LA VRAIE FRANCE (1)
- 1939 -


(1) Cet article est en quelque sorte le complément de la causerie intitulée « La Gaule et les Forces Spirituelles », reproduite dans l’Annuaire du Collège bardique des Gaules, IV, année, p. 17 et suiv. (Cet article sera prochainement recopié sur le site)
 


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    J'ai déjà fait la distinction nécessaire entre la France éternelle, création directe des Puissances d'En-Haut, et la France du moment, telle qu'elle apparaît, avec ses fluctuations, aux yeux de l'historien qui enregistre des faits et établit des statistiques.

    Faute d'une telle distinction, le problème du relèvement de notre Patrie est privé d'une partie - essentielle - de ses données, ce qui fausse ipso facto les solutions qu'il comporte.

    Nous savons que toutes les apparences matérielles sont le masque (en latin persona) à travers lequel s'expriment d'invisibles acteurs.  Chacun d'eux en est la personnalité consciente.  Et ces acteurs jouent, avec plus ou moins d'exactitude et de talent, le rôle que leur assigne le compositeur, c'est-à-dire l'Entité spirituelle qui, elle, et elle seule, sait exactement ce qu'elle veut et pourquoi elle agit et fait agir.

   Au même titre que n'importe quelle autre réalité, relative, chaque nation est constituée par ces trois éléments, et la France n'échappe pas à cette loi générale :
   Une personne qui en est le corps, l’aspect tangiblé, politiques, physiologique ; une personnalité, élément animateur et conscient, qui en est l’âme, l’aspect psychologique ; une Entité, élément principiel qui en constitue l’esprit.
 


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   J'ai dit ailleurs (1) ce qu'on pouvait présumer de l'Entité France et de sa fonction statique. Je n'y reviendrai guère, préférant insister davantage sur son aspect dynamique.

   Les Anciens disaient volontiers que le monde était plein de dieux qui s'en disputaient l'empire. Et chacun connaît le rôle significatif que jouent les « Immortels » dans l'épopée homérique. Mieux encore ! Sous l'affabulation du génial poète de la vieille Hellade, nous saisissons parfaitement que, si les dieux se mêlent aux mortels, les uns pour défendre les autres pour démanteler Ilion, ce n'est pas par un vain caprice, mais parce que cette guerre symbolique est elle-même, avant tout, une théomachie, un conflit des dieux.

   Cette prééminence accordée aux Immortels par le judicieux Homère marque vigoureusement une conception spiritualiste de la vie des nations, ou plus exactement des cités où celles-ci existaient déjà en germe.

   Ce point de vue est assez proche de celui que j'essaie de présenter.

   Une nation véritable (2), une nation qui a un destin, des chefs, une unité relative, un génie propre, une telle nation n' est pas l’œuvre du hasard. Les vicissitudes de son développement, ses revers et ses triomphes, ses réalisations dans tous les domaines expriment une nécessité interne que les individualités les mieux douées, celles dont le nom en résumera l'histoire pour les siècles, sentent plus ou moins distinctement, mais qui reste lettre morte - ou peu s’en faut - pour leurs contemporains qui, eux, ne voient que la personne, le «masque».

   Essayons de nous représenter ceci plus objectivement.
   L'Entité France dispense sur les territoires où elle veut jouer son rôle les forces spirituelles en relation avec sa fonction essentielle. Un magnétisme particulier baigne ce coin de terre et le vivifie. Les êtres individuels qui le traversent ou viennent s'y fixer à demeure ressentent plus ou moins cette ambiance subtile. Les uns la sentent en harmonie avec leur propre ambiance psychique ; d'autres y demeurent indifférents ; à d'autres encore, elle est hostile ou antipathique.

   Après des siècles et des siècles d'efforts, nous voyons se former, encore bien fluide et bien indécise, une Gaule pleine de luttes, de contrastes, d'incompréhensions mutuelles, mais où, tout de même, un petit noyau d'êtres d'élite réalise en soi, par anticipation, la splendide unité qui ne sera manifeste que bien plus tard, alors que le nom même de Gaule aura définitivement sombré avec les institutions qu'elle connut.

