Le sujet dont, je voudrais vous entretenir rapidement est infiniment vaste et complexe. Il se Peut qu'à m'écouter vous sentiez combien il me dépasse. Cela, je le sens aussi, croyez-le, et si je requiers d'abord votre indulgence, tenez pour assuré que ce n'est point là une simple clause de style.
D'autres sujets m'auraient été plus familiers ; surtout, ils ne m'auraient pas donné, au même degré, l'impression d'être au-dessous de ma tâche.
J'ai estimé que les heures angoissantes que nous venons de traverser, celles aussi que nous traverserons bientôt, selon toutes probabilités, me commandaient de faire passer au second plan mes recherches d'ordre purement intellectuel et, ce faisant, je ne crois pas m'écarter des principes fondamentaux autour desquels nous nous sommes groupés.
Je n'ai pas la prétention de vous apporter des vues neuves. Je pense, au contraire, que certaines choses connues doivent être redites, tant est puissante la faculté d'oubli de l'homme, - surtout quand cet homme a l'avantage, ou le défaut, comme on voudra, - d'être français.
Dautres choses, moins connues, demanderaient à être mises en lumières, parce qu'essentielles. je m'y essaierai de mon mieux, mais, en guise de flambeau, vous devrez vous contenter de mon modeste lumignon.
Laissez-moi d'abord préciser mon titre : La Gaule et les Forces Spirituelles.
Dans mon esprit, - dans le vôtre aussi, je pense, - je ne puis séparer la Gaule de la France, le passé du présent, les hommes d'hier de ceux d'aujourd'hui. Et j'entends par « Gaule » une entité géographique, une continuité historique, une fonction biologique précise, remplie par un groupe humain, avec des fortunes diverses ; enfin, un rôle préétabli, - plus ou moins bien joué selon les époques, - dans le drame terrestre, fonction lui-même du Drame universel.
Ce Drame, vous le Savez, C'est l'implacable et nécessaire combat engagé entre la Lumière et les Ténèbres, combat qui commence, pour nous, avec la Chute de l'Homme et ne se terminera qu'à sa définitive Rédemption.
Les Forces spirituelles, ce sont toutes les Puissances émanées du monde divin d'une part, du monde infernal, de l'autre, - les unes pour nous sauver, les autres pour nous perdre, - Puissances dont nos curs, nos foyers et notre sol ont été, sont et seront jusqu'à la fin, les supports, les réceptacles, les champs de bataille.
Quant aux forces psychiques, qui jouent ici comme partout je me garderai de les confondre avec les forces spirituelles qu'elles enveloppent et prolongent parfois, mais dont elles différent du tout au tout.
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Dire de la France qu'elle est « la fille aînée du Christ », c'est énoncer une banalité. Mais, pour banale qu'elle soit, cette assertion n'en est pas moins exacte. C'est notre gloire et notre misère, notre triomphe et notre croix, la source cachée de nos biens et de nos maux, la clé vivante de notre Histoire, que cette « banalité » à laquelle nous ne prêtons presque aucune attention, à force d'en avoir eu les oreilles rebattues !
N'oublions pas que les grandes vérités sont simples et qu'elles échappent trop souvent, par là-même, à nos cerveaux compliqués. Elles sont aussi très vieilles, « vieilles comme le monde », dit-on avec assez de raison Aussi, elles ne frappent plus nos âmes, éprises de changement et de nouveautés.
Donc, la France, « fille aînée du Christ », s'adresse à nous, Français d'aujourd'hui, comme elle s'adressa aux ancêtres disparus... Et que peut-elle nous demander, sinon que nous lui ressemblions, sinon que nous soyons, à son image, des enfants du Christ, conscients de leur tâche, de leur devoir, de leur mission ?
Ne nous laissons pas, cependant, égarer par l'orgueil.
