Lettre adressée à l'Auteur par

Monseigneur HIPPOLYTE CONVERT

 

CURÉ D'ARS

 

 

Ars, le 9 juillet 1930.

Cher Monsieur le Chanoine,

 

Dans votre biographie du saint Curé d'Ars, dont on sait ce que je pense, il y a un chapitre intitulé Les intuitions et les prédictions. Vous n'évoquez là qu'un nombre de faits assez restreint, et forcément qu'en traits rapides. De l'immense documentation qui vous passa par les mains, la part la plus curieuse peut-être devait-elle donc demeurer dans une sorte de pénombre ? Nous n'avons pu nous y résigner, ni vous ni moi. C'est pourquoi je vous ai rouvert de grand  cœur les archives de notre sanctuaire. Et ainsi de nouveau, selon votre louable habitude, vous avez pu puiser aux sources les plus sûres. Vous avez exploré d'abord les Recueils composés par M. le chanoine Ball entre 1864 et 1880. Avant d'être le troisième successeur, à la cure d'Ars, de saint Jean-Marie Vianney, M. Ball, missionnaire de Pont-d'Ain, remplissait les fonctions délicates de vice-postulateur du Procès de canonisation. Le choix de Rome s'était porté sur l'homme qu'il fallait. Non seulement mon vénéré prédécesseur se dévoua infatigablement à la Cause d'Ars, mais, il voulut, pour enrichir les archives du sanctuaire, mener personnellement diverses enquêtes, notamment sur les faits d'intuition attribués au serviteur de Dieu. Il le fit avec le sérieux et les précisions désirables, à la façon des juges ecclésiastiques chargés du Procès lui-même et dont, comme vice-postulateur, il était le collègue.

Chaque fois que la chose fut possible, M. Ball nota soigneusement dans son style sans fioritures, apparenté à celui de nos tabellions, les noms de lieux et de personnes, les dates des événements, les paroles échangées entre le Curé d'Ars et ses pénitents... Il ne manqua guère de donner sa pensée sur chacun des témoins, n'écoutant que ceux-là dont la véracité lui paraissait suffisamment établie.

Les enquêtes de M. Ball portent sur plus de cent faits d'intuition. De ces enquêtes, cher Monsieur le Chanoine, vous avez tiré le plus heureux parti.

Vous avez également emprunté aux in-folio du Procès un certain nombre de vos récits. Les témoins en attestèrent la réalité sous la foi du serment. Vos documents sont encore des relations ou des lettres, des circulaires de communautés religieuses, des souvenirs écrits ou dictés par les personnes qui furent l'objet des vues surnaturelles du Curé d'Ars... Quand j'ai été à même de contrôler leurs dires, je les ai trouvés conformes à la vérité.

La tâche que vous vous étiez assignée, cher Ami, consistait à ranger tant de faits variés dans un ordre logique et à les présenter sous une forme qui attirât et retînt l'attention. Que vous y ayez réussi, je n'en veux pour garant que le charme goûté à vous lire ou plutôt à vous relire ; car voilà des années que vous rédigez dans les Annales d'Ars les vivants récits qui paraissent sous cette rubrique pleine de promesses : Les faits d'intuition dans la vie du saint Curé. D'ailleurs ceux que vous publiez dans cet ouvrage ont tous paru, pour le fond du moins, dans la revue de notre sanctuaire. Vos recherches vous ont permis d'en rendre un bon nombre plus précis et plus circonstancié.

Soit que les documents demeurent muets sur les noms et les localités, soit que les témoins aient demandé là-dessus le silence, vous gardez, lorsqu'il le faut, la mesure observée par M. Ball et les Annales d'Ars. Cependant je pense comme vous qu'il n'y a pas d'indiscrétion dans la plupart des cas à donner les noms et les lieux d'origine des personnes intéressées. Toutes ont disparu de ce monde et il y a soixante-quinze, quatre-vingts ans, sinon un siècle entier, que s'écoulèrent les événements. Cette précision dans les détails communique plus de vie à l'histoire et comme un cachet particulier d'authenticité.

L'ensemble de vos récits, considéré du point de vue simplement humain, est déjà bien prenant. Mais, mon cher Ami, vous avez surtout à cœur, dans cet ouvrage, de poursuivre l'œuvre commencée et qu'inaugura si heureusement votre magistrale biographie du Curé d'Ars : vous voulez faire connaître et aimer de plus en plus notre cher saint.

Dans ces récits d'intuition on découvrira sans peine, en plus de ses dons extraordinaires, ses hautes et bienfaisantes vertus, sa piété, sa confiance en Dieu, sa charité, sa commisération pour les pauvres pécheurs, cette « puissance de consolation » qui jaillissait de son cœur au bénéfice des affligés et des éprouvés de la terre. Et puis dans sa parole quelle simplicité charmante, souvent quelle profondeur ! Votre livre ouvre des aperçus nouveaux sur cette grande figure de conseiller et de directeur des consciences. Il nous apprendra mainte particularité sur son caractère, son genre de vie et ses œuvres.

La physionomie du pèlerinage d'Ars en sera elle-même plus complètement connue. Les témoins que nous allons entendre diront leur façon de voyager sur les routes d'autrefois, de se loger dans le village, d'aborder le serviteur de Dieu.

Cet humble village où se déroula sa merveilleuse existence n'a pas beaucoup changé d'aspect depuis sa mort. Toutefois, si la vieille cure demeure telle quelle, la vieille église a subi une transformation jugée nécessaire pour que l'église nouvelle dédiée à sainte Philomène pût s'élever en sa majestueuse ampleur. Autour de l'église, on ne retrouve plus l'étroit cimetière dont, de 1818 à 1855, les tombes furent bénites par le serviteur de Dieu. Ont disparu encore ou ont trouvé une destination, des appellations différentes, les hôtelleries où s'abritait jadis la foule des pèlerins, les boutiques où l'on achetait les objets de piété... Ce passé tout rempli de si attachants souvenirs, vous le reconstituez à nos yeux grâce à des plans aussi exacts que possible. Il sera ainsi plus facile de retrouver le bon saint dans le chœur, la nef, les chapelles latérales, la sacristie de sa vénérable église, de le suivre en sa « maison de Providence », sur la place ou dans les rues du village.

Grâce à votre travail si documenté, à vos récits si clairs, si colorés, plus de deux cents traits de la vie du Curé d'Ars vont donc être conservés en tous leurs détails pour la joie et l'édification des lecteurs chrétiens. Ici, nous avons tremblé plus d'une fois à la pensée que le roman osât pénétrer quelque jour dans ce domaine réservé qu'est la Vie des saints. Nos craintes étaient-elles si peu fondées ?... Du moins, vos livres sur saint Jean-Marie-Baptiste Vianney – livres qui sont de l'histoire – opposeront, nous l'espérons bien, une barrière infranchissable aux inventions purement romanesques. La vérité est incomparablement plus belle et plus douce, plus réconfortante, plus entraînante que toutes les trouvailles les plus ingénieuses de l'imagination.

Soyez félicité de vous en tenir constamment à votre méthode des premiers jours. Je souhaite à vos Intuitions du Curé d'Ars la prompte et large diffusion qu'elles méritent.

Veuillez agréer, cher Monsieur le Chanoine et Ami, l'assurance de mes bien affectueux sentiments en Notre-Seigneur.

 

H. CONVERT