   L'élite dont je parle sera le support de l'influence spirituelle projetée par l'Entité. Aux heures graves, un chef, Druide ou Guerrier, la réfléchira et la condensera toute en lui.

   Mais un tel chef ne peut être un homme quelconque ; il doit appartenir à la très mince cohorte des génies, et son oeuvre matérielle ne sera rien, comparativement à l'impulsion spirituelle qui lui survivra. Qu'on pèse, par exemple, l'apport vraiment surhumain d'un Vercingétorix ! Selon les apparences, et à ne considérer que la « persona », c'est un vaincu, et la Gaule, en tant que nation indépendante, meurt de son échec. César et ses amis - notre Gaule, hélas ! n'en manquait pas - triomphent sur toute ta ligne.

   En réalité, le sacrifice de l'être de lumière a libéré des énergies incalculables, indestructibles. A l'heure suprême, il ne fait qu'un, pour ainsi dire, avec la personnalité de sa nation. La personne matérielle : hommes, institutions, cités, succombe. Mais l'Entité, qui n'y rencontre plus l'instrument de ses desseins, préside au remaniement total de ce coin de terre, vivifié d'un sang généreux. La personnalité Gaule ressuscite sous un autre aspect : la France.  Et cette dernière sera en peu de temps - quelques siècles - une réalité plus achevée que la réalité Gaule, malgré qu'encore imparfaite, alors que 12 pays du « vainqueur » apparent ne connaîtra pendant longtemps que la division et l'anarchie.

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   Et toujours, l'Entité, infatigable, suscite des chefs.

   Ceux-ci, le plus souvent, n'ont pas conscience de la mission spirituelle qu'ils remplissent plus ou moins exactement. Ils sont, pour la plupart, bien au-dessous de ce que l'Entité attendait d'eux.

   Cependant, lentement, maladroitement, ces chefs modèlent avec l'aide du temps une nation qui, en tant que personne matérielle, ne ressemble que de très loin à ce que veut réaliser l'Entité.  Et inlassablement cette dernière répand toujours sur la terre qu'elle s'est choisie les forces spirituelles adéquates, forces qui s'incorporent ici et là dans des héros ou des saints. L'image, longtemps demeurée floue, se précise.  Ce qu'est la vraie France, ce que doit devenir la France du moment, quelques-uns le sentent, le voient intérieurement. Puis cette perception se diffuse et le nombre de ceux qui la ressentent s'accroît. Finalement une France, toute petite, éclôt..

   Pour les contemporains, c'est une construction tout empirique, fragile et qu'ils estiment « raisonnablement » sans lendemain.  Cette France minuscule est, en effet, bien menacée, au dehors autant qu'au dedans. Mais elle a un roi, un roi qui croit en elle, qui croit au Christ, qui s'en estime le mandataire responsable et qui sent - parfois confusément parfois très clairement - le rôle qu'il lui faut jouer.

   Quoi qu'il arrive, cette France vivra ; sa personnalité vigoureuse, mais, hélas ! indisciplinée, s'affirme, se développe et sa personne du moment en suit à peu près les impulsions.

   Certes, la lutte continue, serrée, entre les éléments temporaires qui acceptent l'impulsion venue d'En?Haut et ceux qui s'y opposent. Mais cette lutte est inévitable. N'est-elle pas partout, en ce monde, et, en premier lieu, dans notre propre personne individuelle, toujours double, toujours en guerre contre elle-même ? Cela, c'est la Loi de la Terre ! La Loi d'En-Haut c'est l'harmonie, l'ordre, l'unité.

   Cette petite France qui sera un jour le cœur de l'Occident, le foyer le plus actif de la civilisation chrétienne a de puissants ennemis (3). Mais le Ciel veille. LEntité anime des soldats qui sauveront ce corps qu'est la France du moment, par l'intermédiaire de cette âme qu'est sa personnalité agissante.

