n °142 - Septembre/Octobre 1969

 Cieux et Calendrier druidiques

 " Les druides..., discutent d’abondance sur les astres
et leur cours, sur la grandeur du monde et de la
terre, la nature des choses... "

          CESAR, Commentaires (L. VI, Ch. XIV).

Chassés des régions circum-polaires par les glaciations, les lointains ancêtres de la race blanche se dispersèrent et s’établirent sous d’autres latitudes. Ils durent, peu à peu, réadapter leur calendrier à leurs nouvelles circonstances, ainsi que les mythes stello - solaires qui leur étaient familiers. De cette époque très lointaine, il resta des " strates ", des " fossiles ", comme je l’ai exposé voici quelques mois à propos des Dioscures. Le mythe, devenu anachronique, subsista sous forme de conte populaire, de dictons, de légendes. Voici bientôt dix millénaires, l’arrivée de la Lune dans le champ de gravitation de la Terre provoqua, avec la dernière glaciation, l’engloutissement de ce 1’ qui restait de l’Atlantide. De ce fait, les symboles des plus anciennes cosmogonies, le Jour et la Nuit ou le SOLEL et l’ETOILE, furent graduellement et partiellement remplacés par le SOLEIL et la LUNE. Disons " partiellement ", car les deux types cosmologiques premiers subsistèrent ici et là, et firent plus ou moins bon ménage avec les seconds. Les traces d'une année circumpolaire de 9 ou 10 mois sont faciles à relever. Il faut entendre par là la durée de la période d’insolation et de jour. De ces vestiges de l’année polaire aux saisons nettement tranchées, en voici un, d’ordre linguistique. L’lndo - Européen YER/YOR - " année " a primitivement désigné la phase lumineuse de ce laps de temps, celle où l’on peut aller sans crainte de s’égarer, sans l’obligation d’hiverner (d’une base. EI /YA - " aller, se déplacer librement "). Ce sens " polaire " a survécu à peine modifié, par exemple dans le tchèque Jaro " printemps " ; le petit - russien Jary " récolte d’été ", le serbe Yârina " blé de mars, récolte d’été ".

Du phénomène précessionnel et. De l’impossibilité d’exprimer la révolution du globe par un nombre entier de jours résultait un décalage progressif entre l’année " liturgique " avec ses axes solsticiaux et équinoxiaux, l’année agricole avec ses travaux cycliques, et l’année cosmologique ou solaro - stellaire. De là des réformes ou plutôt des remises au point du calendrier, la réadaptation sacerdotale des mythes à base stellaire, et une certaine survivance populaire des mythes précédents, car les mythes ont la vie dure.

Pour nous rendre compte de ce qu’étaient le Ciel et le comput dés Gaules druidiques, nous disposons en apparence de peu. de renseignements. Nous en savons davantage sur l'année aztèque ou sur la Sphère suméro - akkadienne que sur celle des Gaules : une langue pauvrement attestée, des représentations mythiques le plus souvent anépigraphiques, des monnaies aux symboles souvent énigmatiques, et, enfin, un " calendrier " mutilé et d’autant plus ardu à déchiffrer qu’il est criblé d’abréviations. Toutefois, le vieux fonds indo - européen subsiste : mythes et symboles

particuliers à la Gaule se réfèrent à la même source générale que ceux des Aryiens, des Italiotes et des Hellènes. Ceci posé, voyons d'abord quelques personnifications astrales. Dans mes travaux antérieurs, j’ai déjà pu identifier, jusqu’à preuve du contraire, la constellation du Taureau (TARVOS), les Pléiades (TRIGARANOS : " les 3 Grues "), les Gémeaux (CANTLI : "  les brillants "). Aldebaran (AEDU-RINNI : l’étoile de feu). J’ajouterai que la Grande Ourse s’appelait EBUROS : " le Sanglier ". J’ai développé tous ces points et quelques autres dans un ouvrage à paraître : " Visages du Druidisme ", dont le présent article résume un chapitre. Pour compléter, en me bornant sagement, voici quelques mots sur la constellation, que nous nommons le Bélier. J’ai parlé ailleurs du dieu Cernunnos Sur ses figurations, il porte toujours des cornes de CERF. On a voulu y voir je ne sais quelle survivance "  totémique ". Au vrai, Cernunnos est le Soleil vernal et ses cornes de cerf sont les cornes d’ELEMBIUS, premier mois de l’année gauloise. Pour certaines raisons, cette constellation s’appelait en Gaule " Le CERF " (ELEMBIO, terme quasi identique au grec elaphos, qui a donné son nom au mois Elaphebolion. Le nom même de Cernunnos (KERNU-ND-OS) apparenté à l'irlandais cern " crâne, occiput ", peut se traduire par " macrocéphale ", ou à la forte tête. Et, de ce fait, dans mainte représentation, le volume de son crâne est fortement exagéré dans le sens de la largeur... tel le disque solaire à l'horizon.

