RACISME ET CHRISTIANISME
Dans un récent numéro de « La Griffe », Marc Séménoff consacre un important article à la critique du christianisme présenté comme fauteur du racisme et de la doctrine de l'inégalité des races humaines, auquel il oppose avec adresse les anciennes initiations. Page brillante, intéressante à plus d'un titre, mais dont les conclusions nous semblent viciées par les tendances antichrétiennes de l'auteur. Nous nous permettrons donc - avec moins de talent - de présenter ici un autre son de cloche. M. Séménoff base son argumentation sur la parenté spirituelle qu'il croit découvrir entre l'Essai sur l'inégalité des races humaines, du comte de Gobineau, et l'ouvrage récent de Nicolas Berdiaeff De la destination de l'homme. Pour ce faire, il cite ce passage du penseur russe : « Déjà, dans le tréfonds du paganisme, qui ignorait le Dieu supra-naturel, l'homme cherchait un secours et une guérison dans le Totem, chez le magicien, le souverain-dieu ou demi-dieu. L'univers était bien peuplé de dieux, mais le cercle immanent de la vie naturelle les tenait prisonniers. Aussi étaient-ils eux-mêmes soumis au destin. Le christianisme est seul à croire que l'on puisse triompher du passé, il connaît le mystère qui consiste à l'oublier et à l'effacer. C'est celui de la rédemption qui libère du Karma où le passé s'expie dans un avenir illimité ». Malgré quelques restrictions faciles à faire (1), l'ensemble de la citation correspond assez bien à la doctrine chrétienne la plus orthodoxe. Mais, est-ce une raison pour que M. Séménoff l'interprète ainsi : « en d'autres termes si l'on croit qu'avec le Nouveau Testament une vérité dernière, suprême, fut donnée aux hommes, alors on comprend non seulement l'influence des conceptions de Gobineau sur la mentalité allemande, mais aussi l'action hitlérienne tendant à la domination de la race germanique, la seule pure parmi les autres races européennes. » Et le voilà, là, citant quelques têtes de chapitres de l'ouvrage de Gobineau : « Les races humaines sont intellectuellement inégales ; supériorité du type blanc, et, dans ce type, de la famille aryenne ; pourquoi toutes les civilisations se sont développées dans l'occident du globe : les Grecs sémitiques ; Rome sémitique. » etc... M. Séménoff ajoute triomphalement : « Ne semble-t-il pas qu'Hitler parle. Selon Gobineau, Hellènes et Romains ont été sémitisés, Les « hommes honorables » (Aryens purs) ne possèdent aucun mélange... L'homme de noble race, le véritable Aryen arrive par la Seule Puissance de son origine à tous les honneurs du Walhalla, tandis que les pauvres, les esclaves, les métis tombent indistinctement dans les ténèbres glaciales du Niflheim. » Il paraît donc que M. Berdiaeff « donne raison sans le vouloir, sans le savoir, à l'Hitlérisme ». M. Séménoff, pour étayer son paradoxe, feint d'oublier deux ou trois points qui ont bien leur importance. Ensuite, que l'avènement du christianisme n'est pas un fait d'ordre racial mais d'ordre cyclique ou, si l'on veut, chronologique. Que notre race ait été le centre de développement du christianisme, est à considérer comme un honneur, mérité ou non, honneur impliquant non pas des privilèges raciaux mais certains droits, absolument liés à l'accomplissement des devoirs nouveaux indissolublement attachés au beau titre de chrétien. Enfin, s'il est vrai que Rome et Athènes (Rome surtout) aient été sémitisées dans une mesure difficile à préciser, quoiquimpossible à nier, il n'en reste pas moins vrai que le Christianisme est universaliste ; il n'en est pas moins vrai qu'il s'est propagé d'abord parmi les pauvres, les métis et les esclaves que méprisait aussi bien Gobineau que les méprise Hitler. Il n'en est pas moins vrai que le Christianisme fait passer l'esprit avant le sang : « Mais à tous ceux qui l'ont reçue (la lumière du Verbe) à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu » (Jean I, 12). En résumé, la doctrine chrétienne est à l'opposite