Vous êtes actuellement sur le site : livres-mystiques.com © de Roland Soyer le 23/12/2008

VISAGE DU DRUIDISME

Chapitre VI


AMBIORIX ET VERCINGETORIX LES DRUIDES ET ROME

 

 

Nous voici parvenus à des temps encore « proto-historiques » et pour une part « légendaires », dans le domaine dit « celtique », mais déjà historiques ailleurs, parfois de longue date.

Entre les XIVe et XIIIe siècles, deux cents ans avant la guerre de  Troie,  parut  ORPHEE,   pour  le  désigner  par  son  nom d'initiation druidique — nom qui était en même temps  un programme et une affirmation d'orthodoxie, puisqu'il signifiait « LE BELIER », comme continuateur spirituel de l'œuvre de RAMA. Le nom pris par Orphée, provint d'un thème ER-Bho (avec suffixe — Bho —, assez fréquent dans les noms d'animaux)  qu'on  retrouve  dans  l'irl.  Earb,  heirpp,  signifiant  ici « bouc », comme le grec eriphos, dans l'armén. Oroj « agneau », le lat. aries (avec une autre suffixation). Je dirai que les Celtes de Gaule usaient de préférence d'un autre mot VIRDOS (plus tard : ORDOS) pour désigner le bélier.

Orphée, Celte danubien, — et non Thrace d'origine — avait reçu l'initiation druidique et, à ce titre — car les druides voya­geaient beaucoup — avait été conférer avec les prêtres d'Osiris. D'où la rumeur de son initiation en Egypte. De retour auprès de ses maîtres, ceux-ci lui proposèrent sa mission. L'ayant acceptée, il se rendit en Thrace pour l'accomplir.

Les Thraces, schismatiques, avaient amalgamé à l'ancien fonds mythique indo-européen et aux rites inversifs et sanglants des druidesses le culte orgiaque d'une divinité atlanto-égéenne, liée exotériquement à la culture de la vigne et au vin (dont le nom est plus que probablement égéen). Cette divinité, androgyne chez les Atlantes, était nommée par ces derniers Bakkhos « Qui initie ». On l'appelait ailleurs Zagreus, vieux mot libyque [1] signifiant « le rouge ». Les Thraces l'invoquaient plus particulièrement sous le nom de Sabazios, le même que le Dionysos des Grecs.

         Orphée se consacra à réadapter et à purifier ce qui devait deve­nir pour une large part la « Mythologie grecque », et à instituer le collège initiatique d'où devaient sortir les mystères orphiques dont Eleusis deviendrait le centre d'attraction. En même temps, il posait, sur le plan social et politique, le principe des Amphictyonies, sur le modèle du régime fédératif instauré par Rama.

Mais le temps n'était plus où l'on pouvait réformer sans pré­cautions ni sans tenir compte des ravages faits par le schisme. Orphée, donc, conserva extérieurement une partie des mythes et des symboles du milieu choisi pour son œuvre, proscrivant seu­lement la goétie et les rites sanguinaires. Les Bacchantes ne s'y trompèrent pas un instant et lui vouèrent une haine féroce. Si son épouse Eurydikè « large justice » est purement symbolique, son assassinat par les « Filles de la Mère » [2] ne fut que trop réel. Mais son œuvre lui survécut, exposant, sous une forme incomprise, sauf des plus hauts adeptes, tout ce que l'Egypte et le druidisme enseignaient d'essentiel sur les principes en action dans le cosmos et sur les destinées de l'âme.

Nous sommes au troisième âge du bronze : la guerre de Troie, — conflit avant tout racial, lourd de suites politiques futures et sur lequel les anciens ont jeté plus d'un voile allégorique — vient de prendre fin. Les Celtes ombriens, descendus en Italie sous la pression scythique, se renforcent de nouveaux contingents, tandis que se préparent un peu partout d'importants mouvements de peuples et d'idées.

C'est d'abord, après l'éphémère éclat du règne de Salomon, le Schisme des Dix Tribus, la première Diaspora. Elle conduit jusque dans les Iles Britanniques une importante fraction de ces Sémites. Au sud-ouest du pays de Galles, ils se nommeront, je l'ai dit, Silures. En Irlande, les annales les évoquent sous les espèces des Tuatha De Danann « Tribus de la Déesse Dana ».

