À notre époque troublée où nous voyons s'entrechoquer tant de théories séduisantes et douteuses, il est bon, pour peu que l'on veuille garder la tête libre, de faire fréquemment le point. Les arts, les sciences (qu'elles soient de théorie ou d'application) les systèmes sociaux, économiques, politiques, tout semble en fermentation. Une foule de démolisseurs sape de son mieux les vieux édifices où nous nous abritions, corps et âme, sans se soucier de reconstruire. Moutonnières, les foules suivent leurs guides imprudents ou... impudents, sans comprendre. En notre siècle de rationalisme, que d'actes de foi ne réclame-t-on pas de notre candeur ? Faut-il rappeler les fameuses « théories d'Einstein », une des plus récentes idoles de notre science, prétendue iconoclaste ? Il y a longtemps, cependant, que les faits ont fait justice du pivot de ces théories. Les expériences de Miller et celles de Sagno (qui datent de 1911) démontrent nettement que le principe de la constance absolue de la vitesse de la lumière (principe sur lequel s'échafaude la théorie de la relativité) est en contradiction avec les faits. Mais qui oserait déboulonner l'idole ? Pour l'instant, nous ne voulons pas, faire le procès du relativisme (1). Aux heures graves, très graves, peut-être décisives, que nous vivons, le chaos social nous semble plus digne de retenir notre attention. Comme nous l'avons fait maintes fois, c'est au passé, souvent méprisé à tort, que nous demanderons quelques lueurs sur le présent. Remarquons d'abord que, malgré la complexité apparente de nos rouages sociaux, notre état social ne constitue pas une innovation mais un simple développement de celui de la société primitive dont il découle, et qui le contenait tout entier en puissance, comme un gland contient le chêne futur. Ce développement a été faussé depuis quelques siècles, d'où un désordre apparent, dans les échanges sociaux, par l'infiltration, au sein de l'organisme social, d'éléments hétérogènes, tendant à subordonner l'ordre naturel des choses à un ordre créé artificiellement, dans le but de fausser certaines valeurs, de renverser certaines hiérarchies qui barraient la route du pouvoir aux puissances d'asservissement - au premier plan desquelles il faut placer la finance internationale. Mais ne perdons pas la tête ce qui est embrouillé fut simple, ce qui est chaotique fut harmonieux. Si nous savons puiser dans nos traditions fondamentales et reprendre une juste notion de la hiérarchie vraie des valeurs - telle qu'elle fut primitivement fixée - nous retrouverons vite le fil d'Ariane qui nous permettra de nous diriger, sans faux pas, dans le labyrinthe actuel. Dans une étude publiée précédemment (2)nous avons évoqué, brièvement, la fonction générale synthétisée par Moïse sous la figure du patriarche Lamek, lequel offre cette curieuse particularité d'être le couronnement de la lignée involutive de Qayn et celui de la lignée évolutive de Seth. Nous écrivions alors : « Lamek représente trois modalités différentes d'un même principe, selon qu'on envisage sa fonction cosmogonique, androgonique ou sociale. Au sens androgonique, il est la force qui réfrène les effets désastreux de l'impulsion qaynique : L'amour instinctif , et ce même personnage, considéré comme descendant de Seth et père de Nohé, représente alors l'amour animique. » Il n'est pas utile, pour l'instant, que nous recherchions la fonction cosmique de Lamek, ni même son aspect restreint dans l'ordre cosmique, quoique ce dernier projetterait une lueur assez vive sur un des points les plus délicats de l'hermétisme pratique en rapports avec la fonction de son descendant Thubal-Qayn, le « mercure des métaux ». Dans le récit de Moïse, comme l'a fait remarquer souvent Fabre d'Olivet, les trois sens principaux du texte sont si habilement enchevêtrés qu'on ne peut que « louvoyer » de l'un à l'autre. C'est ce manque apparent de logique qui fait, par exemple, que le développement androgonique de la fonction de Lamek, se trouve rejeté quelques pages plus loin, parmi la généalogie touffue de WeShU (Esaü). Sans nous perdre dans des hauteurs où nous n'avons que faire, nous envisagerons Lamek et sa descendance du seul point de vue social. Nous pourrons ensuite constater combien les hiéroglyphismes, s'accordent avec les notions du plus simple bon sens. Il est vrai qu'aux époques troublées, le bon sens fait quelque peu figure de génie .... Tout d'abord, Lamek, comme lien législatif, dont la fonction peut se comparer à celle de l'Éros grec, qui débrouilla le Chaos, a deux épouses ou facultés de manifestation : Whada et Tsila, la « manifestation évidente » et la « profondeur voilé ». Entendons ici, au sens terrestre, la surface et les entrailles de notre globe, et au sens andrologique le dualisme des sexes, moyen de réalisation de la puissance synthétisée par Lamek (3) . La descendance de Lamek, par Wada est : YaBal (l'effusion aqueuse source de la fertilité) cause de la fixation des nomades primitifs et son frère Maqena (le principe de la propriété). Ensuite, Lamek, expose à ses épouses son rôle général au