RÉFLEXIONS SUR LES PROCESSUS MORBIDES


Le Philosophe (Khong-tseu) disait :
« Je transmets, je n'innove Pas »
Lun-Yu.

     S'il est exact qu'une mystérieuse sympathie enchaîne les uns aux autres les êtres de l'univers, s'il est, vrai, comme l'enseignent tous les ésotérismes, que le moindre déséquilibre dans les sphères supérieures ait sa répercussion dans les inférieures, et réciproquement, il est possible d'en conclure que telle maladie, telle catastrophe, ne font que traduire, selon le rythme propre à notre mode d'existence, des déviations d'ordre moral ou spirituel. Quoique, depuis la venue du Christ, cette règle souffre de nombreuses exceptions, (la Loi d'Amour contrebalançant ici-bas, jusqu'à un certain point, celle de Rigueur), elle est, croyons-nous, valable dans la majorité des cas : l'homme n'a que trop tendance à s'abandonner au Destin et à négliger la Providence, pour qu'il en aille autrement.

     Si donc des épreuves individuelles sont en rapports analogiques avec d'individuelles infractions à la Loi, il est probable que des épreuves collectives, et en particulier les grands fléaux épidémiques, soient en rapports avec l'esprit du temps où ils se manifestent et les déviations des races sur lesquelles ils sévissent.

     Le cancer, pour prendre un exemple, est le fléau du siècle et menace d'arracher à la tuberculose même, le sceptre de la mortalité. Or, si nous nous abstenons d'aborder le problème médical de cette maladie, nous pourrons la considérer, sous l'angle analogique, comme une anarchie des cellules sous l'influence d'une excitation mal définie (virus microbien, ambiance ou alimentation pernicieuse, etc... ) comme une crise d'individualisme cellulaire, de rébellion intra-organique, si l'on veut bien admettre cette image (1).

     Mais, ne voyons-nous pas, autour de nous, bouillonner la même anarchie, le même individualisme exacerbé, le même désir chez l'individu, cellule sociale, de « vivre sa vie », « d'arriver » ? Et quand il se groupe avec ses semblables, pour bénéficier de la force du nombre, n'est-ce pas en formations le plus souvent agressives, pour revendiquer ses droits particuliers au détriment des devoirs que lui impose son rang dans la hiérarchie sociale ?

     Ne voyons-nous pas les grandes capitales, les villes tentaculaires, devenir le cancer rongeur des pays ? Ne constatons-nous pas, partout, la lutte sourde ou déclarée de l'individu contre l'ordre établi ? Cet esprit se manifeste dans les plus petites choses : Qu'il s'agisse d'attendre son tour pour prendre place dans un autobus ou de faire dix pas supplémentaires, pour ne pas entraver la circulation dans un carrefour encombré, nous remarquions de suite quelles impulsions à la révolte, à l'impatience, au sans-gêne, animent bon nombre de nos contemporains. Or, le Christ a déclaré : « Qui n'est pas fidèle dans les petites choses, ne le sera pas non plus dans les grandes ».

     Poursuivons nos analogies. De même que l'organisme se défend longtemps avant de succomber au mal, de même, l'organisme social lutte à grands renforts d'arrêtés, de règlements, de répressions, contre l'exaltation de l'égoïsme individuel qui finira probablement par l'emporter ; de même que dans le corps humain infecté, dans le corps de cet être collectif qu'est l'Europe, un organe faible, « prédisposé », peut servir de localisation temporairement palliative aux éléments morbides.

     Ce qui se passe en Russie rouge n'est-il pas l'illustration d'un tel phénomène ?

     Mais, prenons garde ! Le cancer localisé en un point de l'organisme, n'est qu'une étape dans le processus d'envahissement : le cancéreux devient un jour le « cancéré », selon la parole expressive d'un docteur. Souhaitons qu'il n'en soit pas de même du cancer social. Contre un tel envahissement, il n'est qu'une solution, abstraction faite de tous les palliatifs, mais elle est trop simple pour notre complication, trop interne pour les « extériorisés » que nous sommes : Ne rien escompter de définitif des lois et des règlements, ne pas attendre tout de la collectivité, de l'extérieur, mais songer au contraire à la puissance contagieuse de l'exemple et à la mission que nous imposent nos convictions de spiritualistes chrétiens. En deux mots : ne pas nous imaginer que nous pourrons nous tirer d'affaire avec les sacrifices des autres. Ce point acquis, attaquer le mal par la racine en réalisant effectivement, dans notre modeste sphère, les grandes maximes évangéliques dont l'observance constitue l'antidote le plus sur contre cette hypertrophie du Moi dont nous n'avons pas encore épuisé les plus désastreuses conséquences : « Posséder son âme par la patience, rendre à César ce qui lui est dû, et savoir que le plus grand dans le Royaume se fait le serviteur de tous ».

     Si la majeure partie des hommes réalisait, chacun pour soi, ce Royaume des Cieux que Jésus nous a dit d'abord être dans notre cœur, sa manifestation sociale ne se ferait pas attendre et la terre emparadisée, sublimisée, verrait disparaître rapidement les races animales et les espèces végétales nuisibles en qui s'expriment nos passions inférieures, et les principes morbides qui ne peuvent se développer que dans l'ambiance troublée de nos perversions psychiques.