Entendons ici non pas quelque rapport avec le nom celtique du Danube, mais la grande déesse des Phéniciens, la Tanit-Astarté ou Thanah, également identifiable sous le travestissement phoné­tique grec Athena (Ha-Thanah). Cette même Dana, envisagée dans une acception moins naturaliste qu'en Irlande, deviendra la mythique Don des Mabinogion gallois.

En même temps que l'exode sémitique dont il vient d'être question, se produit une brusque poussée touranienne. C'est, en style archéologique, le peuple dit « à tombes plates », à « inciné­ration », ou « à champs d'urnes ». Il traverse l'Europe du sud-est à l'ouest et fait un crochet à travers la Gaule en direction de la Catalogne, après avoir laissé des vestiges ici et là, notamment dans l'Allier. Fait important, ce peuple introduisait, du Caucase, une technique du fer dont dérivera ou s'inspirera la métallur­gie de Halstatt (Fer I). Les Celtes halstattiens adopteront des procédés de fonte et de fabrication de ces Mongoloïdes.

Et c'est, entre — 1000 et — 900, le premier ZOROASTRE, autre initié orthodoxe, pur Iranien quoique né en Médie. Les Mèdes étaient des Touraniens, parlant une langue non indo-euro­péenne, mais devenus peu à peu bilingues par nécessité. Dire que Zoroastre ou Zarathustra était « de la Tribu des Mages », laisserait à supposer que les Mages étaient une tribu, alors que ce terme désignait la caste sacerdotale schismatique, alors dominante. Le nom même de Zarathustra a fait couler beaucoup d'encre. J'avancerai, sans perdre mon temps à le démontrer, qu'il signifiait plus probablement voici trois mille ans « Cheval alezan » que « Chameau d'Or » !... Mais peu importe ! Son vrai nom (j'entends son nom d'initiation) est Cpitama : « le Purifié » (vocable dérivé visiblement de cpita « blanc, pur »). C'est tout le contraire d'un nom de famille ! Ce prétendu « Mède » (dont l'unique terrain d'action est la Bactriane et dont le père, Purushâçpa, porte un nom iranien en rapport avec le cheval) était aussi « druide », aussi « orthodoxe » que l'avaient été Rama et Orphée. Vérité, je le sais, difficile à faire sentir et admettre par ceux dont l'érudition a paralysé l'intuition ! Sans le concours de cir­constances dont est sorti cet écrit, et sur lequel je n'ai pas à m'étendre ici, mon attitude eût été la leur, à quelques nuances près !

Mon cadre ne me permet pas de m'attarder sur l'œuvre du réformateur de l'Iran, assez connue dans ses grandes lignes. Jetons plutôt un regard sur l'Europe où vient de s'ouvrir le premier âge du fer (— 900 environ). Un siècle plus tard, nombre de tribus germaniques, bousculées par les Scythes et les Touraniens, se déplacent, talonnant parfois à leur tour les Celtes du Danube et de la célèbre Forêt Ercynienne (ER-kunia : « le refuge des aigles »). L'une d'entre elles, celle des Haidui (H initial étymo­logique) pousse jusqu'en Gaule, probablement à la suite d'une altercation ayant tourné à son désavantage avec les tribus sœurs. Elle y demande l'hospitalité aux vieilles nations celtiques pré­gauloises qui l'occupaient : Aulerques, Senons, Bituriges, Arvernes, Lingons, Volques, Parisiens, etc. ! Accueillis sans enthousiasme et un habitat fixe leur ayant été assigné, ces Ger­mains se celtisent superficiellement, toujours prêts à intriguer et à faire jouer tantôt leur astuce, tantôt leur cavalerie. Eux, n'ont pas de « druides » (l'imitation du mot n'étant pas l'adoption de la chose) ; ils ont pour régler leur vie commune un chef mi-tem­porel mi-religieux, dont César nous fera connaître plus tard le titre : Vergo-bretos, qu'on se retient de traduire par « Dictateur ».