Comprenons, - comprenons clairement, - que cette prééminence de la France, dans le domaine spirituel, est un honneur, lourd à porter - comme l'est tout honneur. Comprenons surtout qu'elle n'octroie à nous, Français éphémères, aucun mérite spécial, mais qu'elle nous crée des devoirs particulièrement difficiles, si nous voulons agir de telle sorte que chacun retrouve, dans le visage de la France d'aujourd'hui, les traits idéaux de cette France de toujours, porteuse, parmi les nations, du Labarum mystique.
Si je voulais emprunter à une philosophie qui n'est pas « de chez nous », une image à peu près exacte, je pourrais dire, de cette France spirituelle, qu'elle est l'« impératif catégorique » des âmes qui se succèdent, depuis des millénaires, sur le sol qu'elle a élu pour champ d'activité.
Plus simplement disons que chaque pays a sa mission, comme il a ses bornes réelles, fixées d'avance. La France, comme personne spirituelle, a reçu et accepté la sienne ne varietur.
Les Français, comme individus et comme collectivité sans cesse renouvelée, - donc éphémères, - les Français, dis-je, sentent plus ou moins nettement l'aspect actuel de cette mission et, librement, s'y conforment ou s'y refusent, selon les circonstances et les époques. Dans la mesure où ils l'acceptent, ils sont aidés et protégés par Celui qui donna cette mission, le Verbe, et par celle qui l'incarne pour ainsi dire : la France vraie.
Dans la mesure où ils s'en écartent, l'aide providentielle diminue et les envoyés d'En-Bas, qui haïssent eux, la vraie France, font échouer ses efforts ou en retardent les effets.
Ainsi en est-il de la France, ainsi en fut-il de la Gaule ! J'ajouterai deux courtes remarques. Par la première, j'entends que toute nation qui remplit sa vraie fonction reçoit également l'aide d'En-Haut pour son accomplissement. La seconde est pour corriger une expression peut-être équivoque. Si un peuple s'écarte, du droit chemin, l'aide providentielle lui fait bien défaut, en proportion de la gravité de ses déviations. Dans la réalité, ce n'est pas cette aide qui diminue, c'est plutôt la réceptivité, la perméabilité de cette nation à l'influence divine, qui se restreint.
La « variable », ici, c'est l'homme. Il s'enferme égoïstement dans sa chambre, ferme ses persiennes, tire ses rideaux... et s'indigne sincèrement de ne plus voir le soleil. Aujourd'hui beaucoup de nos compatriotes, - pour ne pas parler de nos voisins, - sont dans un tel cas. Aidons-les à y voir plus clair, c'est là une tâche aussi ingrate que nécessaire.
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J'ai parlé tout à l'heure de la France, comme « personne spirituelle », incarnant, pour ainsi dire, une mission à elle confiée par le Verbe. Certes, je ne saurais trop le répéter, toute nation a reçu sa mission particulière. Celle de la France est cependant, pour des raisons que je ne puis développer ce soir, la plus importante, la plus difficile aussi. Il est donc normal que ce soit celle dont l'accomplissement rencontre le plus d'obstacles - et reçoive les secours les plus éclatants et les plus imprévus.
Ce n'est pas pour rien que le voeu de Louis XIII a fait du Royaume des Lys celui de la Reine des Anges.
Ce n'est pas pour rien que Jeanne d'Arc, deux siècles avant Louis XIII, demanda à Charles VII de lui faire don de son royaume pour l'offrir, à son tour, au Roi du Ciel, dont le roi de France n'est depuis lors que l' « économe » - parfois infidèle.
Ainsi la France est le seul pays qui ait reconnu Pour roi le Christ et la Vierge pour reine.
Mais n'est-ce pas aussi le seul pays où le miracle se soit installé, pour ainsi dire, en permanence et où tout a été sauvé, tant de fois, alors que tout semblait - humainement - perdu ?
je crois inutile de vous rappeler, l'une après l'autre, les pages merveilleuses de notre histoire. Vous les connaissez aussi bien que moi. Evoquez-les parfois quand le doute vous tenaille ; repassez-les dans votre mémoire et puisez-y une tranquille assurance quant aux Destins de notre patrie, car nous sommes à un de ces moments critiques où, seul, le rappel du passé peut donner la force d'envisager l'avenir sans désespérer !