     Lorsque la race choisie pour être le foyer rayonnant de l'amour du Christ manque à sa mission, n'est-il pas normal qu'elle attire, de par la loi d'harmonie, les principes morbides et maléfiques en affinité avec son propre comportement ?

     Le vieux proverbe : « Qui se ressemble s'assemble » est toujours vrai.

     Quelles que soient d'ailleurs l'origine apparente ou le processus physiologique d'un mal, ses causes profondes résident dans le plan spirituel. Son apparescence n'est que l'ultime conséquence d'une longue série de perversions morales, spirituelles ou intellectuelles, dont la répétition ébranle successivement des sphères de plus en plus proches du plan physique pour s'y résoudre finalement en troubles telluriques, physiologiques et sociaux. Les souffrances qui en résultent ne font le plus souvent que traduire l'effort désespéré de la créature pour se rééquilibrer, comme la foudre terrifiante dans son instantanéité n'est que la brusque résolution d'un déséquilibre son point de départ et lentement accru.

     L'Esprit ou, si l'on préfère, le génie du cancer, ne s'insinue dans une race que dans la mesure où celle-ci l'a évoqué. Conforme, dans son essence secrète, à l'idéal caressé par celle-ci, analogue dans ses manifestations aux formes, du désir dominant en elle, il trouve dans son ambiance psychique le milieu nécessaire à sa localisation terrestre. Dès ce moment, commence la phase d'objectivation, qu'elle se phénoménalise ou non en mode microbien.

     Alors, la maladie frappe, et non pas en aveugle, tous ceux qui en portaient le signe distinctif, tous ceux qui l'avaient attirée sympathiquement. Les autres en sont exempts. Ayant terminé son cycle temporel, la maladie se transforme ou semble disparaître, faute d'un aliment conforme à son mode d'assimilation. Et ceci est valable pour toutes les épidémies. Il est remarquable de constater, qu'à des époques où la prophylaxie et la bactériologie étaient inexistantes, tels fléaux contagieux comme le choléra se soient éteints d'eux-mêmes, comme un feu privé d'aliments. Ce feu ne pouvait donc consumer toute existence, mais seulement certaines existences. Et ce processus interne des maux qui frappent l'humanité : épidémies, séismes, typhons, invasions d'animaux malfaisants, apparition de parasites végétaux etc.., nous en retrouvons l'indication plus ou moins voilée dans toutes les traditions.

     Sur ce point, un mystique chrétien comme Sédir (2) rejoint les antiques leçons du Trismégiste (3). Et comme un écho, n'entendons-nous pas la voix douloureuse qui retentit sur la Salette au siècle dernier, disant : « Vingt-cinq ans d'abondantes récoltes feront oublier aux hommes que leurs péchés sont causes de toutes les peines qui arrivent sur la terre ».

     Ainsi, connaître le processus apparent d'une maladie n'est pas suffisant pour que le mal disparaisse, puisque la tuberculose dont nous avons cependant isolé le bacille n'en continue pas moins ses ravages. L'ignorer n'est pas suffisant pour qu'il devienne universel, puisque, malgré l'ignorance relative des siècles écoulés, aucun fléau épidémique, quelque contagieux qu'il ait été, n'a pu prévaloir jusqu'à extinction des existences humaines.

     Les savants font leur possible dans le domaine matériel où s'exerce leur sagacité et où leurs efforts désintéressés font souvent descendre la guérison. C'est à nous de faire le nôtre dans le plan moral où se noue le destin de chacun et de tous.

     Comme l'expose le TA HIAOH, en termes d'une magnifique concision :
« Toute chose possède une racine et des branches. De même nos actions ont des conséquences et une partie essentielle... Depuis le Fils du Ciel jusqu'à l'homme le plus humble, le premier de tous les devoirs et le même pour tous est de se perfectionner soi-même. Négliger la racine et soigner les rameaux, c'est chose impossible. »

Soignons donc la racine, afin que les rameaux portent des fruits sains.

ESSA.


(1) « Le cancer n'est pas une maladie parasitaire. C'est un état de fureur, de combativité destructive, de la cellule, tenant lui-même à diverses causes d'irritation qui sont les mêmes que les causes irritantes et affolantes, valant pour l'organisme entier. On connaît des cancers d'origine morale, dans des organismes prédisposés. »
Léon Daudet.
(2) « Ainsi, la cruauté des hommes évoque des démons dans le monde du Revers, et ces démons subornent leurs évocateurs, puis, quand beaucoup de crimes ont été commis, ces démons prennent le sang répandu et les chairs, meurtries, et leurs princes s'en construisent des corps, et le tigre apparaît qui tue ces hommes même, grâce à la méchanceté desquels la porte de la terre s'est ouverte pour lui. Et quand le « mangeur d'hommes » a bien tué tous ceux qui portaient sa marque, sa force diminue, son corps se rapetisse au cours des cycles et il devient un chat, élégant, égoïste et craintif. »
Sédir. Initiations.
(3) « Voilà le châtiment de l'âme. Il est ordonné à la pensée devenue démon, de prendre un corps de feu pour le service de Dieu. »
Hermès Trismégiste. in Pimander (La Clef).