Ils sont, bien entendu, schismatiques, — comme une partie de leurs nouveaux voisins — les Gaules n'étant orthodoxes qu'en relative majorité, — et causent de justes soucis aux vrais druides, qui ne les auraient pas laissés s'implanter s'ils avaient été seuls maîtres du jeu.

Vers la même époque, étaient fondées les deux cités rivales, Carthage d'abord, puis Rome. Bientôt, devenues toutes deux championnes d'une civilisation mercantile et matérialiste, elles ne pourraient que détruire ou ruiner autour d'elles et, finalement, se livrer un duel à mort... Drame d'hier, qui pourrait peut-être se rejouer demain avec d'autres acteurs !

Tandis que se poursuivait dans le nord-est la longue empoi­gnade des Germano-scandinaves et des Scythes (que l'Edda retrace et simplifie quand elle décrit des luttes, puis l'alliance des Ases et des Vanes), Celtes et Etrusques se partageaient l'Italie du nord.

Ces derniers (vers — 750) venaient de fonder une cité, RUMA « la Force » ou « La Forte » qui allait rapidement leur échap­per, Donc, tandis que les Tyrrhéniens édifiaient la Rome primi­tive et que les Grecs colonisaient la Sicile , des populations métis­sées (disons : « ligures » ou mieux « liguses ») répandues dans l'Italie centrale s'étaient mêlées à des Celtes aux marches de leur domaine cisalpin. Et ce point-frontière, cet « Ico-Randon », pour employer sa dénomination celtique, avait aussi servi de refuge aux bannis, aux mécontents, aux esclaves fugitifs et aux hors la loi de tout genre. Ces bandes d'indésirables et de sangs-mêlés se tinrent quelque temps au sud du Latium, d'abord simplement tolérés par les Etrusques, puis sollicités par eux de leur fournir des alliés ou des mercenaires dans leurs contestations multiples avec les Sabins et les Ombriens. Ces dangereux alliés une fois dans la place, les Etrusques s'aperçurent un peu tard qu'il était plus aisé de les appeler que de les faire décamper !

C'est ainsi que Rome finit par passer sous la domination d'une communauté étatique de brigands chicaniers à faux nez de juristes, et qu'elle s'agrandit par la force et par la ruse aux dépens de provinces mi-gauloises, mi-tyrrhéniennes, pour devenir le cancer de l'Occident [3] .

Le manque de sens politique et la jalousie mutuelle des clans celtiques allaient faciliter cette besogne : l'insubordination des chefs temporels à l'autorité spirituelle des druides appelait là ; comme plus tard en Gaule, sa rude mais juste punition.

Quittons maintenant l'Italie. A l'aube du V siècle, voici l’Odin légendaire et ses Ases (à ne pas confondre avec un autre Odin, postérieur de peu à notre ère et que, pour cette raison, malgré la pénurie de documents le concernant, je nommerai l'Odin « his­torique »).

Il donne aux Germains nomades, relativement unifiés par le péril scythique et par certaines caractéristiques dialectales (car nous sommes à l'époque de la première « mutation consonantique ») une unité religieuse. Ce qu'on a appelé « l'Islam ger­manique » était né !

Germains et Scandinaves adoptèrent le nouveau schisme, greffé d'ailleurs sur celui d'Irshou. Sous la pression accrue des hordes touraniennes et scythiques (en langage moderne : slavo-mon­goles), le « Drang nach Westen » des tribus germaniques s'ac­centua. Les Celtes éparpillés de la Chersonèse cimbrique au Danube furent débordés et durent, à leur tour, chercher fortune ailleurs.

Ce que les druides avaient voulu faire exécuter dans l'ordre et en temps utile s'accomplissait trop tard, dans le désordre, la dispersion, et l'épée dans les reins.

En premier lieu, s'ébranlèrent les Gaulois proprement dits, Celtes danubiens, rattachés en majorité à l'orthodoxie, mêlés aux Belges, tribus germaniques à l'origine mais déjà assez profondé­ment celtisées, schismatiques pour la plupart. Ainsi passèrent le Rhin pour s'établir en Gaule : Meldi, Mediomatrici, Boii, Redones, Atrébates, et d'autres, suivis ou accompagnés de Belges : Bellovaques, Bodiocasses, etc. ainsi que de quelques fractions germaniques assez vaguement celtisées : Raurici, Nervii, Mena-pii.

