IX

 

Le lieutenant Johanny des Garets

 

Le 1er février 1855, s'était éteint doucement au château d'Ars M. Eugène des Garets, le fils aîné du comte. Réconfortée dans ce deuil cruel par le saint qui venait d'inspirer à un jeune homme de vingt-cinq ans le courage de sourire à la mort, Mme la comtesse des Garets avait accepté généreusement son sacrifice.

Mais voilà que, peu de semaines après, c'était, au manoir d'Ars, une angoisse nouvelle. Le cadet des fils des Garets, M. Johanny, tout jeune officier d'une distinction rare et dont l'âme vaillante avait séduit véritablement M. Vianney, se préparait à partir pour la Crimée, où la guerre battait son plein.

M. des Garets, maire d'Ars, pria M. le Curé de venir au château bénir l'épée de Johanny. Toute la famille attendait au salon cet ami vénérable ; mais, sur sa demande, personne ne vint à sa rencontre ; il se présenta seul à la porte du salon demeurée grande ouverte. De là, il aperçut le jeune officier, qui, lui, ne le voyait pas. Le saint s'arrêta, joignit les mains, et, avec un accent d'une pitié infinie :

« Pauvre petit ! murmura-t-il, une balle, une balle !... »

Puis il entra, se montra pour Johanny d'une bonté exquise, bénit son épée et lui promit de bien prier pour lui.

Or, atteste Mlle Marthe des Garets, « ni mon frère ni ma mère n'avaient entendu ses premières paroles parce qu'on faisait du bruit dans le salon ; mais ma sœur, Mme de Montbriant, et plusieurs autres personnes les saisirent fort bien...

En effet, notre pauvre Johanny fut blessé d'une balle le 18 juin, à l'assaut de la tour Malakoff, et il en mourut trois jours après (1) ».

A cette nouvelle, le saint accourut au château. Cette fois, Mme des Garets était au désespoir : cette fin lointaine, si subite peut-être, sans préparation immédiate de l'âme !... M. Vianney pleura près de la mère en deuil, dont il parvint à relever le courage. « Soyez grande, soyez forte, lui criait-il. Ne vous laissez pas abattre ; sachez accepter l'épreuve ». Et, pour lui communiquer les héroïques sentiments de Marie au pied de la croix, il l'appelait, elle aussi, « la mère des douleurs » ! (2)

- Mon Johanny est-il sauvé ? demanda-t-elle enfin.

« Oui, mon enfant, soyez-en sûre, il est sauvé ! »

« A quelques jours de là, a raconté elle-même Mme la Comtesse des Garets, il lui échappa de dire dans un catéchisme, faisant allusion à notre cher disparu :

« C'est comme ce pauvre petit... Il est en purgatoire, mais pour peu de temps ».

« Pourtant nous gardions une certaine inquiétude : notre enfant, avant de mourir, avait-il pu voir un prêtre ? Or, au bout de six mois, nous reçûmes d'un officier une lettre qui nous assurait positivement que, blessé, notre fils s'était confessé et avait fait une mort édifiante.

« Mon mari se hâta d'en porter la nouvelle à M. le Curé qui se contenta de répondre : « Oh ! j'en suis bien aise pour sa mère ; mais, pour moi, cela ne change rien à ce que je croyais déjà ». (3)

 

 

(1) Procès apostolique sur la renommée de sainteté, folio 312

(2)Comtesse DES GARETS, Procès de l'Ordinaire, folios 892-893

(3) Procès de l'Ordinaire, folio 902

 

 

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