XVI

 

« Partez vite ! »

 

Un lundi des Rogations, vers six heures du matin, une jeune Lyonnaise se tenait pieusement agenouillée dans l'église d'Ars. Arrivée l'avant-veille, elle était venue faire une retraite qui se clôturerait le jour de l'Ascension. Elle s'était adressée pour cela, ne pouvant aborder le saint Curé, au premier missionnaire venu, qui se trouvait être M. l'abbé Jean-Baptiste Descôtes. Elle espérait bien toutefois voir un peu M. Vianney et recevoir de lui quelque lumière. En attendant, ce matin-là, elle se préparait à entendre la messe du serviteur de Dieu.

Il ne tarda pas, en effet, à sortir du confessionnal où il s'était enfermé dès minuit. La retraitante, à sa vue, et instinctivement, fit tout son possible pour se rapprocher de l'autel. Ô surprise ! M. Vianney venait à elle.

« Vous êtes de Lyon, mon enfant ? lui demanda-t-il en fixant sur elle son bon regard.

– Oui, mon Père.

– Eh bien ! partez vite : on vous attend chez vous. »

Puis le saint rentra à la sacristie pour y revêtir les ornements de la messe.

 

Fortement impressionnée par ces paroles impératives, la retraitante, dès la messe finie, alla trouver M. Descôtes.

« Aviez-vous donc à craindre quelque nouvelle fâcheuse ? interrogea le missionnaire vivement surpris lui-même.

— Mais, aucune, mon Père.

— Aucun message ne vous est venu ?

— Aucun.

— Malgré cela, ma pauvre enfant, il faut partir.

— Hélas ! ma retraite, mon Père ?...

— Que voulez-vous ? Dieu y pourvoira. Pour l'instant, il ne vous reste qu'à reprendre le chemin de Lyon. Je suis trop au courant des merveilles d'ici pour vous retenir. Nous ne pouvons mettre en doute la parole de M. le Curé. Allez, mon enfant. Mais écrivez-moi dès votre arrivée à Lyon. »

 

Le surlendemain, M. Descôtes avait la clef du mystère. La jeune fille lui écrivait :

« M. le Curé avait bien raison de me faire repartir si promptement.

C'était vers les six heures du matin qu'il me le disait, en m'annonçant que j'étais attendue chez nous. Et ce matin-là même, deux heures auparavant, ma sœur, que j'avais laissée pleine de santé, était morte. Ma présence était de fait nécessaire dans ma famille (1)... »

 

 

(1) M. l'abbé Descôtes a déposé ce fait au procès de l'Ordinaire, en la session du 16 juin 1864. (V. également Documents Ball, N° 67)