Aux confins des Aulerci Brannovices et des Nantuates celtiques s'installèrent d'autres Germains ou semi-germains (Allobroges, Helvetiî). Mais le mouvement ne s'arrêta pas là. Je passe sous silence l'installation de Gaulois en Espagne, sans intérêt pour l'histoire du druidisme, pour m'arrêter un instant à leur irruption en Grande-Bretagne. Là comme en Gaule, ils trouvèrent des tribus de vieille souche (Dumnoni, Parisii, Demetae, et autres). Les leurs (Atrébates, Belgae, Cantii, Catuvellauni, Brigantes) s'y ajoutèrent et s'entendirent rapidement assez bien avec la plupart d'entre elles pour qu'une cinquantaine d'années plus tard (vers — 400) une fraction des unes et des autres, agissant de concert, prenne pied en Irlande et s'y installe, non cette fois sans combats. Les annales irlandaises permettent de ne pas se tromper quant à l'identité des envahisseurs ; elles signalent les Fir Bolg c'est-à-dire les Belgae ; les Fir Domman ou Dumnoi et les Gailéôin où l'on reconnaît les « Gaulois ». C'est à peu de choses près le temps où d'autres Gaulois rançonnaient Rome. Il s'écoulerait peu de siècles avant que la Gaule ne remboursât durement cette rançon !...

 

 

 

Nous sommes dans le second âge du fer ( La Tène I ). La mon­naie et les documents écrits vont faire leur apparition, influencés tous deux par les relations avec les Massaliotes. Le temps marche. Tandis que les Galates vont fonder en Asie-Mineure un établis­sement politiquement éphémère, en Gaule s'ouvre une ère d'in­trigues et de rivalités entre chefs, malgré les efforts conciliateurs du suprême conseil druidique, dont j'ai exposé déjà le plan invariable : fédération sous un chef respectueux de l'autorité spi­rituelle et maintenu par cette dernière au-dessus des rivalités locales. Mais la mentalité jalouse et belliqueuse des roitelets ne se haussait pas à ce niveau. L'histoire d'Ambigat, roi des Bituriges et Empereur des Gaules rapportée par Tite-Live est, en majeure partie, fantaisiste. Celles de Luern et de Bituit sont de l'histoire... littéraire, copieusement romancée. Elles laissent toutefois à pré­sumer que, bien avant l'immigration des Gaulois danubiens, le rôle le plus important, — et ce qui eût pu devenir un rôle fédérateur — était tenu par les Arvernes et les Bituriges et, — cela se conçoit —, ambitionné par les Héduens. C'est chez les Bituriges, aux marches du pays carnute, que se trouvait l'Ombilic des Gaules. Le texte de César, assez peu précis, contre son ordinaire, semble dire autre chose. En fait, il démontre simplement que les Gaulois ne tenaient guère à le renseigner sur l'emplacement exact du centre spirituel et géographique de leur pays. Cela se comprend ! D'autre part, César, en dépit de sa haute intelligence, était trop fermé aux choses de l'esprit et trop préoccupé par ses plans concrets pour saisir l'importance primordiale d'une infor­mation plus précise.

Lorsque les Gaulois proprement dits se replièrent sur la Gaule , ils y apportèrent leur humeur batailleuse, leur goût des palabres et leur penchant pour la politique, dont le sens leur manquait pourtant cruellement. L'accroissement numérique de la popula­tion ne compensait pas, de loin, l'affaiblissement de son homo­généité. Le double jeu des Héduens, et la lutte sourde entre les deux druidismes dont l'un obéissait à l'Archi-druide, tandis que l'autre feignait une obéissance peu empressée tout en le contrecarrant secrètement, allaient encore envenimer les choses. Une sorte de concordat avait bien succédé aux luttes ouvertes, dans ce territoire où les schismatiques étaient en minorité, mais ils ne l'avaient accepté que du bout des lèvres, comme un pis aller, en attendant l'occasion de pouvoir reprendre la lutte dès que les circonstances modifieraient l'équilibre des forces à leur avantage. A défaut de preuves, évidemment introuvables, à l'époque de César, l'on verra des « druides » porter les armes. Le dénommé Divitiac, de triste mémoire, sera un « druide » héduen, et ainsi de suite !

