains philosophes démontrent, par une suite de raisonnements, fort bien échafaudés, que la réincarnation est « métaphysiquement impossible ». Mais, l'opinion des philosophes, quelle que soit la puissance de leur argumentation, n'est pas entièrement convaincante, Tout d'abord, parce qu'ils se contredisent assez souvent, ensuite parce que la vie, la mort et les phénomènes qui s'y rattachent, se constatent plus qu'ils ne se démontrent. En tant que phénomènes, ce sont des faits d'expérience. En tant que principes, ils ne dépendent pas de la raison qui, opérant sur des phénomènes, est à tout instant le jouet des apparences. Si la réincarnation est, ce n'est pas par raison démonstrative. Si elle n'est pas, les démonstrations n'y changeront rien. Des philosophes ont bâti des théories géocentriques - d'ailleurs fort ingénieuses - d'après ce fait d'apparence que le soleil semble tourner autour de la terre. Ainsi, la réalité est une chose et les théories en sont une autre. 

    Personnellement, nous admettons la possibilité du FAIT réincarnationnel. Cependant, si paradoxal que cela puisse paraître, nous ne sommes point réincarnationniste », moins encore « spirite ».

    Certes, l'Eglise ne nie pas absolument la pluralité des existences terrestres, et ses théologiens les plus sourcilleux admettraient facilement, croyons-nous, des réincarnations exceptionnelles, comme par exemple celle d'un saint qui reviendrait sur terre pour poursuivre une œuvre commencée ou remplir une mission importante, comme le cas semble s'être produit pour Elie-]ean Baptiste, par permission expresse de la Providence, et non en vertu d'une loi fatale.

    Ceci n'empêche pas la thèse spirite « classique » d'être assez inexacte, En effet, admettre la réincarnation comme une LOI nécessaire, c'est lui attribuer les caractères d'universalité, d'inflexibilité, de pérennité, qui constituent toute Loi, Or ce retour périodique en « circuit fermé » ou en « spire évolutive indéfinie », n'est pas « une consolation pour le monde » comme l'affirme l'auteur d'un livre récent, mais - au contraire - une consternation pour le monde.

    Savoir qu'après mille séjours en un monde où la justice, hélas ! est borgne et claudicante, mille et mille autres nous sont promis ; savoir qu'après mille morts, mille séparations crucifiantes, mille et mille autres constituent notre lot, en vue d'un progrès
effroyablement lent, savoir cela et en peser les conséquences, n'est pas pour nous remplir d'une allégresse sans mélange.

    Si Jésus n'a pas parlé explicitement de réincarnation, il y avait à cela de bonnes raisons. La moins importante, c'est que cette idée était assez courante de son temps. De même il n'a jamais dit : « Ne volez pas, n'assassinez pas, ne maltraitez pas les animaux ! », puisque toutes ces choses sont incluses dans la charité dont il recommande à chaque moment l'exercice. Qui oserait conclure de ces arguments négatifs que les souffrances des animaux lui étaient indifférentes ou qu'il autorisait l'assassinat ?

    Une seconde raison, c'est que la réincarnation ne fait pas partie des Lois du Royaume, les seules méritant ce nom, parce qu'éternelles. Nous enseigner à mériter une « bonne » réincarnation eût été un non-sens pour Celui qui nous convie à l'infinie béatitude de la Vie Eternelle. Jésus ne vise qu'à nous libérer des chaînes de ce monde et non à nous enseigner à nous y tailler un fief confortable (1). En somme, à nous ouvrir la porte de la cage où nous sommes captifs, non pas à en dorer les barreaux.

    On peut conclure de ceci que la réincarnation n'est pas une Loi : c'est une exception. Si l'homme suivait la Voie que le Ciel lui a tracée, s'il marchait sans défaillances dans les traces des pas du Christ, il n'aurait pas à se réincarner. Fut-elle aussi générale que la représentent les spirites, la réincarnation ne serait cependant rien d'autre qu'une exception : une exception généralisée.

    C'est dans la miséricorde du Ciel, qui donne toujours de nouveaux délais aux dévoyés que nous sommes à peu près tous, que réside le fait de la réincarnation. C'est donc une grâce exceptionnelle - comme toute grâce - un phénomène contre-nature, que peut offrir seulement l'homme en proie à cette emprise anormale qu'on appelle péché, vivant de cette vie contre-nature, où il se complaît trop facilement. Mais, dès l'aube des temps, l'homme déchu ne devait (en principe) passer qu'une existence sur ce monde imparfait où l'avait attiré son désir. Chaque fois qu'un être revient ici-bas, le Ciel fait tout pour que cette fois soit la dernière. A nous de ne pas paralyser son œuvre par notre mauvaise volonté. 

(1) Le désir peut beaucoup. On conçoit que le désir du Ciel nous élève vers le Ciel, on peut concevoir, de même, que le désir obstiné d'une « meilleure » réincarnation, puisse nous ramener vers la terre et entraver dans une certaine mesure notre libération posthume.