   Ce corps, cette France tangible, sera souvent malade, blessée, quasi moribonde. Mais la personnalité France, avec d'autres éléments individuels, reprendra son œuvre où elle l'avait momentanément suspendue et la guérison viendra, parfois incroyablement rapide, parfois progressive, quelquefois humainement inexplicable.

   Il n'y a qu'à consulter notre histoire pour constater que notre patrie tantôt s'affirme comme le pion nier de la civilisation chrétienne ? et elle est alors victorieuse et florissante - tantôt s'écarte de sa voie traditionnelle - et elle connaît à brève échéance la défaite, la détresse, le chaos social et politique.

   L'on me dira sans doute que je viens d'énoncer un lieu commun. j'en conviens de bonne grâce, mais s'il devient vite insipide d'abuser des lieux communs, n'oublions pas qu'il est mortellement dangereux de les négliger.

   Après le chaos révolutionnaire, apparaît Napoléon qui y met fin avec la rapidité que l'on sait. Prédit trois siècles à l'avance par Nostradamus, cet être exceptionnel est aujourd'hui jugé bien diversement. Retenons seulement le rôle providentiel qu'il joua dans la première partie de sa vie publique, l'échec que lui valurent ensuite son orgueil et son ambition.

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   Aujourd'hui, après cent cinquante ans de révolution athée, on peut dire que la personne de la France, est plus la caricature que l'image fidèle de sa personnalité. Et ceci, depuis bien des années, elle en a le sentiment, peut-être vague, mais tenace. Car elle aspire à guérir. Elle veut et doit vivre. Il est normal qu'elle cherche, instinctivement, le médecin qui portera remède à ses maux. Pour l'instant, elle ne sait trop où le trouver - ou le retrouver. Tout ce qu'elle sait, à la suite de coûteuses expériences, c'est qu'elle ne l’a pas encore trouvé et que les idéologies en lesquelles elle avait placé ses espoirs ne renferment pas le remède annoncé. Mais si la personne peut sembler gangrenée, n'oublions pas que l'Entité veille.  Qu'elle connaît, elle, et le médecin et le remède. Et que, comme par le passé, elle suscitera infailliblement, à l'heure voulue et de façon imprévisible, celui ou ceux qui seront le support humain de son action médiatrice.

   De nouveaux influx spirituels viendront baigner l'atmosphère du pays, les forces réorganisatrices se mettront à l’œuvre, comme tant de fois jadis, et les cellules mortes seront éliminées pour que la France reprenne son rang et son rôle réels, transfigurée ou plutôt - qu'on me passe ce néologisme hardi - transcorporée ! Elle reprendra conscience de sa vraie personnalité, condition nécessaire d'une renaissance profonde et durable. Et, à travers cette, personnalité, elle s'unira de nouveau à son Entité spirituelle, fille du Verbe et porteuse - elle - de Sa Lumière parmi les nations. Usons d'une comparaison empruntée aux Ecritures. Celle-ci soulignent le rôle analogue d'Israël parmi les nations, antérieurement à la venue du Christ. L'Entité ou le Principe qui suscita Abraham, Moïse, Daniel, Isaïe et quelques autres serviteurs conscients du Plan providentiel, cette Entité, dis-je, était libre et parfaitement indépendante des fautes, des écarts et des rébellions de telle ou telle génération dit peuple, élu sans doute, mais récalcitrant sans conteste

   Et toutes les énergies spirituelles accumulées en vue de l'aider à remplir sa mission se trouvèrent  spontanément libérées quand la personne d'Israël refusa de reconnaître son Sauveur. Elles cherchèrent ailleurs - car de telles énergies sont par définition indestructibles - un autre groupement humain qui leur servît de support et de diffuseur. Le peuple juif, abandonné à ses seuls instincts, tomba en putréfaction politique et sociale. Il lui fallait mourir ou changer radicalement - ce qui est aussi une mort d'un certain genre. Et il ne se survécut, comme nation, - quoique errante et dispersée, - qu'en se Vouant à un autre Maître, en se donnant à une autre Entité, opposée en tout à celle qu'il servait auparavant, puisqu'il est écrit : « Tu ne serviras pas deux Maîtres, Dieu et Mammon !»