Je glisserai rapidement sur des événements trop connus : Inva­sion des Cimbres celtiques et des Teutons germaniques ; recours de Massilia à Rome contre les Ligures, qui devait aboutir à la création de la Provincia en un quart de siècle ; appel des Séquanes à Arioviste et à ses Suèves pour contenir les empiétements des Héduens : intervention de César pour repousser Arioviste, tandis que les Héduens jouent et joueront jusqu'au bout la carte romaine contre la Gaule dans l'espoir d'établir leur hégémonie sur leurs anciens hôtes trop confiants ! Je ne suivrai pas, pour le même motif, les détails de la guerre des Gaules. Tout au plus signale­rai-je — bien inutilement — que Gergovie, son oppidum du moins, sommait bien le plateau des Côtes de Clermont, comme l'avait vu le regretté Maurice Busset et comme l'avait démontré l'archéologue M. Louis. J'ajouterai, — sans doute avec le même succès — que l’Alésia de Vercingétorix n'est nullement Alise (ancienne Alixia, dont le nom est tiré de celui de l'alisier, racine AL- (« croître »), mais un site à l'ouest d'Aisy-sur-Armançon racine PAL-gaul. AL- « falaise »).

Laissons-la pour l'instant ces querelles topographiques et topo-nymiques pour revenir à notre sujet.

Le suprême conseil n'avait pas attendu l'intervention de César contre Arioviste, loup contre loup, pour mesurer la portée du double péril romain et germanique qui menaçait une Gaule déchi­rée par les factions. J'ai déjà dit qu'il n'avait pas les mains libres.

Par les Héduens, la menace de trahison planait sur le pays. Les Belges, Germains d'origine, mais fidèles à leur nouvelle patrie, ne relevaient pas de sa juridiction spirituelle, parce que schismatiques. Pour cette dernière raison, des tribus d'ancienne souche, les Rèmes, entre autres, échappaient à son influence, sinon à ses exhortations. Même parmi les peuples qui reconnaissaient théori­quement son autorité, tels les Arvernes, indiscipline et compéti­tions s'opposaient à son plan de salut. On le vit bien, lorsque Celtillos, élève estimé des druides et chef temporel des Arvernes, faillit, avec l'appui de ses maîtres, devenir le fédérateur des Gaules enfin pacifiées et fortes. L'ambition jalouse de son frère et de ses rivaux réduisit tout à néant et l'envoya au dernier supplice.

Mais les druides ne se décourageaient pas. Et, sous leur inspi­ration, s'élabora un programme libérateur qui, s'il avait été exé­cuté en temps voulu, aurait rendu à la Gaule puissance, paix et indépendance, en lui donnant enfin le chef indispensable, protec­teur des libertés communes et auréolé de ses victoires sur l'ennemi du dehors, qui aurait contenu l'anarchie brouillone des peuplades.

Les druides avaient formé avec soin deux guerriers d'une trempe et d'une ouverture d'esprit exceptionnelles : Ambiorix « roi de la moitié des Eburones » (parce que venu d'Armorique avec ses gens, peu d'années auparavant) et Vercingétorix (autre nom d'initiation !), le propre fils, et vengeur présumé, de Celtil­los. Mais il importait que leur double action militaire fût concer­tée et éclatât simultanément. La menace romaine écartée, Ambio­rix, (au nom-programme, je n'y puis rien !) groupant Gaulois et Belges, monterait la « Garde au Rhin », face aux Germains, tan­dis que Vercingétorix réorganiserait le pays avec l'aide du grand conseil.

La présomptueuse impatience des Eburones força Ambiorix (qui n'était strictement obéi que par sa fraction d'immigrés) à engager le combat deux ans trop tôt : c'était beaucoup demander aux Gaulois, que deux ans de patience !

La partie était pratiquement jouée et perdue. On sauva l'hon­neur, dans le désespoir !

