Les Théories de Freud et le Spiritualisme

(SUITE)


   Maintenant que nous sommes un peu éclairés sur les origines du système, nous allons en considérer les données fondamentales :

        1° Refoulement et résistance : un désir me vient. Je le juge illicite, indigne de moi, contraire à mes idées religieuses. Je le repousse et j'en écarte systématiquement le souvenir. Il sort, en effet, du champ de ma mémoire de veille. C'est le refoulement. Ce désir insatisfait tend à se manifester à ma conscience, à « forcer la porte ». Pour défendre cette porte contre l'obsession, la même force mentale qui m'avait fait écarter le désir et refouler le souvenir continue de faire bonne garde. Cette force, c'est la résistance. C'est cette même force qui maintient chez le malade l'état morbide né justement du refoulement opéré par elle et qui, d'une façon plus ou moins automatique, fait office de résistance, empêchant le médecin d'obtenir du malade le souvenir exact d'abord, la confession ensuite, du choc émotif cause du mal. « Pour nous, écrit. Freud, nous expliquons dynamiquement la dissociation psychique par le conflit de deux forces psychiques, nous voyons en elle le résultat d'une révolte, active des deux constellations psychiques, le conscient et l'inconscient, l'une contre l'autre. »

     Notons, en passant, que cette déclaration n'est autre que l'expression, en termes psychiatriques, du conflit entre l'amour et le devoir, thème central des œuvres de nos dramaturges classiques. Chez l'homme normal, ce conflit, selon la conception classique, se termine à l'avantage du conscient. Si même il cède, il n'abdique pas entièrement. Le naufrage psychique n'a pas lieu. Insistons sur ce fait, car il est d'importance : le refoulement est un processus de défense, parfaitement normal et qui, pour entraîner les conséquences observées par Freud chez ses malades, doit se développer sur un terrain prédisposé, au physique ou au moral. L'importance de ce point est extrême, car la généralisation imprudente de ce concept psychanalytique aboutirait fatalement à la négation de la notion de responsabilité, à l'excuse des pires turpitudes, à la justification des capitulations de la conscience devant la poussée des forces obscures de l'instinct. Cette réserve faite, constatons la valeur indéniable de cette partie de la psychanalyse dans nombre de cas particuliers.

        2° Substitution : un axiome de la Qabbale est : « tout est un être vivant ». Le désir refoulé n'échappe pas à cette définition et se conduit comme un individu qui, chassé d'un lieu, cherche le moyen d'y pénétrer et de tromper la vigilance des gardiens. Ne pouvant reparaître dans le champ de la conscience sous sa forme réelle, il use de camouflage, il réapparaît bientôt à la lumière mais sous un déguisement qui le rend méconnaissable « en d'autres termes, dit textuellement Freud, la pensée refoulée est remplacée dans la conscience par une autre, qui lui sert de substitut, d'ersatz, et à laquelle viennent s'attacher toutes les impressions de malaise que l'on croyait avoir écartées par le refoulement ».

     La cause du mal repérée, ramenée au plein jour de la conscience, il ne reste qu'à donner une solution définitive au conflit né du refoulement. L'œuvre du docteur, œuvre délicate et qui nécessite les plus hautes qualités morales et la plus grande clairvoyance intellectuelle, est d'orienter la crise vers un des trois dénouements suivants : l'acceptation totale ou partielle du désir pathogène, sa sublimation qui consiste essentiellement à le modifier en l'orientant vers un but plus élevé, son rejet conscient. Ce dernier dénouement, qui nous ramène au conflit classique dont j'ai parlé plus haut, est décrit par Freud en termes magnifiques : « on remplace le mécanisme automatique, donc insuffisant, du refoulement, par un jugement de condamnation morale, rendu avec l'aide des plus hautes instances spirituelles de l'homme ; c'est en pleine lumière que l'on triomphe du désir. »

     Jusqu'ici, rien dans les théories des psychanalystes ne heurte la morale courante, rien qui ne soit parfaitement justifié. Mais nous allons passer, maintenant, de la psychanalyse « restreinte » à la psychanalyse « généralisée », pour emprunter une définition au langage relativiste. Ici, le tableau change et les objections naissent.

