VIII

 

L'enfant prodigue (1)

 

M. l'abbé Guillaumet, supérieur du collège de l'Immaculée-Conception de Saint-Dizier, dans la Haute-Marne, faisait le pèlerinage d'Ars avec un jeune homme de dix-sept ans. Ce jeune homme, qui appartenait à une excellente famille, avait reçu une bonne éducation, mais était devenu irréligieux. C'était un ancien pénitent de M. Guillaumet, lequel, du reste, s'intéressait toujours à lui.

Le supérieur se confessa au saint Curé, puis il dit : « Je vous ai amené un jeune homme que je vous recommande ». Le précoce libertin consentit, de fait, à se présenter devant M Vianney.

Pendant le repas du soir qui suivit, M. Guillaumet fut étonné du silence de son compagnon. Il a été touché, songeait-il, et il allait s'en féliciter intérieurement, quand l'autre, sortant enfin de son mutisme :

« Monsieur le Supérieur, je ne suis pas content de vous.

— Pourquoi, mon ami ?

— Vous avez révélé toutes mes confessions au Curé d'Ars.

— Oh ! pour cela, non ! Je me suis borné, je vous l'affirme, à lui dire que je vous recommandais à lui.

— Mais, monsieur, vous étiez seul à connaître mon passé... Or, le Curé d'Ars m'a dit tout ce que j'avais fait. Il n'y avait que vous à pouvoir le lui révéler ! »

 

Là-dessus, le jeune homme se leva de table, irrité.

M. Guillaumet ne voulut à aucun prix demeurer sur cette impression fâcheuse : il était si sûr de sa discrétion absolue ! Il parvint à revoir M. Vianney ; il lui rapporta les paroles de ce pauvre enfant et le supplia de le détromper.

— Ah ! répliqua le saint, il n'y a rien à faire d’ici longtemps avec ce jeune homme. Il suivra son évolution. Il fera une maladie grave, dont il mourra. Mais en ce temps-là, vous serez encore supérieur à Saint-Dizier. On vous appellera près du malade ; c'est vous qui le réconcilierez avec Dieu, et vous lui ferez faire une sainte mort. »

Or, après une existence éloignée de toute religion, l'ancien pénitent de M. Guillaumet mourut vers l'âge de cinquante ans, et dans les circonstances mêmes qu'avaient prévues et prophétisées le Curé d'Ars.

 

 

(1) Tous les détails de ce récit proviennent de M. le chanoine Maucotel, supérieur du grand séminaire de Verdun, qui les tenait directement du vénérable M. Guillaumet.