du racisme allemand. L'Esprit souffle où il veut et n'est enchaîné à aucune race particulière. Les races, certes, diffèrent. Non seulement intellectuellement, comme le déclarait Gobineau, mais, à tous les points de vue. Les hommes sont inégaux, comme les races. Mais il est un point où l'égalité n'est pas contestée, c'est dans le domaine spirituel. Pour le racisme, au contraire, c'est dans ce domaine qu'est l'inégalité, par le fait que le spirituel est subordonné au sang et à la race. Cette conception ne peut être que matérialiste ou grossièrement naturaliste. On peut dire qu'elle est aux antipodes de la conception chrétienne (2). Mais M. Marc Séménoff, qui n'a poussé sa première pointe que pour en préparer une seconde, plus subtile, s'attaque de nouveau au christianisme au nom des anciennes traditions des races de couleur : « Berdiaeff supprime d'un trait de plume la science de toutes les initiations anciennes quand il écrit : « Toutes les doctrines relatives à Dieu, qui n'enseignent pas l'action de sa grâce sur l'homme et le monde, sont stériles et inopérantes ». C'est affirmer, - poursuit notre critique - que l'essence des doctrines initiatiques enseignées par une tradition plus de cent fois millénaire en Égypte, en Inde, etc... ,a été (3), est et sera inféconde, alors que la doctrine religieuse de la race blanche qui est née de cette essence, qui la représente, mais déformée, vulgarisée, parce que mal traduite, la domine, seule opérante, seule vraie, seule rédemptrice. La légende de la chute et de la rédemption comme Berdiaeff et tous les christiques la commentent, se dresse contre la conception scientifique, initiatique des Anciens, reprise à notre époque par Blavatski, Théon et Steiner, de l'indéfinie évolutivité de la race humaine... Berdiaeff écrit : « l'anthropologie chrétienne nous enseigne que l'homme est un être qui, en tant que déchu et pécheur, reçoit la grâce qui le régénère et le sauve ». Or « sauver » n'est pas « évoluer »... L'avenir des races humaines et les destinées de l'homme se trouvent étudiés sous tous les angles possibles dans les livres impérissables des initiations anciennes... les Gobineau, les Berdiaeff et les Hitler ignorent ou veulent ignorer ces uvres de science et de sagesse. » Nous croyons avoir cité l'essentiel. Nous nous permettrons maintenant une brève critique. M. Berdiaeff nous semble parfaitement dans le vrai lorsqu'il montre l'importance de la grâce dans la question des rapports de l'homme avec le divin. M. Séménoff nous oppose une doctrine qui remonterait à cent mille ans. Rappelons-lui qu'il est facile de jongler sans preuves avec les millénaires et qu'il eût pu la dater tout aussi bien de cent millions d'années. Il nous cite les traditions de l'Égypte, de l'Inde, de la Chine, c'est parfait, Mais aucune d'elles n'a de titres de noblesse remontant seulement à dix mille ans. De Plus, il parle d'une tradition. Qu'en sait-il ? Croit-il vraiment qu'on enseignait en Égypte, en Inde, en Chine, chez les Sumériens et chez les Celtes les mêmes notions sur la Divinité, l'homme et la nature ? Il peut le supposer gratuitement, de même que nous supposons le contraire d'après nos propres recherches (que nous ne prétendons ni complètes ni sans appel). Lorsqu'on invoque à son secours Blavatski, Théon et Steiner (qui auraient eu la gentillesse de nous transmettre la dite tradition-une), on ne doit pas laisser dans la pénombre que ces trois occultistes ne s'entendaient pas entre eux sur le contenu de la tradition, et, moins encore, sur l'art et la manière de l'interpréter. Si le christianisme est actuellement, nous l'accordons, la doctrine religieuse de la race blanche ; si c'est celle-ci, pour des raisons dont nous n'avons pas à nous enorgueillir, qui est chargée de la propager, il ne faut pas oublier que la tradition primitive de notre race fut la tradition druidique, la seule qui ait vraiment fait corps avec cette race. Le Christ est venu pour tous. Il n'est