Nous avons exposé ailleurs que la plus ancienne année fut d'abord solaire et que les plus anciennes cosmogonies portent des traces visibles d'une époque où les deux principes dont la lutte constitue le mouvement cosmique étaient représentés par le Soleil, le jour ou la lumière, d'une part, et par la Nuit ou la Ténèbre, d'autre part, et non par le Soleil et la Lune. Dernièrement, un spécialiste de la préhistoire, le Docteur Marcel Baudoin, soulignait l'absence totale de représentations de l'astre des nuits dans le préhistorique ancien, alors que les symboles solaires et stellaires y occupent une place de choix. Selon son expression même, « en préhistoire, la lune n'apparaît jamais ». Ces faits nous obligent à réviser des opinions admises et à essayer de préciser - tâche quelque peu aventureuse - l'époque où notre aimable satellite vint nous tenir compagnie. Tout dernièrement, le savant allemand Horbiger a émis une théorie très personnelle, celle de lunes successives s'approchant de notre globe pour venir s'y écraser, après avoir déterminé, par leur attraction, un bourrelet d'eaux considérable, cause de ce que nous nommons déluges. L'hypothèse, invérifiable pour les lunes qui auraient pu précéder la nôtre, vaut peut-être pour celle-ci. L'intervention d'un astre dans un système qui n'en comportait pas, originellement, doit se traduire par deux phénomènes, l'un immédiat, inclinaison de la terre sur son axe, à la recherche d'un nouvel équilibre, avec changement dans la répartition des terres et des mers ; l'autre, continu, le phénomène des marées. Dans sa traduction du début de la Genèse, Fabre d'Olivet fait nettement allusion à ces deux phénomènes ; on notera les passages où il parle d'une certaine « lumière nocturne » dégagée de l'Arche à la fin du déluge, où, en note, le mot « lune » est écrit en toutes lettres, ainsi que celui où il parle du mouvement « alternatif » imprimé aux eaux en synchronisme avec la poursuite de l'Erèbe et de l'Ionah, où l'on ne peut s'empêcher de voir la phase obscure et la phase lumineuse de notre satellite. Il est à remarquer, d'ailleurs, que dans le récit de la création des « luminaires », Moïse ne parle ni du Soleil, ni de la Lune (1). Relier l'arrivée de la Lune dans le champ de l'attraction terrestre à la catastrophe qui provoqua la submersion de l'Atlantide et le début de la dernière grande glaciation n'est donc pas chose impossible. Cette catastrophe peut être située sept mille cinq cents ans avant notre ère, en chiffres ronds. Ce serait donc la date de naissance, ou plutôt d'adoption - bien involontaire - de notre satellite. S'il en va ainsi, les traditions concernant les peuples « pré-sélénites » méritent un examen plus attentif. La rectification savante qui transforme présélénites en « pré-Hellènes » n'est peut-être pas sans appel. C'est au cours de la période post-diluvienne que la Lune prend place peu à peu dans les cosmogonies antiques et qu'elle est utilisée dans la religieuse d'abord, artistique ensuite. Relatant les traditions des Chibchas, H. Beuchat (Manuel d'Archéologie Américaine), nous met sur la piste : le héros civilisateur Bochica avait pris pour femme un être méchant et pervers, ennemi des hommes. « Ne pouvant vaincre l'influence du héros, elle fit, par ses artifices magiques, grossir de telle façon la rivière de Funzha que les eaux inondèrent toute la vallée de Bogota. Beaucoup d'Indiens périrent ; quelques-uns seulement purent s'échapper sur la cime des montagnes voisines. Bochica irrité chassa alors sa femme loin de la terre. Elle devint la Lune, chargée d'éclairer les nuits. » Le même auteur rapporte une autre tradition, également curieuse : « Puis l'un des caciques créateurs des hommes monta au ciel et devint le Soleil. Pour éclairer la nuit, l'autre monta au ciel plus tard, et devint la Lune ». Ces deux légendes concordent parfaitement pour l'essentiel. Nous y voyons la Lune dernière venue, associée au mal et à un déluge dont la tradition locale s'était conservée. (2). Dans une intéressante étude sur la religion et l'art des Mayas, M. E. P. Dieseldorff montre que cette religion reposait sur l'opposition de Tzultaca et de Main, personnifications du Bien et du Mal dans la nature. La Lune est l'hiéroglyphe de Main, le mauvais principe. Le chat démoniaque des Nascas et des Péruviens représente de même la pleine lune ; la plaque en granit de Chavin figure Mam et la nouvelle lune. On s'explique mieux, après ce qui précède, l'original comput du temps qu'on trouve chez les populations américaines, ces périodes de 260 jours, comprenant vingt signes de treize jours chacun. Ce comput selon toute apparence serait le vestige d'une civilisation « prélunaire » ou, ce qui revient au même, « prédiluvienne ». D'autre part, le nom indo-européen de la Lune et du mois nous ramène à une période antérieure à la « Geste » de Rama-Chandra, soit, au moins vers le sixième millénaire avant notre ère. D'autres faits, d'autres traditions pourraient encore être invoquées qui nous ramèneraient aux mêmes conclusions et nous replaceraient aux mêmes dates. Il y a là une voie curieuse, ouverte aux chercheurs patients. Il nous suffit pour l'instant de la leur signaler.
ESSA
(1) Voir Psyché (1034) « La Création des Luminaires » (2) Signalons ici un article très remarquable de M. H. Roulleaux-Dugage : La Précession des Équinoxes. et le Déplacement de l'Axe de rotation de la Terre, paru dans « La Géographie » de novembre 1921. L'auteur montre que les variations d'inclinaison de la Terre sur un axe de rotation supposé immuable n'expliquent pas les phénomènes des dernières périodes géologiques. Une variation de cette inclinaison combinée à une oscillation des points polaires, par rapport à la terre elle-même, permet d'expliquer à la fois les changements de climats, les régressions et transgressions des mers et les modifications de l'azimut du soleil depuis l'antiquité. Le rythme de cette période de translation polaire est intéressant à suivre. Jusqu'à, l'époque de Saint-Louis, le climat de la France, par exemple, n'a cessé de s'adoucir pour se refroidir ensuite progressivement jusqu'à nos jours. M. Roulleaux-Dugage montre que le mouvement de déplacement de la masse des eaux de notre globe (signalé déjà par Fabre d'Olivet comme lié aux phénomènes résultant du Déluge) doit provenir d'une influence extérieure à la Terre. Il rappelle, d'après M. de Lapparent, qu'en vertu des principes fondamentaux de la mécanique la permanence d'un axe de rotation n'est acquise que si cet axe coïncide avec un axe principal d'inertie ; si la Terre vient à subir des changements capables d'altérer la position de son axe d'inertie, il doit en résulter un déplacement correspondant de l'axe, de rotation. Il est permis de supposer que l'arrivée d'une masse gravitante nouvelle dans l'économie terrestre, en dehors de l'inclinaison brusque de notre globe sur l'écliptique, a pu modifier le système d'équilibre et déplacer. Le point d'inertie relative, entraînant un second mouvement de déplacement des pôles. Dès lors, la masse aqueuse du globe, infiniment plus mobile que celle des terres, suit un mouvement de translation, conformément aux exigences de la mécanique. |