   Si le groupement humain qui, dans sa personnalité, reprit le flambeau tombé des mains d'Israël , venait dans sa personne, son organisme matériel et social, à renier délibérément les principes qui constituent sa raison d'être et d'agir il n'en irait pas autrement pour lui que pour Israël, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Il consommerait son suicide moral et sa ruine matérielle, à moins qu'il ne retrouvât, lui aussi, un semblant de vie nationale et de raison d'être en se liant aux forces spirituelles inversives, toujours à l'affût.

   Et il en irait de même pour tout autre groupement national.

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   La France ne saurait échapper à cette loi d'ordre général. Porteuse d'une certaine Lumière, il faut qu'elle la fasse rayonner autour d'elle ou qu'elle se renie elle-même. Malgré bien des éclipses, on peut affirmer hautement qu'elle n'en est heureusement pas là - au contraire.

   Sans la confondre avec la France « du moment », exaltons la France éternelle.  Ne nous y trompons pas. Cette France qui combat aujourd'hui sans passion et sans faiblesse, c'est à la fois l'une et l'autre. Agissons donc, dans la sphère où un juste décret du sort nous a placés, pour que le visage de cette France du moment ressemble toujours davantage à son modèle impérissable.

   Bien des signes encourageants nous montrent que cette oeuvre est en bonne voie. Persévérons dans cet effort qui s'offre à toutes les bonnes volontés. Cherchons à traduire toujours plus fidèlement le message d'En-Haut et les adversaires de la France seront réduits à l'impuissance, leurs projets d'asservissement seront confondus et notre patrie ne fera qu'un avec son radieux génie, cette France éternelle qui vaut qu'on se batte, qu'on se sacrifie - et qu'on se discipline, enfin - pour elle !

   Certes, partout, en toute contrée, l'ivraie et le bon grain sont mêlés.  Mais seulement pour un temps, jusqu'à l'heure de la moisson, comme le disent clairement les Evangiles.

   Et la moisson viendra. Ou plutôt elle vient déjà, mais nous ne savons plus discerner les signes des temps.

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   « La figure de ce monde passe », nous dit saint Paul.  Oui, et celle des nations de ce monde également.  Mais rien ne meurt réellement.  La « figure de la France » a souvent passé au cours des siècles de son histoire, sans parler des temps ignorés où elle se modela lentement.  Qu'on se souvienne de la Gaule, des Invasions, de Charlemagne, du « petit roi de Bourges », de Napoléon, de nos républiques et de nos restaurations. Qu'on revive par la pensée les affres de l'An Mille, les horreurs de la guerre de Cent ans, les massacres et les guerres civiles de la Révolution, et, de ce tableau d'agonie et de deuil, qu'on passe à son antithèse, à nos gloires, à nos bonheurs, à nos oeuvres de lumière.

   Qui pourrait alors désespérer ?
   La France se sauve une fois de plus matériellement par les armes.  Soyons assurés qu'elle Se Sauvera aussi spirituellement et qu'il lui reste encore à proférer, comme l'écrivait Jacques Heugel, voici quelques années, « une parole qui étonnera la Terre ».

A. SAVORET.

(1) Voir le texte « La Gaule et les forces Spirituelles », de l'Annuaire du C. B. G. IV, année, p. 17 et suiv.

(2) Un conglomérat de peuples, artificiellement formé pour un temps, telle l'Allemagne actuelle, n'est pas une nation. Elle n'a pas de destin propre, mais est entraînée dans le destin de la nation qui la domine momentanément, en l'occurrence, La Prusse.

(3) Et l'on pourrait distinguer ici ses ennemis de principe de ses ennemis du moment, ses ennemis ouverts de ses ennemis occultes. Toute la trame asianico-templière apparaît brusquement en demi-lumière au moment de la Guerre de Cent ans, pour se replonger dans l'ombre d'où elle émergera trois siècles et demi plus tard !