Maintenant, que la constellation du Dragon se soit appelée Ambis (Sanskr. ahi), que la Couronne boréale ait été le Torques (TARPOS) comme on peut l’identifier sur des monnaies, que la Petite Ourse se soit nommée ARTUS " l’ours mâle " et ainsi de suite, ce sont des curiosités important peu. Le voudrais-je que je ne pourrais reconstituer la sphère gauloise dont les astérismes ne se superposent pas toujours aux nôtres. Le peu que j’en dis ici prête déjà suffisamment à contestation.

Essayons maintenant de voir un peu clair dans le calendrier druidique, dernier en date, dit " de Coligny ", lieu de sa trouvaille. Pour endommagé qu’il soit, ce qui en subsiste nous permettra quelques constatations intéressantes. Les noms des mois sont tantôt empruntés à l’astro - mythologie, tantôt au domaine saisonnier ou agricole. Enumérons-les: ELEMBIUS. ÆDRINNIS, CANTLOS, SAMONIOS, DUMANNIOS, RIUROS, ANAGANTIOS, OGRONIU, CUTIOS (variante QUTIOS), GIAMONIOS, SEMIVI-SONNOS, EQUOS, J’ai déjà expliqué les trois premiers : SAMONIOS et GIAMONOS, " été " et " hiver " ne font pas de difficulté. SEMIVI-SONNOS, littéralement " Soleil des Semailles ", correspond à janvier et au Verseau. DUMANNIOS est le mois " des orages ", et le fameux " Mercure DUMIAS  " du Puy-de-Dôme était plus précisément un Jupiter tonnant. En abrégeant les considérations linguistiques, je dirai que le mois RIUROS est celui de l’épi ou de la " moisson " (primitivement des seigles, dont son nom est dérivé). Je note seulement que, comme nom de mois, Riuro joue à la fois sur le sens agricole, saisonnier et sur le sens cosmologique (Epi de notre constellation de la Vierge).

Et voici quelques remarques : En dehors des solennités religieuses, le calendrier mentionne deux catégories de fêtes fixes. Elles sont signalées par le mot PRINNI " fête, banquet ". La première sorte se nomme partout PRINNI LAGIT " fête secondaire " (irl. laigu " moindre ").Ces fêtes courent sur toute l’année par intervalles de 60 jours ou d’intervalles de 60 jours à deux. L’année est de 354 jours (et non 360), un seul intervalle est forcément irrégulier, à la limite de l’année. En effet, il se

rencontre justement entre le mois EQUOS (mois du Cheval céleste, de nos Poissons) et le mois ELEMBIUS, notre Bélier, qui était donc en Gaule la Tête de l’Année.

La seconde catégorie de fêtes est nommée PRINNI LOUDIN " fête importante ". Cette fête ne se rencontre que dans la moitié CLAIRE de l’année : des Calendes de Mai au Solstice d’Hiver. On la trouve : le 7 de Cantlos, le 7 de Samonios, le premier Dumannios. Détail important, il y a une duplication au mois RIUROS, les 2 et 8. Nous finissons au 4 Cutios. Ceci donne 174 jours, or la mi-année est de 177 jours. Reportons-nous au 7 Cutios et nous trouvons la mention GIAMON PRINNI LAG. C’est que nous sommes à la période " noire " de l’année et ne pouvons rencontrer qu’une fête secondaire. Fête du mois GIAMON ! Non : fête de l’HIVER ! Et, à l’opposite, le 7 Cantlos, nous avons une fête importante parce qu’en période claire : SAMON PRINNI LOUD, c’est - à - dire fête de l’ETE (gall. haf, de *SAMO- " été ").

Les mots TIOCO BREXTIO signalent les grandes solennités rituelles, et se laissent interpréter " cérémonie rituelle fixe ". BREXTIO a pour correspondant l’avestique BeReG (cérémonie religieuse " (1). TIOCO (ca. *STEIKO-/*STOIKO) peut signifier "fixe, stable, inébranlable ".

Les dates de ces cérémonies sont parlantes :

7 ELEMBIUS : Equinoxe de Printemps

15 CANTLOS  : Solstice d’Eté

7 GIAMON : Solstice d’Hiver.

Le décalage de la fête du Solstice d’Eté est motivé : aucune grande fête n’ayant lieu dans la seconde quinzaine (quinzaine "noire") des mois.