Ambiorix échappa finalement aux recherches et aux espions de César, et l'on n'entendit plus parler de lui, du moins en Occi­dent.

On sait le sort de Vercingétorix : la valeur militaire et la gran­deur d'âme de celui en qui s'incarna la patrie gauloise — et qui avait, je tiens à le souligner, renvoyé à César l'anneau apporté par Divitiacus-le-Traître, — ne purent racheter, dans l'immédiat, l'indiscipline des uns et la jalousie des autres. « Si César — a trop justement écrit Henri Hubert — réussit avec une soixantaine de mille hommes à mener à bien cette difficile conquête d'un grand pays, riche en hommes, avec un passé glorieux, c'est qu'il eut toujours en Gaule des alliés, des amis, des espions, qui furent aussi des traîtres, comme l'héduen Dumnorix. »

« Pas une seule fois — souligne Camille Jullian — Vercingé­torix ne parla ou ne combattit au nom des Arvernes, mais tou­jours au nom de la Gaule ».

Réversibilité des mérites !... Qui dira les répercussions de cette foi, couronnée par le sacrifice (dont ses maîtres lui avaient ensei­gné le pouvoir caché) sur les destinées d'une patrie ?

Sur le plan de la spiritualité druidique vraie, Rome n'avait RIEN à offrir à la Gaule , en dehors d'une civilisation soi-disant « supérieure » pour tout juge d'après les apparences, mais, au vrai, pourrisseuse et avilissante. César a su ce qu'il faisait en mas­sacrant les druides, adversaires de principe, en vue d'amener la perte de la religion nationale et, par elle, du sens national. Le matérialisme romain put relâcher les mœurs, pures antérieurement, et l'âme, que le druidisme avait toujours mise au premier plan, fut reléguée au second. La Gaule s'abaissa, vraiment vaincue cette fois ! Dieu me garde d'enfler la voix, là où les faits sont d'une suffisante éloquence. Je préfère reproduire quelques lignes d'un historien qui avait su comprendre, aimer et exalter le patrio­tisme ancestral : Camille Jullian :

« L'école, qui est le séminaire des patries, était passée dans la domesticité des vainqueurs... Les Arvernes, qui avaient dans leurs annales les plus grands rois et les plus fiers patriotes de la Gaule , ternirent à plaisir leur antiquité pour y insérer une ascen­dance troyenne et désavouèrent leur origine afin de flatter les maîtres du jour. Je ne connais pas dans l'histoire de notre sol de plus triste péripétie que celle de ce peuple renégat de ses pères. Cette folie ou cette lâcheté universelle ; d'où était sorti l'empire romain, après avoir enlevé à la nation le sens de la liberté, l'entraîna dans le vertige du mensonge et de l'ignorance [4] . L'oubli des aïeux, ce fut pour la patrie une seconde forme de la mort, celle de l'âme après celle du corps. »

Je n'ajouterai que quelques mots : dans ce monde romain, à la fois superstitieusement formaliste et grossièrement hédoniste et sceptique, où étaient tolérés les cultes les plus disparates, deux aspects de la religion et de la spiritualité (les deux plus hauts qu'ait jamais connus l'Occident) firent seuls exception et assu­mèrent le redoutable honneur de connaître des martyrs : le druidisme agonisant et le christianisme naissant !


[1] Je rappelle que les Libyens avaient été en contact suivi avec les Atlantes, et leur avaient fait des emprunts aussi bien linguistiques que mythiques.

[2] Tel est l'un des sens du mot Ama-zone qui, au  temps d'Orphée, se prononçait encore probablement Ama-Gone. Le passage de -g- à -z- est, si l'on veut, un « scythisme ».

[3] Ces bandes sans passé commun se créèrent des lettres de noblesse en s'appropriant la Saga , mi-légendaire, mi-historique du périple d'Enée.

[4] Jullian s'avance beaucoup !... Son excuse, si j'ose dire, est d'être décédé en 1930 et de n'avoir assisté ni à la «drôle de guerre», ni à ce qui s'ensuivit, jusques et y compris l'avènement de la vertueuse « petite Quatrième», puis de laprestigieuse «petite Cinquième» !

 

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