Mais croyez qu'à côté de ces « grands miracles », faute desquels notre France ne serait plus qu'un souvenir, il en est d'autres, beaucoup d'autres, moins connus, moins éclatants, voire ignorés, qui rétablirent, à maintes reprises, une situation irrémédiablement compromise par les hommes.
Peut-être aurons-nous, une autre fois, l'occasion d'en reparler.
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La France, mes chers Collègues, n'est pas, essentiellement, le territoire qui porte aujourd'hui ce nom, lequel ne coïncide qu'approximativement avec les « Bornes » dont je vous parlais au début de cet entretien.
Elle n'est, non plus, la somme ou la représentation abstraite des millions d'individus qui portèrent, portent et porteront le nom de Français.
Elle est, spirituellement, une personne. Non pas une âme collective ; non pas ce que les occultistes appellent un Egrégore ; car tout Egrégore vient d'En-Bas. Il n'est, à proprement parler, que le champ des vibrations psychiques émises par les individus qui se sont succédé sur le sol national.
Elle est, Elle, une création directe des Puissances d'En-Haut ; elle est la dépositaire d'un certain Message qu'elle nous propose de réaliser, sans cependant nous l'imposer.
Elle est donc, à l'Egrégore national, ce que l'esprit est à lâme (et j'entends par âme le psychisme) - et, aux Français d'une époque déterminée, ce que l'esprit est aux cellules du corps par lequel il agit.
On pourrait pousser beaucoup plus loin ces analogies et ces correspondances puisque, comme l'enseignaient les Anciens, « tout est dans tout ».
Pour l'instant, revenons aux faits.
On a nommé Jeanne « la Sainte de la Patrie ».
Oui, certes !... Et Plus qu'une « Sainte », peut-être, car elle incarna visiblement la France, à une époque où ce mot n'avait pas pris, pour les hommes vivant sur notre territoire, le sens unitaire et plénier que nous lui donnons. Mais ce sens - qui de nous en douterait ?- était présent à l'esprit de Jeanne d'Arc. Qui donc lui aurait inculqué une telle notion, quand personne ne la possédait ?
Ainsi, à le contempler longuement, le doux visage de Jeanne ne se confond-il pas avec le visage de la vraie France, de la France spirituelle, fille aînée du Christ, parmi ses autres filles les nations ?
Et lorsque, dans la dispersion des clans gaulois, dans leurs luttes fratricides, dans l'oubli total de ce qu'aurait dû être la Gaule une, telle que la voyaient les Druides, dans la totale imprévision de ce que serait un jour, sous le nom de France, cette même Gaule restituée d'après un modèle que les hommes n'inventèrent jamais, lorsque dans cette anarchie sans remède parut Vercingétorix, qui douterait sérieusement qu'aux yeux de cet être de Lumière, la France, - la Gaule, si vous préférez,- ne fût pas déjà présente et vivante ?
Sont-ce les événements dont il fut témoin, sont-ce les vues de ceux qu'on ose à peine nommer ses « compatriotes » qui lui fournirent les éléments de sa vision prophétique ?
N'est-ce pas, au contraire, son verbe ardent qui inspira aux Celtes, brouillons et particularistes, cette notion du « malheur commun », des « libertés communes », notion que le génie - tristement matériel -, d'un César s'avoue incapable d'expliquer ?
Quel aveu, mes chers Collègue, et à quelles profondeurs ne nous entraîne-t-il pas ! ...
Oh, ! je le sais bien, le contraste entre Vercingétorix et sont adversaire a été largement exploité par les historiens. Si largement, même, qu'on s'excuse de reprendre, une fois de plus, un thème facile et souvent ressassé.