Je passe sur des abréviations secondaires, étudiées dans " Visages du Druidisme ". Jetons un dernier regard sur le mois RIUROS, puis sur les deux mois complémentaires dont j’ai omis de parler.

Riuros est le mois de la " moisson " (RIVOS). Le treizième jour porte la mention : DEVO RIVO RIURI (jour du dieu (devos) de la moisson. Qui peut-il être ? On va tenter de le dire ! Et les 2 et 8 du .même mois, notation PRINNI LOUD. L’une de ces festivités me semble être en l’honneur de la TERRE-MERE, l’autre en celui de son parèdre. DEVO-RIVO, ou LUGUS.

Puis, le 4, on lit : BRIG. RIURI. Brig est à compléter en BRIGANTIAE. Fête rituelle de la Nature - Mère, BRIGANTIA (la Brigit irlandaise), mère des moissons, comme DEVO RIVO précisait la même solennité religieuse pour son époux LUGUS ou DEVO RIVO. Soit deux festivités " profanes " et deux festivités " sacrées ", les unes éclairant le sens des autres, équivalent continental de la Lugnasad insulaire.

Par l’artifice de deux mois intercalaires, tous les deux ans et demi, le lustre de cinq ans portait l'année moyenne de 354 à 365 jours1/2, car ces deux mois étaient de 30 jours, mais j’ai lieu de supposer une alternative de 29 à 30 jours, lustre après lustre, le calendrier n’étant rédigé que pour cinq ans.

Quoi qu’il en soit, ces mois se nommaient l’un QUIMON " cessation, arrêt " (thème QEI-), l'autre CIALLOS, terme déjà expliqué par Joseph Loth. Et il porte une datation dont j’ai fourni, je crois, la clé voici bien longtemps : AMMAN 2013 - LAT 385. Soit : Ere gauloise 2013 : ère latine 385. D’où j’en déduis qu’on pourrait dater ce. calendrier, à quelques lustres près, du troisième siècle de notre ère, peu après la révolte des Bagaudes ? .

En fin de l’autre mois complémentaire, une inscription, très mutilée, se laisse

néanmoins restituer avec une marge d’hypothèse qui ne sera probablement pas du goût de tous les celtisants. Voici ledit texte : AMB RIXTIO COB 10 CAR IEDIT O XANTIA POG DEDOR TONI IN QUIMON que je rétablis :

AMB RIXTION tioCOBrextIO CARrIEDIT OuXANTIA POGe DEDOR TONI IN QUIMON

soit : " En vue de régularisation, la cérémonie solennelle fixe (tioco - brextio) a été transférée de la fin (celle du mois cantlos du demi - lustre précédent) pour être placée dans Quimon, en temps (c’est - à - dire au moment voulu). Et le texte s’éclaire : la fête rituelle décalée après deux ans et demi d’un comput distinct de celui du calendrier, semble-t-il (cf. la datation 2014) a été pour remise au point et régularisation d’époque reportée à titre exceptionnel dans le mois complémentaire de Quimon par lequel débute notre texte. Il est vraiment regrettable que les jours dudit mois soient parmi les plus endommagés de notre calendrier, car la mention TIOCOBREXTIO aurait donné à mon interprétation un poids qu'elle ne saurait réclamer.

Quoi qu’on en pense, nous connaissons le système celtique de supputation du temps. Ses traits " binaires " (demi - lustre, période " noire " de .l’année, quinzaine " noire " du mois) renferment des survivances ou des références à des temps archaïques. L’ère 2013 (- 3O0 ans environ) est celle qui nous ramène à quelque 1800 ans avant notre ère, époque de l’édification du mémorial panceltique de Stonehenge. Enfin, le siècle gaulois était, semble-t-il, de 30 ans, théoriquement déterminé (théoriquement ou symboliquement) par la conjonction de Saturne avec AEDRINI ; l’oeil rouge du Taureau. L’année gauloise commençait bien au printemps (et non à la " nuit - mère" hivernale des Germains).


(1) - (S)TIOCO - représente un traitement particulier à la langue gauloise comme on peut le voir par GIAMON - " hiver ", auprès de l’indo-européen GHEIMO-

Le rapprochement BREXTIO- / BeReG me permet de souligner ce fait que le druidisme orthodoxe est plus proche, pour ses conceptions religieuses et morales du monde iranien ou, si l’on veut de zoroastrisme que de l’Inde védique ou de, l’ Irlande schismatique.