À propos de la Décade Hébraïque
Dans une précédente étude (1), nous nous sommes attachés à signaler le danger des généralisations hâtives. C'est ce travers qui pousse un certain nombre de spiritualistes et d'occultistes modernes à établir, entre des traditions fort différentes, des concordances factices. Contrairement à l'opinion des plus irréfléchis d'entre eux, nous avons affirmé, entre autres choses, qu'il n'y a pas une, mais des sciences des nombres. Autant de points de vue, autant de systèmes arithmosophiques. Mieux, au sein d'une même tradition, peuvent coexister plusieurs systèmes numériques passablement hétérogènes. Dans la tradition hébraïque, on peut en distinguer deux. Le premier est celui qu'a restitué Fabre d'Olivet en s'appuyant sur des considérations linguistiques. Il sert de clef au symbolisme numéral de la Genèse. Le second est celui des qabbalistes Juifs dont « l'Arbre des Sephiroth » est le schéma constitutif. Dans le premier de ces systèmes, le plus conforme, croyons-nous, aux en enseignements transmis par le rédacteur du Pentateuque, les nombres (2) suggèrent les idées suivantes : Un, AHD, le principe même, le diviseur, l'essence absolue. Deux, Sh'N, le principe autre, le divisible, la cause des oppositions, Trois, Sh'LOSh, le principe conciliateur, source des unifications relatives. Quatre, ARBW, la force multiplicatrice qui diffuse à travers l'Étendue. Cinq, H'MSh, la force particularisatrice, qui resserre, condense, échauffe. Six, ShYSh, la force équilibrante, origine de toute progression harmonique. Sept, ShBW, le mouvement qui porte vers le principe et dissocie les formes. Huit, Sh'MNE, le mouvement qui porte vers les formes et multiplie les agrégats. Neuf, Th'ShW, la garantie mutuelle, la fonction conservatrice et restauratrice. Dix, WSh'R, l'énergie factrice, la puissance réalisatrice. Sans chercher à pénétrer, pour l'instant, le sens hiéroglyphique de cette décade, ce qui nécessiterait de trop longs développements, nous en exposerons l'armature schématique pour la confronter ensuite avec celle, plus connue, des Séphiroth. En observant la signification générale des éléments constitutifs du premier système, on est frappé par le rapport évident des idées renfermées dans les nombres 3, 6, 9 ; 2, 5, 8 ; 1, 4, 7 ; de plus, il est aisé de remarquer que le nombre 3 concilie les éléments opposés 1 et 2 ; que 6 joue le même rôle vis à vis de 4 et 5 ; que 9 résume et régularise la double tendance 7 et 8 ; 10, enfin, est la synthèse et la réalisation objective de l'ensemble. On peut donc avec certitude attribuer les termes 1, 4, 7, au principe actif ; 2, 5, 8, au principe passif ; 3, 6, 9, au principe équilibrant. Les deux dernières triades ne font que développer les virtualités contenues dans la première. Si l'on examine le schéma des Sephiroth, on verra qu'il procède, comme celui que nous venons d'exposer, par trois ternaires complétés par un élément de réalisation. Mais, si l'on compare les deux systèmes d'après la clef ternaire qui en constitue la charpente, leur irréductibilité apparaît de suite : Comme le tableau permet de s'en rendre compte, le désaccord du schéma Séphirotique avec le schéma Numérique, découle du rôle joué par le premier ternaire. Dans le schéma Numérique, le principe un est actif : c'est l'essence indivisible à laquelle s'oppose le principe deux (matière universelle), et ces deux termes trouvent leur équilibre dans le principe trois. Ce système est donc dans la pure orthodoxie de Moïse, que F. d'Olivet résume par cet aphorisme : Dans le schéma Séphirotique, le principe initial est neutre (4). Il se polarise en : deux (qui joue le rôle positif attribué au principe un dans le précédent système), et trois (qui joue le rôle négatif attribué au principe deux dans le schéma Numérique). Si, donc, de telles divergences de principes peuvent se faire jour successivement, au sein d'une tradition relativement homogène, à quelles erreurs n'arriverait-on pas en cherchant à faire concorder à tout prix les symboles et les concepts de traditions divergentes. Confondre n'est pas unifier, c'est ce qu'oublient parfois ceux qui tentent, avec de louables intentions, de renfermer dans le même cadre, des systèmes essentiellement hétérogènes. Chacun d'eux possède sa valeur propre, ses avantages et ses inconvénients. Chacun d'eux, créé pour telle mentalité, pour telle race, pour telle époque, a son utilité particulière. Mais, à vouloir les concilier tous, on risque de perdre de vue ce qui, justement, constitue l'originalité de chacun. N'est-ce pas aussi pour ceux qui croient pouvoir assimiler le Christianisme à tant de traditions non chrétiennes, sous couleur d'en admirer la parfaite orthodoxie, n'est-ce pas aussi pour eux que Jésus a dit : C'est pourquoi, devant la multitude des systèmes métaphysiques, tous admirables, tous différents, il vaut mieux pour nous, occidentaux, nous enquérir d'abord de l'unique nécessaire : Chercher le Royaume et Sa justice, puisque tout le reste, (puissance, sagesse, béatitude), nous sera accordé par surcroît. A. SAVORET.
(1) Les Pseudo-synthèses. (2) Il demeure bien entendu que nous n'avons pas la prétention d'exprimer autre chose qu'une approximation de leur sens moyen, ceci, sauf erreur de notre part. (3) Nous nous permettrons de rappeler ici ce que nous écrivions dans « Le Mirage Oriental » : « Les divergences de tous les systèmes cosmogoniques proviennent d'un désaccord fondamental au sujet des relations mutuelles des deux principes complémentaires de la création. Ces systèmes se réduisent à quatre : 1º prééminence du Principe viril et créateur sur le principe féminin et formateur, c'est le système auquel se réfère la tradition Judéo-Chrétienne ; 2º prééminence du principe formateur et naturel sur le principe actif et naturant, ce fut la thèse d'Irshou ; 3° hermaphrodisme universel et équivalence des deux principes, ce fut, s'il faut en croire F. d'Olivet, la métaphysique de Krishna ; 4° équivalence des deux principes, avec inaptitude absolue à reconstituer leur unité primitive, c'est le système diarchique ou manichéen. » (4) Il est bien considéré parfois comme actif par rapport aux autres termes, mais de la même façon que la source est active par rapport au fleuve qui en découle. |