L'HOMME et le LANGAGE
Toutes les activités de l'homme portent l'empreinte de sa double origine. Parmi celles-ci, le langage est particulièrement révélateur. D'une part, la parole procède d'une motion interne, extériorisant les démarches de la pensée et propageant l'expression des sentiments. D'autre part, l'écriture va plonger dans le monde extérieur pour en reproduire les images figées. Hiéroglyphique ou alphabétique, elle est, à l'origine, image et seulement image. Le langage, où se complètent parole et écriture nous retrace dans son mouvement le double courant qui le vivifie : les froides images s'animent, une vie s'infuse en elles qui dépasse singulièrement leur sens propre. Le langage, par contre s'y cristallise, s'épuisant à exprimer, au moyen d'instruments concrets. toujours inadéquats au but visé, ce qu'il y a de plus inexprimable dans les détours de la pensée et les finesses du sentiment. Ce corps-à-corps tragique entre l'idée et l'expression, n'est qu'un des aspects de la lutte de la liberté humaine et du destin. Mais, dans la parole elle-même, la dualité interne de l'homme transparaît à merveille. Du cri animal, toujours identique dans l'espèce, à cette chose souple et indéfiniment perfectible qu'est la parole humaine, il y a un abîme d'autant plus difficile à combler qu'il n'est, essentiellement parlant, rien d'autre que l'abîme creusé par la chute adamique. Encore ici, contraste entre la pensée s'exprimant directement en brèves interjections - telle que l'animalité nous en offre le perpétuel spectacle -, et la pensée en lutte avec les moyens matériels de son expression, surmontant la résistance des organes et l'inertie de la matière pour lui imposer sa propre Loi, antithétique à la loi d'En-bas. Quoi de plus saisissant que le contraste entre un jeune animal, portant de tout temps en lui les moyens d'expression propres à son espèce, incapable d'en étendre le nombre ou d'en modifier la forme en dehors de l'intervention humaine, quoi de plus saisissant qu'un tel contraste avec l'effort exercé par un quelconque des enfants de l'homme, pour enrichir son vocabulaire et plier ses instruments phonétiques rebelles à l'expression de sa jeune volonté La double nature de l'homme est à la base de la double essence du langage. Elles s'expliquent mutuellement. Isolé, le langage n'apparaît plus qu'un hasard heureux, un fait qu'on constate sans se charger de l'expliquer. Il en est ainsi de toutes les activités propres à l'espèce humaine. Partout nous retrouverons un dualisme, dont la clef n'est pas à trouver dans la seule matière, un dualisme dont la science seule, en dépit de ses efforts acharnés, ne saurait rendre raison. Encore que facile à prendre en défaut - en vertu de ce même dualisme qui ne l'épargne pas - la religion, au sens le plus large du mot, recèle pourtant la seule explication possible des mystères de l'Être et, en particulier celle de l'énigme du dualisme humain, qu'elle traduit en son langage par deux simples mots : chute, rédemption. Disons ici parole et Verbe. ESSA. |