Eh bien, il me semble, justement, que le parallèle doit être poussé plus avant et n'être pas réduit à la simple opposition de deux termes très relatifs : « courage contre technique », ou « générosité contre calcul »... Si nous réfléchissons à la totale incompréhension d'un César devant le sacrifice sans restriction du héros gaulois, - sacrifice librement consenti à une entité qui ne se révélera à tous que bien des siècles plus tard, - le contraste s'accentue jusqu'à devenir une opposition irréductible : celle de deux êtres, - toits deux exceptionnels, - incarnant chacun, à un degré suréminent, deux principes éternellement antagonistes !
Et ce contraste, dans la Gaule de Vercingétorix aussi bien que dans la France de Jeanne d'Arc, nous montre, presque à découvert, l'élément spirituel que j'indiquais tout à l'heure comme le facteur essentiel de notre histoire nationale.
Pourtant, de cette histoire, nous ne voyons guère que les faits. Sauf aux instants décisifs, tout apparaît connue le résultat de l'empirisme organisateur, le fruit de l'occasion, et il semble bien que la France soit le produit, inachevé, d'une suite d'heureux maquignonnages. Telle est du moins l'apparence, mais nous sommes ici pour rechercher, justement, ce qu'il y a derrière cette apparence. Aussi, je ne puis faire mien le « slogan » facile des « quarante rois qui firent la France », pour cette raison bien simple que mille rois ne l'auraient pas « faite » davantage.
Notez que je m'incline volontiers devant luvre des Capétiens, « rassembleurs de la terre de France », comme je m'incline, à peu d'exceptions près, devant les quarante rois précités.
Mais, du peu qui précède, vous aurez sans doute conclu avec moi qu'on ne « fabrique » pas un pays, je veux dire un vrai pays, un pays qui a un destin, une mission, une lumière propre à répandre. Les pays formés de pièces et de morceaux, par des assembleurs, soit patients, soit géniaux, ces pays-là disparaissent comme ils ont apparu précisément parce qu'ils sont des créations humaines, et rien d'autre qu'humaines.
J'ai parlé des « rassembleurs de la terre de France ». Approfondissez ce terme : rassembler n'est pas assembler, mais, strictement, assembler de nouveau, reconstruire d'après un modèle préexistant.
La vérité me semble donc plus belle que le slogan que j'ai malmené, voici quelques instants.
Pour faire la France ou, plus véridiquement, pour lui rendre ses bornes invisibles, mais immédiatement perceptibles à notre vue interne, nos rois ont lutté et travaillé, à leur honneur.
« Ils ont bien mérité de la Patrie », comme on dit (et ce lieu commun a plus de profondeur qu'on ne le pense). Ils ont dû, pour atteindre ce résultat, accepter, plus ou moins consciemment, de collaborer à luvre providentielle et de suivre les inspirations transmises par l'âme de la France, toujours vivante et forte, quelle qu'ait pu être temporairement l'étendue apparente du territoire ainsi nommé.
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Et puis, à cette lumière qui donne à l'Histoire son véritable relief, qui nous permet d'en extraire la signification profonde, sachons reconnaître où nous en sommes, ce qui nous fait défaut, ce par quoi nous sommes vulnérables, afin de retrouver non seulement le sens de nos vicissitudes historiques, ce qui serait peu, mais aussi, mais surtout, quel est, pour l'heure présente et pour les proches heures à venir, le Mandat du Ciel en ce qui concerne les destinées de notre patrie.
Si nous nous orientons dans ce sens, Si nous sommes prêts à tous les sacrifices, à toutes les luttes, à tous les efforts pour obéir à ce Mandat, la France, j'en suis persuadé retrouvera vite son vrai visage ; elle remplira de nouveau sa vraie fonction parmi les nations et redeviendra, « dans le temps », la fille aînée du Christ, qu'elle n'a d'ailleurs jamais cessé d'être, en Esprit, « hors du temps » !