pas venu en Occident mais chez des Sémites. Ceux-ci n'étaient pas aptes à recevoir cet enseignement - sauf quelques individus. Nous avons recueilli cet héritage, c'est sur lui que nous vivons ; c'est lui qui est notre raison mondiale d'être et d'agir, même quand nous nous entêtons à le nier jusqu'à la venue du Sauveur, la race blanche, comme les autres, ignorait (ou pressentait sans en comprendre la valeur primordiale) la notion de rédemption, qui offusque tant M. Séménoff. L'interprétation. « christique » des notions de chute et de rédemption n'est pas la déformation ignorante des conceptions antiques. Elle est autre. Ces conceptions sont les « vieilles outres » dont, parle Jésus. Le vin nouveau de sa révélation demandait une forme neuve. Non qu'il soit venu « abolir » l'Ancienne Loi. Il dit lui-même être venu la compléter. De son temps, ses adversaires furent Surtout des orgueilleux, qui croyaient que tout avait été dit par leur sacro-sainte Tradition. Ils ne comprirent pas que cette tradition était adaptée non seulement aux facultés particulières de leur race, mais encore au degré de développement spirituel de leur époque. On s'étonne que les tenants de « l'indéfinie évolutivité » aient pu considérer leurs enseignements comme échappant à la loi de perfectionnement progressif et d'évolution qu'ils admettaient dans tous les plans ! Oui, M. Séménoff a parfaitement raison de dire : « sauver n'est pas évoluer ». La notion de salut était inconnue des initiations anciennes. La raison en est bien simple : elles n'en avaient nul besoin. Tant que le Christ n'était, pas venu frayer pour nous la Voie Étroite, le serpent astral enserrait, dans ses replis, hommes et dieux, tous soumis au destin, tous enchaînés à la roue karmique, écureuils infatigables dans la cage tournante d'un Cosmos fermé. Certes, elles connaissaient merveilleusement cette cage et son mécanisme subtil. Il ne s'agit pas de nier cette connaissance, vraie aujourd'hui comme hier. Mais elles ignoraient, ces initiations, le libre espace spirituel, hors de la « cage ». Avec la venue du Libérateur, la notion de libération prenait seulement son sens ! Que l'avenir des races humaines ait été étudié « sous tous les angles possibles dans les livres impérissables des initiations anciennes », nous l'admettons volontiers. Mais il ne leur était pas possible, nous dirions, plus justement, pas utile, d'étudier l'avenir humain sous l'angle de la Rédemption, qui est pour nous le plus essentiel. « La pierre que les bâtisseurs avaient rejetée est devenue la pierre angulaire » du nouvel édifice, Nous n'ignorons pas systématiquement la sagesse ancienne, mais, pour tout Chrétien, il y a un point sur lequel cette sagesse est muette, celui-ci : le Verbe incarné pour opérer la rédemption de tous les hommes ; elle ne pouvait rien en dire. Si les plus hauts parmi ses guides et ses initiés en ont eu quelques pressentiments (et cela semble confirmé par le salut des trois Mages au Christ naissant, ainsi que par la vierge druidique de Chartres) il ne semble pas qu'ils aient jugé utile de confier à la tradition écrite ces enseignements prématurés. Une seule tradition semble faire exception : l'hébraïque. Nous nous retrouvons ici devant le même problème « racique » qu'au début de cet exposé. Parce qu'une petite fraction des Sémites a servi de véhicule à la tradition messianique, faut-il en conclure à la supériorité des fils d'Heber ? Nul n'y songe. Il en est de même de la race blanche. Un précieux dépôt lui a été confié. C'est son plus beau titre de gloire ; c'est sa fonction que de « garder le dépôt », comme dit saint Paul à Timothée « Ô Timothée, garde le dépôt, en évitant les discours vains et profanes, et les disputes de la fausse science dont font profession quelques-uns, qui se sont ainsi détournés de la foi ». Et l'apôtre des Gentils ajoute « que la grâce soit avec vous ! » La Grâce, briseuse de karma... A. SAVORET.
(1) En particulier sur le totémisme. |