sein de l'humanité : il leur dit qu'il a détruit le mode d'existence isolée de l'homme (par la création des liens familiaux) comme il a détruit (ou détruira puisqu'il s'agit d'un principe extratemporel) l'esprit de lignée et de clan pour lui substituer des agrégats humains de plus en plus vastes. C'est pourquoi, ajoute-t-il, le lien... magnétique ou attractif qu'il représente, quoique issu de la force Qaynique, sera soixante-dix-sept fois pluspuissant que celle-ci. Or soixante-dix-sept, dans la langue des nombres, signifie infiniment. Nous voyons par ce bref exposé que les principes mêmes de la Société sont ainsi décrits par Moïse : Ce qui fait la grandeur de l'homme, c'est justement ce par quoi il se hausse au-dessus de l'animalité : sa personnalité morale. Lamek, qui fait, de l'homme isolé, l'homme social, fait en même temps de l'homme animal l'homme religieux. Le caractère sabré du mariage, qui le préserve seul du libertinage légal, est aussi ancien que la Société. L'une ne va pas sans l'autre : leur sort est lié. Il n'y a qu'une base naturelle à la Société : la famille. Il n'y a qu'une fonction pour la famille (en dehors de la procréation commune à l'homme et à l'animal) transformer l'amour égoïste et instinctif en amour altruiste et amimique. Cette œuvre est proprement religieuse et tous les législateurs antiques l'ont conçue comme telle. À ce titre, la violation de la neutralité berge par l'Allemagne en 1914, au mépris de sa signature et de ses engagements, fut chose antisociale, antireligieuse, antihumaine au premier chef. La primauté de l'élément religieux dans la fondation des familles ressort non seulement du fait que l'animalité pure ne ressent pas le besoin d'un pacte familial, mais aussi du fait que dans la société primitive, famille et culte sont inséparables. Nous voyons, par les traditions bibliques comme par les traditions védiques, que l'homme était prêtre au foyer. La religion patriarcale avait pour premier sacrement le mariage. 2° La vie errante des pasteurs primitifs eut pour cause extérieure de sa transformation en vie sédentaire et proprement sociale la fertilité du sol. Déjà l'élevage et l'agriculture sont nés, déjà la société ou plutôt le contrat social se forme sur un élément qui en résulte : la propriété. Dans la société primitive, la théorie que « la propriété c'est le vol », est parfaitement inapplicable. Fruit du travail, fonction de l'importance et de l'activité de la famille, la propriété était alors légitime et sacrée. Ici encore, la religion intervient pour lui donner ce dernier caractère. Par la dîme, par les offrandes et les holocaustes, le propriétaire se reconnaissait le simple dépositaire de la Providence et lui marquait sa reconnaissance. Le travail des métaux créa l'industrie, tandis que le chant et la danse créaient l'art. Le caractère religieux de l'art dans l'antiquité est assez connu pour se passer d'un plus ample examen. Déjà, la Société comportait, comme de nos jours mais non dans la même proportion que de nos jours : religion, art, agriculture, élevage, industrie, commerce. De nos jours, de funestes théories ont modifié et même interverti ces facteurs et nous avons d'abord le commerce, puis l'industrie, pour finir par la religion. Il est temps de conclure. La Société a pour cellule ultime la famille et non l'individu. Comme celle-ci, elle repose sur une convention créant des obligations morales (donc d'essence religieuse) en échange de certains avantages et de certains droits, lesquels ont pour objet (lorsque la Société n'est pas en voie de régression) d'assurer la sécurité de la famille, d'assurer également celle de l'individu, mais en fonction de la famille, et de permettre à l'ensemble des familles la liberté des interéchanges qui constituent la vie de la nation. C'est donc à l'étendue du respect des lois, par les gouvernés, et au souci de la protection de la collectivité familiale, par les législateurs, que l'on peut mesurer le degré de vitalité, d'utilité et de perfection d'une Société quelconque. Toute Société qui, d'autre part, ne réagit pas contre les forces qui tendent à désunir le bloc familial, à ramener le mariage au niveau même d'un accouplement légalisé (comme en U. R. S. S. par exemple) à donner son appui à une fraction du pays, artificiellement formée au dépens de l'ensemble (classe, parti, etc...) ou à reporter sur l'individu isolé - sous prétexte de liberté - la protection qui doit s'exercer sur la famille, toute Société qui permet, enfin, le déplacement des valeurs qui constituent sa raison d'être, est une Société qui trahit les siens ou qui agonise.
(1) Chaque fois qu'on voudra édifier une métaphysique (c'est-à-dire un exposé de principes fixes par définition) sur une ou des sciences (collection de phénomènes jamais achevée) on échouera infailliblement, quelque ingéniosité qu'on puisse déployer pour ce faire. (4) Il faut ici prendre garde que les fils de Lamek sont envisagés au point de vue géogonique l'air et l'eau se rapportent à Wada (la surface du sol) ; les fluides métallogènes à Tsila (les entrailles de la terre). |