     Considérons d'abord l'interprétation psychanalytique des rêves que Freud appelle « la voie royale de la connaissance de l'inconscient, la base la plus sûre de nos recherches ». Pour lui, le rêve a un sens, un sens profond, il est la réalisation déguisée d'un désir refoulé. Certes, Freud s'empresse de déclarer qu'il n'a jamais rien constaté qui confirmât la valeur prophétique d'un songe. Il n'y a évidemment pas lieu de l'en féliciter. Le fait que le rêve prémonitoire (pourtant assez fréquent), n'entre pas en ligne de compte dans son interprétation, rend en réalité celle-ci fragmentaire et sujette à caution. Le rêve, pour Freud, est formé d'un « contenu manifeste », souvent abracadabrant et dont les détails sont élaborés par les impressions du jour précédent, et d' « idées oniriques latentes », de désirs refoulés, dont le contenu manifeste n'est que le substitut déformé.

     Il y aurait beaucoup à dire là-dessus. Mais il faudrait un volume pour esquisser une théorie générale du rêve et en donner une classification dans laquelle les rêves relevant de la psychanalyse trouveraient leur place, importante certes, mais cependant secondaire. Comme une telle théorie ne pourrait s'expliquer que par une étude, plus longue encore, sur la constitution physique et métaphysique de l'homme, je dois en faire abstraction, en recommandant à ceux qui s'y intéresseraient, la lecture du petit livre de Sédir sur les rêves. Pour l'instant, je classerai les activités oniriques en deux catégories le rêve et le songe. La première catégorie comprendra, entre autres, les rêves relevant de l'interprétation psychanalytique, sous le signe de l'infra-conscient. La seconde se rangera sous le signe du supra-conscient.

     Faute d'avoir tracé exactement sa limite, la psychanalyse en arrive, à propos du rêve, à des excès regrettables. Il n'y a pas lieu de s'en effaroucher outre mesure. La jeunesse est excessive et la psychanalyse est à peine sortie de l'enfance. Cependant, et j'en appelle ici à tous les spiritualistes, à tous ceux qui ont fait quelques pas vers le Réel, nous devons nous élever avec force contre des affirmations comme celle qui suit et contre les conséquences excessives qu'on peut en tirer : « J'ai encore constaté, dans l'analyse des rêves, que l'inconscient se sert, surtout pour représenter les complexes sexuels, d'un certain symbolisme qui, parfois, varie d'une personne à l'autre, mais qui a aussi des traits généraux et se ramène à certains types de symboles, tels que nous les retrouvons dans les mythes et les légendes. Il n'est pas impossible que l'étude du rêve nous permette de comprendre à leur tour ces créations de l'imagination populaire ». (Dr S. Freud).

     Ceci, c'est la Porte ouverte à tous les délires, c'est la pente glissante que suivront fatalement jusqu'au bout, les psychanalystes de seconde zone, ramenant tous les mythes, tous les symboles, à la figuration pure et simple des attributs de la génération.

     Rappelons-nous seulement ce que des Francs-Maçons ignares voyaient dans le bénitier et le goupillon de leurs adversaires cléricaux, tandis que ceux-ci transposaient, de la même façon, les symboles maçonniques !

     Si les « complexes sexuels » peuvent en effet être représentés symboliquement en rêve, chez des malades, des dévoyés, des obsédés, des hyperscrupuleux, par des symboles qui leur servent de masque et de substitut, il ne faut pas généraliser ces cas particuliers. Ceux qui ont appris à utiliser leurs rêves, à y transporter leur conscience vigile, grâce à une sévère discipline spirituelle, souriront avec raison. Mais il y a la foule des autres, et c'est à elle qu'il faut crier : casse-cou ! Non, les mythes et les légendes quelque déformés qu'ils soient par l'imagination populaire, n'en sont pas les créations. Les symboles religieux échappent, eux aussi, à cette emprise de la psychanalyse, quelque affectives qu'en soient les formes, naturellement, en forçant la note, on peut toujours trouver tout dans tout, mais ceci ressemble davantage à de la prestidigitation qu'à de la science.
 

(À suivre). A. SAVORET